France

Comment attribue-t-on un nom à une rue?

Un conseiller UMP veut proposer qu'une voie de Paris soit rebaptisée Margaret-Thatcher: ce type de décision appartient au conseil municipal mais peut être contesté en justice par le préfet ou les habitants d'une commune, parfois avec succès.

<a href="http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Plaque_Marcel_Rey.jpg">Parvis de Notre-Dame, sur les murs de l'Hôtel-Dieu</a> / Tangopaso
Parvis de Notre-Dame, sur les murs de l'Hôtel-Dieu / Tangopaso

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L’idée est née quelques heures après l’annonce du décès de Margaret Thatcher et tient en quelques mots:

«Je proposerai au prochain Conseil de Paris (22 avril 2013) que nous lui rendions hommage par la dénomination d’une rue ou d’une place. Un geste modeste pour une immense dame!»

Ces mots sont de Jérôme Dubus, conseiller de Paris et secrétaire national UMP, et son voeu, qui a suscité la colère du Front de gauche, pourrait être évoqué au prochain Conseil de Paris, même s'il n'a quasiment aucune chance d'être adopté. Un conseil lors duquel la majorité devrait par ailleurs prôner l'attribution à deux voies des noms de l'actrice Catherine Dorléac et de la romancière Nathalie Sarraute.

Cette polémique survient dans un contexte particulier. Dans la Meuse, la dernière rue au nom du maréchal Pétain devrait être renommée; à Paris, les héritiers de Boris Vian sont prêts à renommer la rue qui porte son nom à la Goutte-d'or, jugée insalubre.

Mais à qui revient précisément le choix de baptiser une rue? Ce pouvoir appartient au conseil municipal, mais il peut être contesté en justice.

Compétence exclusive du conseil municipal

Depuis les lois de décentralisation de 1982, la dénomination d’une voie publique relève exclusivement de la compétence des communes, conformément à l’article L2121-29 du code général des collectivités territoriales.

C’est au conseil municipal que tout se décide. Après avoir reçu des propositions concernant la dénomination d'une rue, le maire choisit —ou non— de les inscrire à l’ordre du jour du conseil municipal, en vertu de son pouvoir discrétionnaire de fixation de l'ordre du jour. Un pouvoir qui est néanmoins susceptible de recours pour les conseillers municipaux.

A Viry-Châtillon, dans l’Essonne, le maire avait ainsi rejeté en 2009, au nom de «l’histoire de la commune», la pétition lancée par l’opposition pour débaptiser une «rue Lénine».

En cas de vote, les conseillers municipaux valident ou rejettent la proposition de dénomination d'une voie à la majorité des suffrages.

Généralement pas une personnalité vivante

Théoriquement, même si le ministère de l'Intérieur le déconseille, rien n'interdit d'attribuer à une voie ou un édifice public le nom d'une personnalité vivante. C’est particulièrement le cas dans le milieu sportif où des stades municipaux ont été baptisés en 2012 aux noms de Vincent Clerc à Fontanil-Cornillon (Isère) ou de Dominique Rocheteau aux Clayes-sous-Bois (Yvelines).

A Paris, une délibération du 9 décembre 1938 n'autorise normalement pas la dénomination d'une voie du nom d'une personne qui n'est pas décédée depuis moins de cinq ans. Mais plusieurs décisions municipales y ont dérogé: la rue Annie-Girardot, inaugurée en septembre 2012, moins de deux ans après son décès, ou la place Jean-Paul-II, sur le parvis de Notre-Dame, inaugurée seulement un an après sa mort.

Pétitions et consultations

Les citoyens peuvent avoir leur mot à dire dans le choix du nom d'une rue: il suffit de transmettre une demande écrite ou orale au maire, qui décidera alors des suites à donner.

La pétition est aujourd’hui l’un des moyens privilégiés pour se faire entendre. A Pamiers (Ariège), une pétition en ligne militait ainsi, non sans humour, pour renommer «rue de Londres» une portion de route de la ville où l’on roule à gauche.

Dans ce délicat exercice, les maires optent d'ailleurs souvent pour la concertation au moment de nommer de nouvelles voies publiques. A Paris, en 2011, la mairie du 20e arrondissement avait mis en place un sondage en ligne afin de renommer une place du quartier d’Oberkampf.

D’autres, pour s’épargner les traditionnelles déclinaisons géographiques (rue d’Espagne, avenue des Etats-Unis...), procèdent à des consultations originales. La commune d’Emerainville (Seine-et-Marne), par exemple, a laissé les écoliers de la ville choisir les dénominations de rues (rue de la Fée, rue du Lapin vert, allée des Lutins...).

Intérêt public local

Si les habitants d'une commune peuvent être consultés sur les choix des noms de rues, ils peuvent aussi, tout comme le sous-préfet ou le préfet, les contester devant la justice administrative: la loi leur offre un délai de deux mois après la publication de la délibération.

La motivation du recours peut être très prosaïque: un individu peut par exemple mettre en avant des contraintes administratives engendrées par le changement de son adresse postale. A Levallois-Perret, le changement de nom d’une rue avait ainsi provoqué la colère des riverains en 2011. Si la municipalité n’avait pas reculé sur sa décision, elle avait décidé de verser 20 euros de compensation par foyer pour les formalités administratives.

Autres considérations qui entrent en jeu, celles d’intérêt public local, que résumait en 2011 le ministère des Collectivités territoriales:

«L'attribution d'un nom à un espace public ne doit être ni de nature à provoquer des troubles à l'ordre public, ni à heurter la sensibilité des personnes, ni à porter atteinte à l'image de la ville ou du quartier concerné.»

Jacques Médecin, Jean-Pierre Stirbois et Jack Lang

En 2004, le conseil municipal de Nice avait décidé de débaptiser une place du centre-ville pour la transformer en «Espace Jacques-Médecin». Le préfet des Alpes-Maritimes, Pierre Breuil, avait aussitôt demandé l’annulation de cette délibération du conseil municipal de la ville, soutenant qu’elle était «entachée d’une erreur manifeste d’appréciation» en raison des lourdes condamnations pénales prononcées à l’encontre de l'ancien maire de la ville. La requête du préfet avait finalement été rejetée par la cour administrative d’appel de Marseille en 2007.

Avec plus de réussite, en 1997, des habitants avaient saisi la justice de la décision de Catherine Mégret, la nouvelle maire maire FN de Vitrolles, de renommer l’avenue Jean-Marie-Tjibaou (dirigeant canaque assassiné en 1989) en avenue Jean-Pierre-Stirbois (ancien secrétaire général du FN). Le tribunal administratif de Marseille avait annulé deux ans plus tard le changement de nom opéré par la municipalité pour vice de forme.

Aux considérations d'intérêt public local s’ajoute le principe de neutralité auquel est tenu le service public. Difficile d’imaginer par exemple qu’une rue ou un édifice public puisse porter le nom d’une personnalité vivante exerçant des responsabilités politiques. En 2007, la justice avait ainsi annulé, à la demande d'un habitant de Beuvray (Nord), l'attribution à une école du nom de Jack Lang.

Robin Panfili

L'Explication remercie Delphine Krust, avocate en droit public et en droit des collectivités territoriales au barreau de Paris.

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