Culture

Danny Boyle: «Un film doit vous attaquer!»

A l'occasion de la sortie de son dixième film, «Trance», le réalisateur britannique revient en vidéos sur cinq moments marquants de sa carrière.

Danny Boyle avant la cérémonie d'ouverture des JO de Londres, le 27 juillet 2012. REUTERS/Kai Pfaffenbach.
Danny Boyle avant la cérémonie d'ouverture des JO de Londres, le 27 juillet 2012. REUTERS/Kai Pfaffenbach.

Temps de lecture: 5 minutes

A l'occasion de la sortie de son dixième film, Trance, Danny Boyle s'est prêté à l'exercice de l'entretien tablette de Slate.fr, où les questions sont remplacées par des vidéos, des images, des photos ou encore des dessins. Une autre manière d'aborder l'univers de l'artiste.
» Retrouvez également nos précédents entretiens tablette avec Jonathan Caouette, Alex Ross Perry, Paul Dano, Terence Conran, Valérie Donzelli et Hélène Fillières.

Qui peut s’enorgueillir d’avoir shooté les pires toilettes d’Écosse (Trainspotting) et fait tourner la reine d’Angleterre (la cérémonie d'ouverture des JO de Londres 2012)? Danny Boyle, bien sûr!

Après le film de junkies, le zombie movie (28 jours plus tard) et la romance indienne (Slumdog Millionnaire), le réalisateur britannique jette son dévolu sur le film de braquage. Avec Trance, flingues, arnaques et vamp à l’appui, Boyle change une fois de plus de registre.

Mais quel est vraiment le cinéma référence du metteur en scène? Pourquoi en veut-il à Gus van Sant? Quel lien y a-t-il entre Freddy Krueger et Ewan McGregor? Nous lui avons soumis cinq vidéos pour faire le point sur une carrière sacrément atypique.

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Quand on a réalisé 28 jours plus tard, qui a réactualisé, modifié et remis à la mode le film de zombie, impossible de ne pas se délecter de la séminale Nuit des morts-vivants de George Romero. Trente cinq ans les séparent, les zombies sont devenus des infectés, mais la terreur reste intacte.

«Pour 28 jours plus tard, le scénariste Alex Garland, qui possède une culture encyclopédique de ce genre cinématographique, m’avait conseillé une cinquantaine de films à regarder. Plutôt mourir. J’ai un immense respect pour George Romero, par exemple, mais je ne suis pas ce qu’on peut appeler un fan de films d’horreur.

Mon objectif était de réaliser un film qui ne serait pas un film de zombie. Je me suis dit qu’il fallait moderniser le mythe, d’où le principe de l’infection ou de la rapidité des zombies, sinon on serait resté dans le remake, la répétition. Mais ne connaissant pas ce genre, je n’ai pas identifié les références qu’Alex a empruntées et distillées.

Il ne m’en a pas parlé à l’époque et je ne m’en suis aperçu que plus tard. En général, ces tensions entre un scénariste et un réalisateur ne produisent rien de bon mais pour ce film, cette tension créative entre Alex, l’aficionado, et moi, l’agnostique, a parfaitement fonctionné.»

Faire tourner la Reine d’Angleterre quand on est un sujet de sa Majesté, ce n’est pas rien. Pour la cérémonie d’ouverture des JO de Londres, l’été dernier, Danny Boyle a réussi à faire entrer dans le même cadre The Queen et l’espion le plus célèbre du monde, James Bond. Mais comment parvient-on à réunir deux icônes de la culture britannique pour un événement mondialisé?

«Pendant la préparation de la cérémonie d’ouverture des JO, nous avons eu une idée. Le protocole imposant l’arrivée du monarque (et pas seulement sa présence) et l’hymne national devant être joué, nous nous sommes dit que mettre cela en scène serait amusant.

Nous pensions que l’entourage de la Reine refuserait ou au mieux accepterait le principe, avec tournage dans un lieu ressemblant à Buckingham Palace et avec une doublure de la trempe et du sérieux d’Helen Mirren. Quand le Palais nous a répondu favorablement en précisant que la Reine souhaitait apparaître, nous étions sonnés! Au début, nous avons même pensé avoir été piégés par la presse [un sport national outre-Manche, ndlr]

Bref, ca a été un challenge de goupiller l’agenda de Daniel Craig, qui tournait Skyfall à l’époque, et celui de la Reine, très occupée elle aussi. On aurait pu réaliser la scène en split-screen, tourner un jour avec Daniel puis à un autre moment avec la reine, mais j’ai lourdement insisté pour qu’ils soient dans la même pièce.

Je pense qu’elle a accepté cette proposition car cela permettait d’offrir à ses collaborateurs, qui travaillent pour elle de façon fanatique, une journée avec Daniel Craig. Une manière de les remercier de leur dévouement.

Et puis ça a donné lieu à un moment de jeu incroyable! Quand elle passe devant Daniel, on voit dans ses yeux qu’il se dit: "OK, je joue un personnage de fiction qui sert une reine imaginaire, mais là, c’est la vraie Reine!" C’était surréaliste.»

Chez Boyle, les héros n’ont pas le sommeil facile. Cauchemars, bad trips, insomnie, leurs nuits sont salement agitées. Mais le sommeil se révèle un moteur narratif pour bien d’autres réalisateurs, comme Brian de Palma ou Wes Craven. Pourquoi cet engouement pour un moment si quotidien et oubliable?

«Ce qui est génial avec le cinéma, c’est que vous acceptez, en tant que spectateur, de croire que ce qui se déroule sous vos yeux est le présent. Alors que cela peut être le passé, le futur, un fantasme, un cauchemar… Sauf si des indices disent le contraire, comme une musique particulière ou des effets sonores, vous acceptez la scène comme ayant lieu au présent.

Cette capacité de déconstruire la réalité, de rendre flexible les barrières temporelles, c’est l’expérience cinématographique par excellence. Nicolas Roeg [réalisateur, entres autres, de Performance, avec Mick Jagger, et L'Homme qui venait d'ailleurs, avec David Bowie, ndlr] est sans doute l’un des maîtres de cette façon de faire.

J’ai lu récemment un poème de Samuel Taylor Coleridge où il disait qu’il voulait s’attaquer à la chimie comme un requin attaque sa proie. Voilà comment un film doit agir. Il doit vous attaquer!

Pas seulement de façon évidente comme dans un film d’horreur avec des scènes choc, mais aussi par des émotions. Il doit vous accrocher pour que vous ne puissiez pas regarder ailleurs.

Pour l’anecdote, Les Griffes de la nuit a servi d’inspiration à Trainspotting. Quand j’ai demandé à John Hodge, le scénariste de Trainspotting, d’où lui venait cette idée de la scène des toilettes, il m’a dit que c’était un hommage à la fameuse séquence du bain…»

Derrière le succès d’Elephant de Gus van Sant se cache un moyen-métrage de 1989 réalisé par Alan Clarke et produit par Danny Boyle. Cet Elephant original, peu connu, fut l’occasion pour lui d’observer et d’apprendre son futur métier de cinéaste.

«A la fin des années 1980, je voulais me lancer dans la réalisation mais personne n’était prêt à me suivre. J’ai alors accepté un poste de producteur à la BBC en Irlande du Nord. Je devais y produire trois fictions par an.

J’ai contacté Alan Clarke, que j’admirais beaucoup, et je lui ai proposé une idée qui m’était venue lors de mes nombreux allers et retours entre Londres et Belfast. A l’époque, il y avait un schisme entre ce qui ce passait en Irlande (des morts, des exécutions, des assassinats politiques) et l’absence d’écho de cette réalité en Grande-Bretagne.

Je voulais montrer une tranche de cette violence sourde et Alan était l’homme de la situation. Voilà comment est né Elephant, film presque sans dialogue et doté d’une mise en scène hypnotique du mouvement.

Quand Gus van Sant m’a contacté pour savoir s’il pouvait utiliser le titre pour son film (Alan nous avait déjà quitté), j’ai évidemment accepté. Ma déception fut grande quand j’ai constaté qu’Alan n’apparaissait pas au générique.

On emprunte tous, mais il faut l’assumer, faire connaître celui qui a précédé. On se tient tous dans l’ombre de quelqu’un, et Gus est dans celle d’Alan.»

Producteur, réalisateur mais surtout metteur en scène de théâtre, Boyle aime à retourner sur les planches. Tandis que sa version de Frankenstein tient actuellement l’affiche au National Theatre de Londres, profitons de ses lumières littéraires, cinématographiques et philosophiques pour appréhender la modernité du romantisme gothique.

«Je ne crois pas qu’on puisse encore mettre en scène Frankenstein au cinéma, alors que le théâtre le permet. L’idée était de choisir le point de vue de la créature, angle qui n’avait jamais été choisi jusqu’à maintenant. Et puis cette époque romantique, avec l’électricité, invention entre arts et sciences…

Ramener un homme d’entre les morts, c’est avant tout une histoire de contrôle de la vie. Hollywood en a fait un mythe horrifique mais il s’agit surtout d’évincer Dieu. Quand vous avez l’électricité, vous pouvez vous passer de Dieu. Nos villes ne sont que des univers où Dieu n’a plus droit de cité.»

Propos recueillis par Ursula Michel

Trance de Danny Boyle, avec James McAvoy, Rosario Dawson, Tuppence Middleton... En salles le 8 mai 2013.

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