France

Robespierre, un moralisateur incompris

Qu'il s'agisse de parler de fiscalité ou de transparence, «l'Incorruptible», repoussoir ou modèle, est souvent cité dans le débat politique français. Le plus souvent n’importe comment.

Détail d'un portrait anonyme de Robespierre exposé au musée Carnavalet.
Détail d'un portrait anonyme de Robespierre exposé au musée Carnavalet.

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La politique fiscale du gouvernement? Jean-François Copé explique qu’elle consiste à revenir au «temps de Robespierre» «on décapitait d’abord et on discutait après». Jean-Luc Mélenchon se lance dans une diatribe contre le gouvernement? Un proche de Harlem Désir le traite de «petit Robespierre de mauvaise facture». L'affaire Cahuzac déclenche des appels à la transparence? Une journaliste du Point pourfend «les grands moralisateurs, les chantres de l’épuration, les nouveaux Robespierre, voire les néo-Khmers rouges».

Début 2012, Jean-François Copé, décidément obsédé par Robespierre, disait également:

«Je voudrais savoir si François Hollande, lui, ça ne lui pose pas de problème de se regarder le matin dans sa glace lorsqu'il facilite des accords électoraux avec le Front de gauche, avec des gens qui font l'éloge régulier de Robespierre?»

Après l’élection présidentielle, le même se lançait dans une comparaison qu’on qualifiera pudiquement d’osée, toujours à propos du leader du Front de Gauche:

«Faire l'éloge de Robespierre, cela n'a rien à envier à ce que faisait Jean-Marie Le Pen avec Brasillach.»

Il n’y a en effet guère que Jean-Luc Mélenchon pour se réclamer aujourd’hui de l’héritage de Robespierre, qu’il a défini comme «un exemple et une source d’inspiration» lors d'un discours prononcé le 21 septembre dernier pour les deux cents ans de la proclamation de la République. Il est à craindre que l’image histrionique de Jean-Luc Mélenchon ne soit guère de nature à redorer le blason de l’ancien avocat d’Arras, mort à 36 ans sur l’échafaud le 10 thermidor an II de la République (28 juillet 1794).

Un austère qui ne se marre pas

Maximilien Robespierre est depuis longtemps un sujet de controverses et au cours du XIXe siècle, de l’Empire à la Restauration, il a été souvent utilisé comme un repoussoir.

De son vivant, déjà, l’homme ne laissait personne indifférent. Son caractère austère déplaisait fort aux jouisseurs comme Danton, son rousseauisme assumé, presque dévot, agaçait Marat. Dans son histoire de France, Michelet le décrira même comme «le triste bâtard de Rousseau, né un dans un mauvais jour».

Dans le verbe aussi, Robespierre irrite, car l’homme est cassant, rugueux. «C’est le grand homme le plus petit et le plus fougueux du Sénat français», écrira Antoine Rivarol dans son Petit dictionnaire des grands hommes de la Révolution. Si Mirabeau, qui le détestait, l’avait un jour décrit comme un «chat qui a bu du vinaigre», il avait également pris toute la mesure de l’animal politique: «Il ira loin; il croit tout ce qu’il dit.»

Dans l’imaginaire collectif, Robespierre reste un tyran assoiffé de sang, l’artisan de la Terreur, un «psychopathe légaliste» comme le décrivait récemment le magazine Historia. Preuve de cette défiance qui touche jusqu’au corps politique à l’égard de l’Incorruptible, il est un des rares révolutionnaires à ne pas avoir sa rue à Paris, malgré des tentatives régulières en ce sens, au sein du conseil de Paris, de ceux qui défendent sa mémoire et son héritage.

L'aura morale n'est pas la tyrannie

Pourtant, n’en déplaise à ses détracteurs, Robespierre est bien éloigné de l’image d’Epinal sanguinolente si souvent véhiculée.

Il n’a jamais eu les pleins pouvoirs, il est bon de le rappeler. S'il a été une figure centrale du Comité de salut public, il n’est qu’un membre parmi les douze qui le composent et n’y rentre qu’en juillet 1793 (le Comité a été créé en mars de la même année). Comme les autres membres, il est susceptible d’être révoqué —et il ne l’est pas. A une époque où le législatif a largement barre sur l’exécutif, un moment rare de l’histoire de France: les représentants du peuple sont plus que tout attachés à un équilibre des pouvoirs.

Si Robespierre siège de juillet 1793 à sa mort, un an plus tard, au sein de ce Comité, c’est qu’il n’est pas perçu comme une menace. Il n’a jamais eu l’aura, le charisme ou l’influence de personnalités flamboyantes comme Danton, Marat ou Hébert. Il a bien moins de pouvoir de Carnot, qui commande aux armées.

S’il est une force de proposition importante au Comité de salut Public, les exemples abondent de moments où ses propositions sont mises en minorité. Il s’incline toujours, en bon légaliste qu’il est. Lorsque le piège se refermera sur lui à l’été 1794, il se laissera littéralement abattre sans provoquer le coup d’Etat qu’il aurait sans doute pu mener à son terme s’il avait été Bonaparte.

Il ne fait pourtant pas de doute que sa force de persuasion et son aura morale lui permettent de disposer d’une certaine influence. Mais l’aura morale n’est pas la tyrannie.

Seul, désespérément seul

Si l’on devait retenir une image de Robespierre, ce serait plutôt celle d’un homme seul, désespérément seul. Il est en effet bien seul quand il se prononce, au moment de la Constituante, contre le suffrage censitaire, jugeant injuste le fait que les citoyens les moins fortunés se voient privés du droit de vote.

Il est aussi bien seul quand il demande que les Juifs aient le droit de vote, un droit qu’il tient pour une «expiation» des crimes nationaux à leur endroit. Il est toujours aussi seul, ou bien peu accompagné, quand il réclame, en 1791, l’abolition de la peine de mort ou, la même année, celle de l’esclavage dans les colonies, dont il sera un des artisans trois ans plus tard.

En 1792, alors que l’Assemblée et le roi veulent la guerre contre l’Autriche, la première pour étendre la révolution, le second parce qu’il espère une défaite française, Robespierre est un des seuls à s’élever contre cette décision: il craint en effet que cette déclaration de guerre ne provoque une radicalisation de la Révolution. Une intuition d’autant plus ironiquement funeste qu’il en sera, quelques mois plus tard et pour les siècles qui vont suivre, dénoncé comme l’artisan principal.

Lors des journées des 31 mai et 2 juin 1793, qui voient la chute des Girondins, il fait partie de ceux qui refusent que Brissot et ses alliés soient condamnés à mort. Il est alors accusé de… «modérantisme» —une accusation qui pouvait coûter cher en cette période troublée.

Comment expliquer alors ce qui a toutes les apparences d’un reniement quand il se montre de plus en plus inflexible à l’égard de ses adversaires politiques? Cynisme démasqué? Folie du pouvoir?

Il faut plutôt chercher dans le légalisme absolu (et ne relevant en rien de la psychiatrie, n’en déplaise à Historia) de Robespierre le fait que ce partisan de l’abolition de la peine de mort se soit fait pourvoyeur de la guillotine: l’Assemblée ne veut pas de l’abolition et la peine de mort est toujours en vigueur? Soit: Il faut donc l’appliquer quand la loi et le salut de la République l’exigent.

Le «moment Robespierre»

Cela excuse-t-il tout? Certes pas. Mais encore une fois, si Robespierre exerce une influence considérable à l'Assemblée et plus encore auprès des sans-culottes parisiens, qui jouent un rôle politique de premier plan, il n’a pas les pleins pouvoirs.

Malgré cela, il dispose de l’autorité suffisante pour pouvoir faire envoyer à l’échafaud Hébert et les Exagérés, puis Danton et ses amis, après une véritable parodie de procès. On dit que Robespierre en fut très affecté, mais il ne fit rien pour sauver Danton. S’il n’en avait pas le pouvoir, il en avait peut-être l’autorité.

Il y a pourtant, au mois de juin 1794, ce que Jean-Clément Martin appelle le «Moment  Robespierre», au cours duquel  il devient un personnage central. Elu pour un temps président de l’Assemblée nationale, et conservant son poste au sein du Comité de salut public, il organise en grandes pompes, le 20 Prairial an II, la première «Fête de l’Être suprême». Car en lecteur assidu de Rousseau, Robespierre est déiste et tient l’athéisme pour une ruine morale.

Au cours de cette cérémonie, il occupe sensiblement la première place. Cette fête de l’Être suprême, il l’a voulue et organisée, mais elle est loin de faire l’unanimité. Nombreux sont ceux qui ricanent dans son dos, quand ils ne grognent pas.

Deux jours plus tard, il est également un des artisans de la loi du 22 Prairial, qui simplifie et accélère les procédures judiciaires et marque le début de ce que les historiens vont appeler «la Grande Terreur». Elle a pour objet de juger rapidement les «ennemis de la révolution».

Les prévenus déférés devant le tribunal révolutionnaire au titre de cette loi ne peuvent s’en tirer que par l’acquittement ou la peine capitale. Les charrettes se font plus nombreuses: c’est le pic de la Terreur.

Il déserte pendant trois semaines

Oui, mais. La loi du 22 Prairial prévoyait que des commissions effectuent un tri préalable afin d’éviter les règlements de compte. Il n’est pas effectué. Et tandis que Robespierre, épuisé, déserte pendant trois semaines l’Assemblée et le Comité de salut public, un piège se referme sur lui.

Cécile Renault, qui a tenté de l’assassiner, monte à l’échafaud revêtue de la chemise rouge des parricides. C'est désigner Robespierre comme le père de la nation, une manoeuvre habile de ses adversaires, qui sont nombreux au sein du Comité de sûreté générale. Le même comité qui monte en épingle l’affaire Catherine Théot, une illuminée qui prétend que Robespierre est le «fils de Dieu».

L’Incorruptible est bientôt dépeint en tyran. Mis en accusation, arrêté, il est finalement guillotiné fin juillet 1794 avec Saint-Just et d’autres de ses alliés par ceux qui, avec lui, avaient été les artisans de la politique française et qui vont bientôt donner à la période qui vient de s’écouler le nom de «Terreur», chargeant Robespierre de tous ses excès pour mieux s’en dédouaner.

La faute aux Thermidoriens

Et voilà l’image qui reste de Robespierre: celle transmise par ceux que l’on appelle les Thermidoriens et qui, pour certains, seront les artisans de la création du Directoire, puis du Consulat et de l’Empire. Il est de bonne coutume, en politique, de charger ceux qui vous ont précédés, surtout quand, comme Bonaparte et ses alliés, l’on s’est retrouvé au pouvoir par le biais d’un coup d’Etat.

Robespierre est-il pour autant une blanche colombe salie par les «fripons» et les «coquins» qu’il dénonça sans relâche? Certes non. En tant qu’autorité morale, il porte une grande part de responsabilité dans le déchaînement de violence, légale, soit, mais violence malgré tout, qui caractérise la période s’écoulant de mars 1793 à juillet 1794.

Il porte une grande part de responsabilité dans l’élimination de Danton. Comme ont pu l’écrire certains de ses défenseurs, on ne s’éloigne pas non plus du pouvoir pendant trois semaines quand on vient de faire voter une loi comme celle du 22 Prairial.

Mais comme l’écrivit plus tard un témoin de premier plan de cette période, «les hommes d'État ne doivent pas être jugés d'après les règles ordinaires de morale. En 1793 et 1794, il s'agissait de sauver le corps social et s'il était prouvé que le chef des Jacobins n'eût fait dresser les échafauds de la Terreur que pour abattre les factions et rétablir ensuite ce gouvernement royal que la France entière désirait, il serait injuste de regarder Robespierre comme un homme cruel et de l'appeler tyran; il faudrait au contraire voir en lui, comme dans Sylla, une forte tête, un grand homme d'État. Richelieu aurait fait plus que Robespierre s'il se fut trouvé dans une position semblable». Ce fervent robespierriste s’appelait Louis XVIII…

Antoine Bourguilleau

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