Médias / Monde

L'Afrique orpheline de RFI

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A RFI, les grévistes ont entamé leur septième semaine de grève. Le mouvement a commencé le 12 mai après l'annonce d'un plan social qui prévoit la suppression de plus de 200 postes. Un cinquième des effectifs de Radio France internationale. Selon les syndicats, il s'agit de la plus longue grève dans l'audiovisuel public depuis 1968. Sur cette station où l'information occupe d'ordinaire une grande place, la musique domine désormais.

En France, ce mouvement social est peu médiatisé. Il est vrai que RFI compte à peine 150.000 auditeurs en Ile-de-France. Mais en Afrique francophone, ce «long silence» de la radio mondiale provoque un profond malaise chez les accros de l'info. L'essentiel de son public habite sur le continent noir ou en est originaire. De Dakar à Kinshasa en passant par Bamako, Yaoundé ou Abidjan, RFI continue d'être la radio qui compte pour près de quarante millions d'auditeurs.

«Pour un homme politique africain passer sur RFI c'est comme obtenir un bâton de maréchal», souligne Jérémy, journaliste politique camerounais. En cas de tension politique, le premier réflexe de bien des dirigeants est de couper l'émetteur de RFI. Car en Afrique francophone, tous les «décideurs» écoutent cette radio. Les journalistes de RFI sont très influents. Chacun de leur «papier» est décortiqué par les autorités locales. Plusieurs journalistes de RFI ont été expulsés, d'Antananarivo à Dakar. Et Jean Hélène, son correspondant à Abidjan a été assassiné en octobre 2003. Au plus fort de la crise entre Paris et Abidjan, il ne faisait pas bon se balader en Côte d'Ivoire avec du matériel de radio estampillé RFI.

La «passion» pour RFI n'est pas seulement l'apanage des puissants. Dans les quartiers populaires des capitales, les habitants se rassemblent sur des bancs ombragés pour écouter la radio. Le poste vissé sur l'oreille, ils peuvent ainsi suivre les bouleversements de l'actualité mondiale en buvant du thé sucré ou du Nescafé. A Dakar, les beaux parleurs qui aiment commenter l'actualité, refaire le monde, sont parfois surnommés «RFI».

Si son influence demeure aussi grande, c'est également parce que la radio reste le média dominant en Afrique. Même les villageois peuvent s'offrir des postes. Et la télévision est étroitement surveillée par les autorités politiques. Les reportages sans fin sur les déplacements du chef de l'Etat découragent les plus «téléphages» des Africains. Quant à la presse, elle est souvent trop chère pour la grande majorité. En Afrique francophone, rares sont les quotidiens qui vendent à plus de 10.000 exemplaires. Souvent les articles publiés dans les journaux sont connus du grand public grâce aux revues de presse des radios.

L'ouverture des ondes et la multiplication des radios privées a bien sûr érodé l'audience de RFI. Des villes comme Dakar ou Cotonou comptent chacune des dizaines d'antennes. De plus en plus professionnelles, notamment RFM, la station du chanteur Youssou N'dour à Dakar. Mais RFI rassemble toujours 200.000 auditeurs dans la capitale sénégalaise, avec une part d'audience de 16 %, qui la situe au troisième rang des radios de la place. Et surtout RFI —au-delà des chiffres— c'est l'accès à l'information internationale. Essentiel sur un continent qui souffre de son isolement. Les nouvelles radios privées consacrent en effet de larges places à l'information, mais se concentrent sur l'information locale et nationale.

«Pour nous, RFI c'est une ouverture sur le monde et sur les autres pays d'Afrique», estime Alain Ndaye, journaliste dakarois, qui s'avoue bien volontiers accro à cette radio, l'une des seules qui ait les moyens d'entretenir un réseau de correspondants dans presque tous les pays du continent. Et elle comble un grand vide. Souvent, un Africain francophone est bien mieux informé sur ce qui se passe en France qu'en Afrique. «Je vais presque tous les mois à Paris, mais je n'ai jamais mis les pieds au Mali ou en Guinée-Bissau, les pays voisins», me confiait récemment un directeur de journal dakarois. Grâce à RFI, les Africains peuvent avoir une vision continentale et mondiale de l'actualité.

D'où la colère que provoque parfois cette grève prolongée. Ainsi L'observateur Paalga, titre burkinabè, s'enflamme: «Alors que certaines chaînes de radio songent à augmenter le nombre de langues étrangères dans leur grille de programmes, la France de Sarkozy ne trouve pas mieux à faire que d'emprunter le chemin inverse». Avant d'ajouter pour équilibrer son propos : «En face, si les syndicats n'ont pas tort de hausser le ton, ils ont peut-être intérêt —et la France avec eux— à revoir leurs méthodes de lutte. Ils sont, certes, gagnants en tant que salariés, mais perdants en tant que Français et francophiles. En effet, pendant qu'ils boudent les studios, les auditeurs se branchent sur des stations concurrentes, qui s'en félicitent.»

A l'occasion de cette grève marathon, les auditeurs africains découvrent ou redécouvrent «radio Londres». La BBC qui s'est dotée ces dernières années d'un puissant réseau d'émetteurs FM en Afrique. La «voix de la perfide albion» émet de nombreux programmes en français et «colle» de plus en plus au terrain. Son service français à destination de l'Afrique va d'ailleurs quitter Londres dans les mois qui viennent. Et s'installer à Dakar. Depuis un mois et demi, nombre d'Africains se prennent d'affection pour la «Beeb». «C'est une excellente radio. Les programmes d'info en français sont de bonne facture. Et en plus grâce aux programmes en anglais j'améliore ma connaissance de la langue de Shakespeare», s'enthousiasme Alain, avocat à Yaoundé. Cet auditeur n'est pas sûr, après son flirt poussé avec Londres, de retourner dans le giron de la station des bords de Seine. «En Afrique, la deuxième épouse est toujours préférée à la première», ajoute-t-il en guise de conclusion.

Rien n'est donc acquis pour RFI. Signe des temps, même les Chinois seraient sur le point de développer des programmes de radio en français... à destination de l'Afrique. Comme s'ils avaient compris, eux aussi, que la voix de la France s'est singulièrement affaiblie sur le continent. Et qu'il est temps d'en profiter. Même dans le secteur radiophonique. Mais en matière d'information, la langue de bois made in China est sans doute une arme moins létale que la voix de Londres.

A suivre sur vos antennes préférées...

Pierre Malet

Crédit: Juda Ngwenya/Reuters: libérien écoutant la radio devant le palais présidentiel, 10 août 2003.

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