France

Une greffe contre la ménopause

Un premier bébé vient de naître en France après transplantation de tissus ovariens.

Temps de lecture: 3 minutes

Elle se prénomme Ysaline, pèse 3,7 kg, et a vu le jour lundi 22 juin à la maternité du CHU de Besançon. Ysaline ne sait pas encore qu'elle est le premier bébé en France à avoir été conçu naturellement après une greffe de tissus ovariens qui avaient été prélevés chez sa mère puis conservés par congélation. Moins d'une dizaine d'enfants sont nés ces dernières années dans le monde grâce à cette technique. Mais cette dernière technique ouvre d'ores et déjà de considérables perspectives dans la lutte contre certaines formes pathologiques de ménopause. D'autres utilisations, plus futuristes, sont aussi envisageables.

Atteinte d'une forme grave d'une maladie sanguine (la drépanocytose), la mère d'Ysaline avait dû subir une chimiothérapie intensive avant une greffe de moelle osseuse. A la fin de 2005, avant cette chimiothérapie, on lui avait proposé de lui prélever un ovaire dans l'optique d'une greffe ultérieure. Le prélèvement fut effectué par le docteur Germain Agnani (CHU de Besançon). La partie externe de cet ovaire fut alors conditionnée, congelée et cryoconservée à - 196 degrés dans de l'azote liquide par l'équipe du professeur Christophe Roux, dans le même centre hospitalier.

«Autogreffe de tissu ovarien»

En 2008, le tissu ovarien était décongelé et greffé en lieu et place de l'ovaire, par le docteur Pascal Piver, du service gynécologie-obstétrique du CHU de Limoges. «Nous avons choisi de faire venir un spécialiste de Limoges pour optimiser les chances de réussite de la greffe», précise le professeur Roux. «Avec tous les problèmes de santé que j'ai eus, je n'avais rien à perdre», explique aujourd'hui la jeune femme. Peu de temps après cette autogreffe, elle était enceinte sans qu'il ait été nécessaire d'avoir recours à une fécondation in vitro. Et au terme d' «une grossesse super épanouie», voici aujourd'hui Ysaline. «C'est magique, on ne se rend pas encore compte!», déclarent les deux jeunes parents.

Encore mal connue, l'«auto-greffe de tissu ovarien» offre désormais un réel espoir à certaines femmes de préserver leur fertilité et d'avoir des enfants après être devenues stériles. Le progrès majeur dans ce domaine date précisément de dix ans quand Roger Gosden (université de Leeds) annonçait lors du congrès annuel de la Société américaine de médecine de la reproduction qu'il avait effectué avec succès, la première greffe humaine de tissu ovarien. En 1994 ce spécialiste avait déjà réussi à obtenir, pour la première fois, la naissance d'un agneau après avoir prélevé, congelé et greffé des tissus ovariens sur une brebis.

Les premières grossesses après greffe de fragments d'ovaires obtenues chez les mammifères concernaient la souris et remontent aux années 1960. Puis les recherches dans ce domaine se sont progressivement arrêtées avec le développement des traitements substitutifs hormonaux qui ont permis de corriger progressivement les troubles de la ménopause.

En 1999, la greffe avait été réalisée chez une Américaine âgée de trente ans, qui avait dû subir l'ablation de ses deux ovaires. La première avait été pratiquée lorsqu'elle avait dix-sept ans et souffrait d'une pathologie kystique de cette glande. Avant la seconde ablation, et refusant l'idée de perdre toute fonction ovarienne, elle avait cherché, via Internet, s'il était possible d'obtenir la conservation de l'organe qui allait lui être ôté. Et un centre de l'université de l'Arizona accepta de pratiquer cette congélation.

Prélèvements post-mortem

Cette première ouvrait l'espoir de corriger des anomalies biologiques qui caractérisent la ménopause. Des femmes ménopausées pourraient alors retrouver une fonction ovarienne avec production in vivo et cyclique des hormones sexuelles féminines ainsi que de leurs ovocytes. La première application envisagée concerne bien sûr les jeunes filles et les femmes qui, pour des raisons médicales, doivent subir des radiothérapies ou des chimiothérapies aux effets stérilisants. On est ici dans une démarche similaire à celle mise en oeuvre, depuis plusieurs années déjà, chez les hommes subissant des traitements stérilisants. Il leur est ainsi proposé de conserver par congélation des échantillons de leur sperme dans l'optique d'une future insémination artificielle.

Mais on peut aussi imaginer aller plus loin: que les mêmes auto-greffes soient proposées à des femmes en dehors de toute pathologie, et ce dans le but de restaurer leur fonction ovarienne après la ménopause. D'autres scénarios plus futuristes sont aussi envisageables qui ne s'inscriraient plus dans le cadre des auto-greffes mais bien dans celui des greffes. Compte-tenu des progrès accomplis dans le domaine des transplantations, on pourrait ainsi imaginer le développement de prélèvements post mortem, au même titre que le prélèvement de différents tissus ou organes.

La possibilité de pouvoir rétablir l'intégralité de la fonction ovarienne conduit immanquablement à s'interroger sur la signification de la ménopause. Est-ce un phénomène physiologique que l'on doit considérer comme normal? Est-ce au contraire une pathologie féminine dès lors que l'on peut, pour partie, en corriger les effets? Quelles limites la société se doit — ou non — de fixer aux nouvelles libertés que la biologie et la médecine offrent et offriront?

Jean-Yves Nau

(Photo: Une opération sur ovaire à l'hôpital Ambroise Paré de Marseille, REUTERS/Jean-Paul Pelissier)

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