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La fin de Windows

Le navigateur web va sauver le monde des systèmes d'exploitation laborieux.

Temps de lecture: 4 minutes

Il existe deux sortes d'internautes. Ceux qui préfèrent voir leurs nouvelles pages s'ouvrir en onglets, à l'intérieur du navigateur. Et ceux qui ouvrent chaque nouvelle page Web dans une nouvelle fenêtre, accumulant de nombreuses entrées sur la barre des tâches, en bas de l'écran. D'un premier abord, cette bataille entre les Ctrl+T et les Ctrl+N semble totalement triviale. Il y a quelques années, cependant, je pensais que nous verrions cette marche vers les onglets comme une tentative d'émancipation du navigateur. En utilisant les onglets pour des multi-tâches, on élimine le besoin de nouvelles fenêtres. Au final, on pourrait par là même éliminer le besoin de Windows. Quand vous ouvrez un nouvel onglet, c'est comme si votre navigateur vous disait : ne faites pas attention à ce qui se passe autour sur votre ordinateur. Tout ce dont vous avez besoin est là.

Mozilla a rendu la navigation par onglet populaire en intégrant la fonctionnalité à Firefox. Aujourd'hui, le logiciel non-lucratif cherche de nouvelles façons pour garder en interne toutes vos activités. Le mois dernier, Mozilla a lancé un concours de design afin de recueillir des idées et trouver de meilleurs moyens pour gérer plusieurs pages à la fois. «Aujourd'hui, les sessions supérieures à 20 pages sont chose commune», pouvait-on lire dans l'annonce. «Le navigateur est bien plus un système d'exploitation qu'une simple application qui affiche des données».

Ce n'est pas tant une énième extension stratégique de Mozilla qu'une embuscade. Chrome, le navigateur lancé par Google cet automne, a révélé des ambitions similaires dans une bande-dessinée de 38 pages créée pour promouvoir le produit. «Aujourd'hui, notre utilisation quotidienne du Web ne se limite pas à des pages web, c'est aussi des applications.» lit-on dans la première case de la première page.

Depuis quelques années, de nombreuses applications gérées auparavant par votre système d'exploitation ont migré vers le navigateur : traitement de texte, messagerie instantanée, e-mail, jeux, lecteur de musique, outil de gestion de ses finances personnelles, etc. Ce qui mène immanquablement à la question : si la fonction première d'un ordinateur, de nos jours, est de faire tourner un navigateur pour se connecter à Internet, qui a encore vraiment besoin de Windows et de ses 50 millions de lignes de codes ?

Le navigateur-système d'exploitation est certainement une idée attirante, ne serait-ce qu'en tant qu'alternative à la lenteur et à la boursouflure des performances de Windows. Firefox, avec sa plateforme ouverte et sa bibliothèque tentaculaire d'extensions gratuites, semble être en théorie un bien meilleur modèle de comment le logiciel central de votre PC devrait fonctionner.

Les développeurs de Mozilla, Google et des autres boutiques non-Microsoft parlent volontiers de la manière dont l'informatique personnelle déménage vers le navigateur. Dans la réalité, cependant, nous sommes loin d'avoir tous accepté l'idée de transférer en ligne toutes nos applications chéries. Vous utilisez peut-être Google Docs quand vous devez travaillez avec un de vos collègues, mais ce roman que vous gardez à l'abri des regards est un document Word.

Mozilla et Google espèrent changer votre façon de penser. Sam Schillace, développeur de l'application qui allait devenir Google Docs, m'a décrit cette transition de la manière suivante : comme de nombreuses nouvelles technologies, les produits de bureautique en ligne sont passés par une phase initiale à la «montreur d'ours» où la nouveauté était l'attraction principale. Ensuite, une seconde vague d'utilisateurs se sont tournés vers les produits parce qu'ils avaient un besoin précis d'outils partagés : soit parce qu'ils avaient à collaborer avec d'autres personnes, soit pour accéder facilement à un document à partir de plusieurs machines. La troisième vague, espère Schillace, sera peut-être attirée par l'austérité du produit. Dans le monde de la programmation, on dit que «le pire est mieux». Ce n'est pas forcément une mauvaise chose si Google Docs ne possèdera jamais les trucs et les machins conçus pour Microsoft Word. Parce qu'il est plus facile pour une nouvelle technologie de leurrer des sceptiques en étant simple et franche, même si cela sous-entend de sacrifier des fonctionnalités.

Toute personne qui s'est déjà bagarrée avec Clippy, l'assistant animé de Word -paix à son âme- a une effrayante histoire de combat contre Word et sa complexité souvent injustifiée à raconter. Mais après tout, Word fonctionne plutôt bien et il n'est jamais facile de dire à des gens d'arrêter d'utiliser quelque chose dont ils sont satisfaits. Excel, aussi, est un programme tyrannique, mais surpasse de loin tous ses concurrents en ligne.

Il est utile de se rappeler aussi que Windows n'est pas simplement une interface qui fait fonctionner des programmes. Il gère aussi votre matériel - disque dur, carte vidéo mais aussi périphériques tels les webcams et les appareils de mémoire externe. Même si Firefox et Chrome venaient à remplacer dans un futur proche la gestion des applications, nous aurions toujours besoin de quelque chose pour gérer tout ce qui se passe sous le capot. Une option intéressante est ce bout de logiciel appelé HyperSpace, né à la fin de 2007. HyperSpace est principalement un système d'exploitation réduit à l'essentiel qui peut activer certaines ressources de votre ordinateur dès que vous le démarrez, bien avant que Windows ait poussé son rot et se soit extirpé de son coma en bredouillant. (L'entreprise qui a conçu HyperSpace, Phoenix, est un fournisseur majeur de logiciels BIOS, le programme qui débute dès que vous allumez votre ordinateur). La version actuelle de ce produit fonctionnant sur certains portables -voir ici pour les spécifications- se charge en quelques secondes, peut se connecter et démarrer Firefox et d'autres programmes utiles. De nos jours, vous pouvez faire beaucoup de choses avec un nombre réduit de logiciels. (Si vous êtes curieux d'utiliser HyperSpace, une démo gratuite pendant 21 jours est disponible ici. Ensuite, le programme requiert le paiement d'un abonnement annuel.)

En couplant un navigateur -qui supporte tous vos programmes- et un système d'exploitation minimal -qui active le navigateur- vous commencez à entrevoir ce que peut-être une alternative viable à une machine sous Windows. Une question reste en suspens : le navigateur que vous allez choisir devra supporter toute cette activité. Et c'est là que Chrome semble précurseur. Comme l'a écrit Farhad Manjoo sur Slate, le navigateur de Google gère tout le tralala de programmation du Web avec une remarquable fluidité. Chrome ne possède peut-être pas toute la panolpie d'extensions de Firefox mais il vous garantit que les applications à la mode sur le Web ne dévoreront pas les ressources de votre ordinateur. Il réussit aussi remarquablement à éviter qu'une seule page coincée ne gèle pas toute l'application. (Imaginez qu'un bug de Word entraîne avec lui tout Windows : c'est ce qu'il se passe avec la plupart des navigateurs aujourd'hui.)

Certes, Chrome ne représente aujourd'hui que 1,8% du marché, mais il a déjà poussé ses concurrents à réaliser la nécessité pour un navigateur d'être stable si on veut voir les applications du Web décoller. Quand ce sera le cas, je veux bien abandonner Word -et peut-être aussi mon Excel bien-aimé- pour un ordinateur qui démarre instantanément, m'évite les migraines causées par Windows, et m'offre un navigateur qui héberge de pertinentes alternatives aux produits Office. Nous n'en sommes pas là, et la transition se fera certainement dans une pandémie de bugs et de compatibilités cauchemardesques. Et n'oubliez pas que Microsoft a décimé jadis de potentiels usurpateurs. Néanmoins, je parie que, dans la bataille, ce potentiel tueur de géant aura une assez bonne cote.

Article de Chris Wilson paru sur Slate.com le 18 juin, traduit par Peggy Sastre.

(Photo: Un homme dort devant son ordinateur à Taïwan, REUTERS/Nicky Lo)

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