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Et maintenant, légalisons la polygamie!

Pour le bien des femmes, et des enfants.

Valerie et Vicki, sœurs et épouses d'une famille polygame à Herriman, dans l'Utah en 2007. REUTERS/Kamil Krzaczynski
Valerie et Vicki, sœurs et épouses d'une famille polygame à Herriman, dans l'Utah en 2007. REUTERS/Kamil Krzaczynski

Temps de lecture: 5 minutes

Il n’y a pas longtemps, Tony Perkins, du Family Research Council, a ressorti une vieille antienne rebattue: la légalisation du mariage pour tous pourrait conduire à d’autres formes de catastrophes conjugales, comme la polygamie. Rick Santorum, Bill O’Reilly et d’autres conservateurs [idem en France, NDE] ont émis le même point de vue. Cette prédiction n’a rien de nouveau—ça fait des années qu’on nous la rabâche. Le mariage gay est une pente savonneuse! La première étape vers le pire! Si nous le légalisons, alors qu’est-ce qui viendra après? La légalisation de la polygamie?

L’espoir fait vivre.

Je ne plaisante pas. Si la Cour suprême et le reste d’entre nous sommes tous focalisés sur le droit humain à l’égalité du mariage, n’oublions pas que le combat ne s’arrête pas à l’union de deux personnes du même sexe. Car il nous faut également légaliser la polygamie. La polygamie légale aux Etats-Unis s’impose comme un choix constitutionnel, féministe et celui du mouvement pro-sexe. Plus important encore, elle permettrait réellement de protéger les femmes, les enfants et les familles, de leur donner une autonomie et de les rendre plus forts.

Depuis des décennies, la logique dominante est que la polygamie nuit aux femmes et aux enfants. Cela se tient dans la mesure où, vu la manière dont elle est pratiquée dans l’Amérique contemporaine, c’est en effet souvent le cas. Dans beaucoup de communautés polygames de l’Eglise fondamentaliste de Jésus-Christ des saints des derniers jours [les mormons], par exemple, des femmes et des filles mineures sont forcées de contracter des unions polygames contre leur gré.

Certains garçons, les hommes surnuméraires, sont brutalement mis à la porte de chez eux, deviennent SDF et sombrent dans la pauvreté alors qu’ils sont encore très jeunes. Toutes ces histoires sont tragiques, et les criminels impliqués devraient être poursuivis et sanctionnés par la justice (cela va sans dire j’espère).

Mais légaliser la polygamie entre adultes consentants ne reviendrait pas à légaliser le viol ou la pédophilie. En fait, cela permettrait même de combattre ces crimes plus facilement.

Pour l’instant, toutes les familles polygames, y compris les plus responsables et les plus saines, sont obligées de se cacher (exception faite des Brown, la famille ouvertement polygame de l’émission de TLC Sister Wives). Dans l’isolement qui en résulte, crimes et mauvais traitements peuvent s’épanouir sans entraves.

On apprend aux enfants des communautés polygames à craindre la police, et ils auront tendance à ne pas signaler un voisin qui leur inflige des sévices s’ils craignent que leurs propres parents se retrouvent au cœur d’une enquête criminelle. Si les États-Unis légalisaient la polygamie, les familles plurielles responsables pourraient sortir de l’ombre—ce qui faciliterait le travail des autorités cherchant à mettre la main sur les criminels qui s’y dissimuleraient.

Beaucoup estiment qu’il ne peut exister de famille polygame «saine et responsable», tout particulièrement pour les enfants qui y naissent. «Les enfants en pâtissent parce qu’ils sont souvent en position de rivalité permanente avec les autres enfants et les autres mères pour gagner l’affection et l’attention du patriarche de la famille», proteste John Witte Jr. dans le Washington Post. «Les hommes qui ont beaucoup d’enfants et d’épouses donnent trop peu à chacun», renchérit Libby Copeland dans Slate.

Le sérieux de ces arguments est aussi touchant qu’idéaliste. Et aux hommes d’unions monogames, cela ne risque pas d’arriver? Les enfants de familles monogames ne se disputent-il pas l’attention de leurs parents? Les familles avec deux parents ne sont pas une réalité pour des millions d’enfants américains. L’existence du divorce, du remariage, des tuteurs, de la famille élargie et d’autres arrangements familiaux signifie que la famille est d’ores et déjà une institution protéiforme—pourquoi ne pas le reconnaître de façon légale?

Il est en outre difficile de s’opposer à la liberté constitutionnelle d’expression religieuse que la légalisation de la polygamie contribuerait à protéger. La plupart des familles polygames sont motivées par leur foi, comme le mormonisme fondamentaliste ou l’islam, et tant que les acteurs impliqués sont des adultes aptes légalement à signer des contrats de mariage, il n’existe aucune raison constitutionnelle de les empêcher d’exprimer cette foi dans leur union.

La légalisation du mariage polygame serait également un plus pour les familles d’immigrants, dont certaines ont déjà contracté des mariages polygames dans leur pays d’origine et qui ont été éclatées pendant le processus d’immigration (il est impossible d’estimer exactement combien de familles polygames sont ici, puisqu’elles vivent leur identité sexuelle et religieuse en secret. Les chercheurs suggèrent qu’il pourrait y avoir entre 50.000 et 100.000 personnes pratiquant la polygamie dans le cadre de la foi musulmane aux États-Unis, sans compter les milliers de mormons fondamentalistes polygames).

Enfin, interdire la polygamie pour des raisons «féministes»—sous prétexte que ces unions sont intrinsèquement dégradantes pour les femmes impliquées—est erroné. L’argument en faveur de la polygamie est en réalité un argument féministe et témoigne aux femmes le respect qu’elles méritent. Voilà comment sont les choses: en tant que femmes, nous pouvons tout à fait faire nos propres choix. Et nous pouvons très bien faire des choix qui ne plaisent pas aux autres. Si une femme veut épouser un homme, très bien. Si elle veut épouser une autre femme, c’est très bien aussi. Si elle veut épouser un hipster, eh bien—je suppose que c’est le prix de la liberté.

Et si elle veut épouser un homme qui a déjà trois femmes, ce sont ses oignons.

Nous avons tendance à rejeter ou à marginaliser les gens que nous ne comprenons pas. Quand nous voyons des femmes dans un mariage polygame, nous les considérons comme des victimes. «Elles ont été élevées dans un environnement malsain», expliquons-nous. «Elles n’ont pas vraiment choisi la polygamie; elles sont nées dedans.» Il ne fait pas l’ombre d’un doute que c’est parfois vrai. Mais c’est également vrai de beaucoup (trop) de mariages monogames. Beaucoup de femmes, polygames ou autres, naissent dans des environnements malsains qu’elles reproduisent plus tard. C’est la même chose.

Tous les mariages méritent d’avoir accès au soutien et aux ressources nécessaires pour construire des vies équilibrées et heureuses, quel que soit le nombre de partenaires impliqués. Les arguments cherchant à savoir si les choix sexuels et amoureux consentis d’une femme sont «sains» ne devraient avoir aucune influence sur le processus légal. Et tant que la polygamie reste hors la loi, les femmes qui choisissent ce style de vie n’ont aucun accès aux protections et aux bénéfices assurés par le mariage légal.

En tant que féministe, il est à la fois facile et instinctif de soutenir les femmes qui choisissent l’éducation, l’indépendance et leur carrière professionnelle. Il ne l’est pas tant en revanche de soutenir celles qui optent pour des valeurs et des styles de vie à l’apparence désuète, voire sexiste, et pourtant ces femmes méritent notre respect au même titre que les autres. Ce n’est pas les soutenir mais faire preuve de condescendance que de les réduire au statut de simples «victimes» sans envisager la possibilité que certaines d’entre elles ont simplement fait un choix différent.

La définition du mariage est souple. Tout comme le mariage hétérosexuel n’est ni meilleur, ni pire que le mariage homosexuel, l’union de deux adultes n’est intrinsèquement ni plus ni moins «correcte» que celle de trois (ou quatre, ou six) adultes consentants. Les polygames ont beau être une minorité –une minuscule minorité en fait– la liberté n’a aucune valeur si elle ne s’étend pas aux plus petites et aux plus marginalisées de nos communautés.

Alors battons-nous pour l’égalité du mariage jusqu’à ce qu’elle s’applique à tous les couples de même sexe aux Etats-Unis –et ensuite, continuons le combat. Il n’est pas terminé.

Jillian Keenan
Auteure américaine

Traduit par Bérengère Viennot

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