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Les Iraniens tremblent à l'idée d'un nouveau séisme

L'Iran, pris en sandwich entre la plaque eurasiatique et la plaque arabique, ne peut éviter la répétition de tremblement de terre. Mais peut-on faire confiance à l'organisation des secours en cas de séisme majeur? Pas si sûr.

Des survivants dans la ville pakistanaise de Mashkeel, après le tremblement de terre survenu le 16 avril 2013 au Sistan-Baloutchistan. Photo prise le 17 avril. REUTERS/Naseer Ahmed
Des survivants dans la ville pakistanaise de Mashkeel, après le tremblement de terre survenu le 16 avril 2013 au Sistan-Baloutchistan. Photo prise le 17 avril. REUTERS/Naseer Ahmed

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Les Iraniens le savent, la terre continuera de trembler en Iran. A Téhéran, une partie de ma famille prend toujours le soin de dormir «correctement» habillé pour éviter de se retrouver en tenue indécente dans la rue au cas où la terre se déroberait sous la capitale iranienne et où ils seraient amenés à évacuer l'immeuble en pleine nuit –une habitude également liée aux traumatismes de la guerre Iran-Irak pendant laquelle une bombe a détruit l'immeuble situé à 200 mètres de chez eux.

Reste que la situation géographique du pays, sur une zone sismique à la jonction entre plusieurs plaques qui entrent en collision, a de quoi faire peur. L’Iran est pris en sandwich entre la plaque eurasiatique et la plaque arabique qui se rapprochent à raison de 2,5 cm par an, ce qui entraîne de nombreux séismes. Du nord au sud iranien, beaucoup de régions sont ainsi régulièrement secouées.

D'après les sismologues iraniens, le tremblement de terre qui a eu lieu le 16 avril 2013 dans la région du Sistan-Baloutchistan, situé au sud-est du pays, a été l'un des plus puissants que le pays ait connu depuis quarante ans. Les secousses ont été ressenties à travers tout le Golfe, du Koweït à Abu Dhabi, en passant par l'est de l'Arabie saoudite, Oman, Afghanistan et jusqu’à New Delhi.

Du côté du Pakistan voisin, l'onde de choc du séisme a fait 34 victimes. En Iran, d'après les déclarations officielles, deux personnes seraient décédées. Par chance, le tremblement de terre a eu lieu en pleine journée et l'épicentre se situe dans une région désertique, assez peu peuplée.

Tout juste une semaine auparavant, le 9 avril, un premier tremblement de terre d'une puissance de 6,3 avait cette fois frappé le sud-ouest iranien, à 89 kilomètres seulement de la ville de Bushehr qui abrite une centrale atomique. D'importants dégâts ont été constatés dans les zones rurales proches de l'épicentre situé à Kaki: au moins 37 morts, 850 blessés et 800 maisons détruites. Encore une fois l'onde de choc a été ressentie jusqu'aux pays du Golfe.


Images du Pakistan après le séisme qui a fait... par lemondefr

Depuis ces deux importants séismes, la terre ne cesse de trembler en Iran, avec des répliques dans tout le pays. Ces micro-secousses ne constituent pas un phénomène anormal mais font craindre le pire aux habitants, car elles peuvent provoquer des dégâts supplémentaires, aggraver les fissures, en engendrer de nouvelles et provoquer l'effondrement des constructions les plus fragiles.

Si les tremblements de terre du Sistan et de Bushehr ont fait relativement peu de victimes, l’Iran garde en mémoire la terrible secousse survenue en décembre 2003 à Bam: 40.000 victimes, soit un quart de la population de la ville. Depuis ce funeste évènement, à chaque annonce d'un tremblement de terre, le pays retient son souffle.

La crainte du big one

Le plus craint de tous serait annoncé pour Téhéran. D'après le géologue iranien Mehdi Zare, interviewé par le site Khabaronline, ce tremblement de terre majeur pourrait atteindre une magnitude de 7 sur l'échelle de Richter. En 2010, le président Mahmoud Ahmadinejad avait même envisagé la possibilité de déplacer la capitale et ses 12 millions d'habitants. La menace est sérieuse, d'après le géophysicien français Denis Hatzfeld, qui a travaillé sur le terrain en Iran:

«La ville de Téhéran est bordée par des failles actives, dont certaines traversent la ville. (…) Les sismologues ont pu enregistrer des microséismes sur ces failles, les géodésiens ont pu montrer qu’elles bougeaient de plusieurs millimètres par an. Les ingénieurs ont montré que le mouvement du sol était amplifié par les couches superficielles. (…) Le risque sismique est important à Téhéran.»

Autre facteur aggravant pour la capitale iranienne, elle a poussé trop vite.

«Le risque sismique est le produit de la sismicité et de la vulnérabilité. La vulnérabilité des sites dépend de la manière dont ont été construits les bâtiments. Si c’est mal construit, les bâtiments seront détruits même si les séismes sont modérés. (…) La ville de Téhéran, parce que c’est une capitale, s’est construite très rapidement. Les règles parasismiques ne concernent pas le bâti privé, les études de vulnérabilité sont très parcellaires. Déménager la capitale peut sécuriser l'État, mais ne résoudra pas le problème des 15 millions d’habitants qui ne vont pas partir du jour au lendemain. Il faut d’abord appliquer une réglementation parasismique raisonnable, dont le surcoût n’est pas démesuré. Il faut aussi effectuer des contrôles et éduquer les particuliers qui souvent construisent leur maison eux-mêmes, avec les matériaux à leur disposition et sans aucune règle parasismique.»

On le sait, en cas de séisme, le non-respect des normes parasismiques sur les constructions peut faire encourir un vrai danger à la population. C'est ainsi que le séisme d'une magnitude de 8,8 à Concepción au Chili en février 2010 n'a fait que 497 victimes, alors que celui de Haïti survenu un mois plus tôt avec une magnitude de 7,2 avait provoqué la mort de plus de 230.000 personnes. Le risque est bel et bien présent pour Téhéran, même s'il est assez peu pris en compte. Ma famille a bien raison de ne pas dormir sur ses deux oreilles.

Pagaille à l'iranienne

Si l'on ne peut pas éviter la répétition de tremblement de terre en Iran, peut-on faire confiance à l'organisation des secours en cas de séisme majeur? Pas si sûr. Les conséquences des précédents tremblements de terre en Iran laissent penser que les secours ne sont pas tout à fait prêts. D'abord à cause des hésitations et des couacs de la communication sur le nombre de victimes.

En août 2012, alors qu’un séisme secoue la région de l'Azerbaïdjan oriental, au nord-ouest du pays, les médias proches du pouvoir mettent dix-huit heures à en parler alors que le bilan est de 306 morts et de 3.037 blessés. Une journaliste du quotidien Etemad qui se rend dans la zone du séisme explique qu'à 90 kilomètres de l'épicentre, personne n'est au courant de la catastrophe.

Pendant que les secours et les familles recherchent leurs survivants, la télévision nationale diffuse des «comédies» sans relater le séisme, ce qui agace le député de Tabriz, Masoud Pezeshkian, qui s'en est plaint auprès du Parlement. Il se demande également où sont passées les 8.000 tentes qui devaient être distribuées par le Croissant Rouge iranien et qui ne seraient jamais arrivées à destination.

Allahverdi Dehghani, député de Varzeghan, la zone la plus touchée, s'est quant à lui étonné de la venue tardive des secours sur les lieux du drame, déclarant que les gens n'avaient pas eu d'autres choix que d'organiser les premiers secours par eux-mêmes.

Débrouille à l'iranienne

Face à ces dysfonctionnements, des Iraniens se sont mis à récolter de l'aide par leur propre moyen, sans passer par l'Etat.

De Paris à Londres, au sein de la diaspora, en organisant des concerts, de bouche à oreille, par Internet. Aux Etats-Unis, la communauté irano-américaine a fait pression sur le Trésor américain qui a finalement gelé les sanctions pendant 45 jours autorisant l'aide financière d'ONG américaines vers l'Iran tout en précisant que le corps des Gardiens de la révolution, placé sur la liste officielle des organisations terroristes des Etats-Unis, ne serait pas autorisé à recevoir cette aide.

 Depuis le tremblement de terre de Bam, l'Iran n'a jamais accepté l'aide humanitaire américaine et, en 2012 comme en 2003, le geste a déplu. Trente-cinq volontaires sont arrêtés le 23 août 2012 au moment où ils s'apprêtent à distribuer l'aide en nature dans un camp de rescapés. Les dons sont confisqués et les bénévoles officiellement accusés de distribuer des produits dangereux pour la santé: des «conserves périmées» et du «pain rassi». Parmi eux se trouvaient des étudiants anonymes, mais aussi des militants plus connus, proches du Mouvement vert.

Aujourd'hui, plus de six mois après le séisme d'Azerbaïdjan oriental, on peut se demander à quoi ont servi tous ces dons. La reconstruction tarde et une partie des réfugiés a passé l'hiver 2012 sous des tentes. La lenteur de la reconstruction est accentuée par l'impact des sanctions internationales contre l'Iran et l'inflation galopante qui n'épargne pas le prix des matériaux de construction.

Pourtant cette fois encore, pour le séisme de Bushehr survenu le 9 avril 2013, les Iraniens n'ont pas hésité à se mobiliser. Yalda, qui vit en France, a récolté de l'argent pour les sinistrés. Les sanctions interdisant le transfert bancaire vers l'Iran, il a fallu qu'elle emploie des moyens détournés. Puisqu'elle possède un compte bancaire à Téhéran, elle a demandé à des proches d'effectuer un virement de son compte iranien vers le compte d'un bénévole qui devrait acheminer l'aide à Bushehr.

Bahar Makooi

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