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Autistes Asperger et emploi: pourquoi ça bloque?

Décrits comme brillants et méticuleux, ceux que l'on appelle «autistes de haut niveau» sont pourtant freinés par de nombreuses barrières dans le monde du travail.

Un jeune adolescent américain atteint du syndrome d’Asperger, en 2012. REUTERS/Shannon Stapleton
Un jeune adolescent américain atteint du syndrome d’Asperger, en 2012. REUTERS/Shannon Stapleton

Temps de lecture: 4 minutes

Son poste d’ingénieure informatique, Vanessa l’a quitté en 2010. Elle a repris des études, un master d’ingénierie de la cognition. Ses problèmes d’intégration dans l’entreprise, elle ne les doit pas à une quelconque timidité. «Pour beaucoup de monde dans la boite, je n’étais pas assez corporate. Et j’étais épuisée tellement je galérais au niveau relationnel». La jeune femme de 36 ans est autiste, atteinte du syndrome d’Asperger. Une condition neurologique faisant partie de la famille des Troubles envahissants du développement (TED).

Les Aspergers n’ont pas de déficience intellectuelle, contrairement à d’autres formes d’autisme. Ils aiment la routine, les chiffres. Dépeints comme très méticuleux, perfectionnistes, passionnés, dotés d’une mémoire impressionnante. Ils peuvent avoir quelques manies, comme se tordre les doigts. Leur handicap est avant tout social. Ils ont un déficit dans les interactions et une incompréhension face aux codes, normes ou sous-entendus. « Cela me gêne de parler de la pluie et du beau temps. La pause café à tel créneau horaire, ce n’était pas mon truc, je n’y allais pas. J’aime me concentrer dans mon travail et ne m’arrêter qu’une fois terminé», explique Vanessa.

En France, entre 100.000 et 400.000 personnes seraient atteintes du syndrome, selon les chiffres des associations. «C’est difficile à évaluer. Entre ceux qui s’ignorent, ceux qui ne se déclarent pas», reconnait Elaine Hardiman-Taveau, présidente d’Asperger Aide France. «Mais très peu travaillent », continue-t-elle. Elle pense qu’ils peuvent être des atouts précieux pour les entreprises. Au Danemark, un cabinet les emploie comme consultants. Avec leur souci du détail, ils repèrent des erreurs parfois minimes et nuisibles aux entreprises. Une initiative encore rare. «On peut estimer que seulement 1% d’entre eux ont un emploi en France», ajoute Miriam Sarbac, fondatrice de l’association Asperger-Amitié.

«Il ne me regardait pas les yeux»

Premier obstacle de taille pour accéder à l’emploi: l’entretien d’embauche. Un exercice formaté. Avec ses pratiques, ses mots et son style. «C’est une étape très difficile puisqu’elle fait appel à des savoir-faire relationnels. Il faut donner du sens à son parcours, décoder les attentes durant l’échange, parler de soi. Ce n’est pas le point fort des Aspergers», explique Pierre Manificat.

Psychologue et responsable du recrutement chez JLO Conseil, un cabinet de conseil en RH spécialisé dans le handicap, il estime que le syndrome peut donner des comportements particuliers, avec une pression forte le jour de l’entretien. «Il n’arrêtait pas de se gratter, il était très stressé, ne regardait pas trop dans les yeux», confirme Angèle Buttin, DRH de Xerox, centre de recherche informatique à Meylan (38), qui a embauché un autiste Asperger en 2010. «Cela m’a joué plusieurs fois des tours durant ces rendez-vous. On ne sait jamais comment ajuster son comportement», affirme Vanessa.

Amanda, 25 ans, déplore, elle, un manque de soutien en amont des candidatures. «Je passais de la mission locale à Pôle Emploi, sans être vraiment aidée». Les dispositifs sont nombreux. Entre les agences Cap’Emploi, opérateurs de Pôle Emploi mais gérées aussi par l’Agefiph (Association de gestion du fonds pour l'insertion des personnes handicapées), et les Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), la forêt administrative fait peur. «Un travail de simplification est nécessaire. Les MDPH ont la vocation de jouer le rôle de guichet unique. Elles ne doivent en aucun cas, par excès de complexité, décourager les plus fragiles en difficulté de recherche d'emploi», abonde Charles Gardou, anthropologue et auteur de La société inclusive, parlons-en (Erès, 2012).

Un handicap «invisible»

Dans la quête d’un poste, les Aspergers ont également un choix à faire. Celui de déclarer ou non leur syndrome. Une question qui se pose plus largement à tous les handicapés. En 2001, 13% des personnes inscrites à l’ANPE ne déclaraient pas leur handicap, avant de changer d’avis, parfois après plusieurs mois de recherche d’emploi. Les stratégies sont donc variées. Par peur d’être discriminés, les autistes Asperger peuvent être tentés de ne pas demander une RQTH (Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé) et de cacher leur syndrome.

«Je ne souhaite pas me déclarer comme autiste. Je veux être considérée comme une employée ‘normale’», insiste Dorothée, ingénieur-informatique, en CDI depuis 2008, diagnostiquée il y a un an. Invisible, leur trouble est difficilement compréhensible par leurs collègues au courant de la situation. «Tous mes comportements étaient passés à la loupe. On n’est pas en fauteuil. Donc, on va toujours se demander si vous n’êtes pas dingue», explique Vanessa. «Si une difficulté ne se voit pas, nous tendons à penser qu'elle n’existe pas. D'où le risque de ne pas reconnaître et prendre en compte ce handicap qualifié d'invisible», analyse Charles Gardou.

Une vision de l’autisme encore biaisée

Surtout, les autistes sont assimilés aux seuls déficients intellectuels. Des progrès ont été faits avec la diffusion du téléfilm Le cerveau d’Hugo sur France 2 le 27 novembre dernier ou, dans un registre plus geek, la popularité de Sheldon Cooper, personnage au comportement Asperger dans la série The Big Bang Theory. Le syndrome reste mal connu. «En France, on a beaucoup de retard, déplore Miriam Sarbac. On parle des autistes comme des personnes dangereuses, qui crient et se font mal. Cela créé des réticences dans le monde du travail». Les recruteurs voient d’abord les besoins liés aux Aspergers. Il faut privilégier les consignes par écrit, ne pas les prévenir d’un changement à la dernière minute, les encadrer plus fortement.

A ses débuts chez Xerox comme ingénieur électronique, le comportement de l’autiste Asperger a dérouté. Exemple : malade deux jours, il n’a pas prévenu l’entreprise qu’il allait rester chez lui. «Il faisait très bien son boulot, mais sur des choses qui nous paraissaient simples, il avait du mal», confie Angèle Buttin. Il a été suivi par une job coach, Judith Sitruk. Elle échangeait souvent par mail avec les managers, venait régulièrement dans l’entreprise. «J’avais le rôle de facilitateur, pour apaiser les craintes des deux côtés», assure-t-elle. Actuellement à l’essai sur un poste réservé aux handicapés dans un institut de recherche, Amanda dit avoir été «aidée» par la venue de deux psychologues dans sa structure, pendant une journée. Pour expliquer, sensibiliser ses collègues à ses attitudes parfois déroutantes.

Priorité aux enfants?

La formation des équipes reste ainsi une clé majeure pour Pierre Manificat: «Aujourd’hui, qui connaît ce syndrome dans les entreprises? Il faut travailler de manière plus forte et plus globale, encadrer les Aspergers dans leur intégration pour trouver leur point d’optimisation». La méconnaissance tient aussi dans la concentration des moyens sur l’enfance. En France, les débats portent sur la prise en charge des enfants autistes ou plus largement sur la critique d’une approche psychanalytique. Et laissent souvent de côté l’insertion professionnelle. Charles Gardou veut croire à une vision plus large: «On se concentre beaucoup sur les enfants, mais si on veut améliorer la présence des Aspergers au travail, on ne peut pas séparer la scolarisation, la formation et l’âge adulte. C’est un continuum».

Guillaume Vénétitay

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