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Dominique Guellec, chef de la division des études pays au département science et technologie de l'OCDE, est catégorique: aucun pays de l'OCDE ne subventionne autant la recherche et développement des entreprises que la France. L'organisation a même mis au point un indicateur dit «de générosité», qui indique quel pourcentage de la R&D privée est pris en charge par les contribuables. Et à ce petit jeu, l'Hexagone arrive, et de très loin, en tête. L'Etat y rembourse environ 34% les dépenses de R&D des entreprises, contre 18% au Canada, 11% au Japon, environ 10% au Royaume-Uni et en Corée du Sud, et 7% aux Etats Unis...
A l'inverse, des pays comme la Suède, la Suisse ou l'Allemagne se permettent même le luxe d'afficher des «taux de subventions négatifs»: il serait là-bas plus rentable pour les entreprises de s'abstenir de chercher, fiscalement parlant, du moins. Il est vrai que ces Etats n'ont guère besoin de casser leur budget puisque leurs entreprises, de toutes façons, ont une tradition bien ancrée de forte R&D.
Bref, non seulement la France est généreuse pour ceux qui cherchent, mais elle se situe carrément hors catégorie. Un vrai paradis fiscal.
Quelques puristes remarqueront certes que l'Espagne et le Portugal affichent des taux de «générosité» sensiblement équivalents: «Mais ils s'appliquent sur une base de R&D infiniment plus restreinte», note notre expert.
Si l'Hexagone est un havre de recherche, c'est grâce à une mesure: le crédit impôt recherche, qui permet à toutes les entreprises de diminuer leur impôt sur les sociétés (IS) d'un montant équivalent à 30% de leurs dépenses de R&D jusqu'à 100 millions d'euros, et de 5% au-delà.
Un mécanisme créé au début des années 1980 et qui a au fil des ans évolué pour devenir l'un des plus généreux de la planète: «Au début, raconte ainsi Dominique Guellec, il était plafonné et récompensait seulement les entreprises qui accroissait leurs dépenses de R&D». Désormais, il s'applique à toutes les dépenses de R&D, qu'elles augmentent ou diminuent, et n'est plus soumis à un quelconque plafond. Les dernières réformes décisives ont été réalisées en 2008, et elles permettent parfois des économies d'impôt impressionnantes.
Aujourd'hui, le dispositif –qui coûte environ 5 milliards d'euros de manque à gagner à l'Etat–, concentre à lui seul environ les 3/4 des aides de l'Etat à la recherche privée, constatait un rapport de la Cour des comptes en 2011.
Quels effets?
Las: sa générosité ne place pas pour autant la France vraiment en haut du classement des pays les plus actifs en matière de R&D.
Dominique Gallec constate:
«Grosso modo, l'Hexagone se situe dans la moyenne des pays de l'OCDE, devant les pays d'Europe du Sud, mais derrière l'Allemagne et les pays d'Europe du Nord.»
Un rang qui reflète à peu près la position de la France en matière de publications, brevets, etc. et que confirme, par exemple, l'indice «de préparation aux réseaux» (une sorte de classement du degré de «numérisation» des économies) que vient de publier l'INSEAD et le World Economic Forum.
Pire: la générosité croissante du CIR, notamment depuis 2008, n'a pas permis de faire progresser les dépenses de R&D privées. Au contraire, explique Dominique Gallec:
«Entre 2008 et 2011, le montant de la R&D exécutée (autrement dit, réalisée) par les entreprises a progressé d'environ 200 millions d'euros, mais leurs dépenses, elles, ont fléchi de 2,8 milliards d'euros. Autrement dit, l'Etat a pris le relais, via le crédit d'impôt recherche, à hauteur de 3 milliards d'euros.»
Ceci dit, peut-être les programmes de R&D auraient-ils carrément fondu si la puissance publique n'avait pas été là...
Et c'est du reste bien, sans doute, le but de la manoeuvre: le crédit d'impôt sert moins à augmenter la recherche privée (sauf pour les PME), qu'à dissuader les grands groupes d'aller installer leurs équipes ailleurs. Voire à inciter les entreprises étrangères à s'implanter en France.
Reste à savoir si la carotte fiscale est efficace:
«De fait, la R&D a moins baissé en France qu'ailleurs en 2009. Mais elle est aussi moins vite reparti après.»
Et si la France compte quelques grands centres de recherche, notamment étrangers (Microsoft, Kraft foods, Motorola...), ce dont du reste l'agence française pour les investissements internationaux se vante, d'autres sont à la peine: celui d'Alcatel à Villarceaux (Essonne) reste le dernier bastion de l'équipementier français dans l'Hexagone. Sanofi lui aussi a fait des coupes claires dans sa recherche. Pour recevoir des crédits d'impôts, il faut d'abord être en mesure de dépenser...
Catherine Bernard