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Des animaux clonés dans les assiettes européennes

Les ministres de l'Agriculture de l'Union sont favorables à la commercialisation des «nouveaux aliments» issus du clonage.

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On croyait l'affaire classée. Et voici qu'elle rebondit de la manière la plus étonnante qui soit: les 27 ministres de l'Agriculture de l'Union européenne viennent de relancer la polémique sur la consommation d'aliments issus d'animaux créés par clonage. Lors d'une réunion à Luxembourg, ils ont, lundi 22 juin, clairement envisagé la possibilité d'autoriser la commercialisation de ces aliments et ce malgré le consensus général qui prévaut dans ce domaine sur le Vieux Continent.

Comment comprendre? La polémique est relancée dans le cadre du nouveau projet de réglementation européen concernant ce que le jargon administratif désigne comme les «nouveaux aliments». Nouveaux aliments? On trouve là, nous dit l'Agence France Presse, des substances plus ou moins improbables comme des larves de scarabée, cet insecte coléoptère coprophage que certains dénomme bousier et qui dont on sait qu'il a pour activité principale de rouler en boule les excréments des mammifères. Il est aussi question de produits alimentaires élaborés à base d'algues ou de plancton. Mais il est aussi et surtout question de tous les aliments issus des laits et des viandes de mammifères créés, directement ou non, par la technique du clonage.

Le projet des ministres de l'Agriculture vise officiellement à introduire des dispositions réglementaires qui n'existent pas encore aujourd'hui dans un secteur très mouvant. Il s'agit d'imposer des procédures d'autorisations strictes et uniformisées dans  l'Union afin de développer et de mettre sur le marché des «aliments innovants sûrs» tout  en garantissant «un niveau élevé de sécurité des aliments et de protection de la santé humaine». A la manière des médicaments ces «nouveaux aliments» devront disposer d'une sorte d'«autorisation de mise sur le marché» délivrée, ici, par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et la Commission européenne.

Clonage et descendance

Si le propos est compréhensible pour le scarabée et ses larves, il en va tout autrement pour ce qui est des aliments issus du clonage des mammifères compte-tenu des nombreuses incertitudes scientifiques et sanitaires et de l'état de l'opinion.

Une précision, ici, s'impose. Le projet qui vient d'être adopté à Luxembourg concerne certes les animaux créés par clonage mais aussi leur descendance obtenue, elle, par voie sexuelle. C'est le point le plus important. Car tout laisse aujourd'hui penser que les industries de l'élevage ne désirent pas tant commercialiser les produits directement issus du clonage (technique fort coûteuse et encore mal maîtrisée) que la descendance de bovins, ovins ou autres porcins clonés. En pratique, le clonage se substituerait aux techniques séculaires  de la sélection par croisement.

La technique offrirait de considérables avantages en permettant de créer rapidement des lignées d'animaux aux caractéristiques (volume de production de lait, quantité et qualité de la viande) économiquement intéressantes. Et les industries concernées postulent qu'au fil du temps la notion de la création initiale par clonage disparaîtra. Qui saura que les laits et les  viandes présentes dans les assiettes européennes proviennent d'animaux qui ont eu un ou plusieurs ancêtres clonés?

«Un parfait scandale»

Comme on pouvait l'imaginer, la décision des ministres européens de l'Agriculture a été sévèrement critiquée par les écologistes au Parlement européen. Ces derniers se sont dits «profondément préoccupés par le fait que les gouvernements européens laissent la porte ouverte à la vente de viande clonée». «C'est un parfait scandale!» a, lapidaire, déclaré le député européen Vert et français José Bové qui mène de front le combat contre le clonage animal et les OGM végétaux. L'initiative des ministres européens de l'Agriculture est difficile à comprendre. On peut, au choix, imaginer un lobbying intense des industries concernées ou la peur d'entrer à nouveau en conflit dans la sphère alimentaire avec les Etats-Unis où la Food and Drug Administration a donné son feu vert mais où la situation est encore assez confuse.

Jusqu'ici, dans l'Union européenne, jusqu'ici semblait converger vers une interdiction des aliments issus, directement ou non du clonage animal. Il y avait d'abord eu, en janvier 2008 les conclusions des experts du Groupe européen d'éthique des sciences et des nouvelles technologies avaient émis, dès le mois de janvier 2008, un avis négatif sur la commercialisation d'aliments issus de la technique du clonage. Ils invoquaient notamment «les souffrances et les problèmes de santé» des animaux  ainsi créés. Ces experts rejoignaient sur ce point les conclusions formulées trois ans auparavant par les experts de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments.

Il y avait eu ensuite la publication par la Commission européenne des résultats d'une vaste enquête qui ne laissaient aucun doute quant à l'opinion des citoyens européens sur ce sujet: 84% des 25.000 personnes interrogées, dans les 27 Etats européens, estimaient que l'on manque de recul pour juger des conséquences sanitaires à long terme de cette consommation. Mieux 58% des citoyens européens interrogés déclaraient que pour des raisons éthiques la création de mammifères par la technique du clonage à des fins alimentaires «sera toujours injustifiable» et 43% affirmaient qu'ils n'achèteraient «certainement jamais de tels produits».

Avant que ne soit connue l'opinion majoritairement défavorable des citoyens européens, l'EFSA avait, en juillet 2008 fait preuve d'une très grande prudence sanitaire autant que politique. Les experts de l'EFSA reconnaissaient qu'il n'existait pas de données scientifiques permettant d'affirmer que des différences existent entre ces nouveaux animaux et ceux issus d'une reproduction sexuée. Pour autant, ils se gardaient bien de se prononcer en faveur de leur possible consommation.

Un texte de compromis

Enfin, en mars dernier, le Parlement européen se prononçait à une large majorité pour une interdiction pure et simple de toute commercialisation de tels aliments. En 2008, Androulla Vassiliou, Commissaire européenne à la santé avait fait savoir qu'elle était personnellement opposée à cette commercialisation. Mais plusieurs de ses collègues ne partagent pas une telle position et on aimerait connaître le point de vue du président José Manuel Barroso.

Lundi à Luxembourg, plusieurs ministres de l'agriculture ont fait savoir que le texte adopté était un compromis entre les pays favorables et ceux opposés au clonage. La ministre allemande s'est dite personnellement «sceptique» sur les aliments clonés. Quant au ministre français  Michel Barnier qui vient d'être élu député européen (et est pressenti pour devenir le prochain commissaire européen de la France), il n'a pas modifié son avis sur le sujet: «Là où je serai je me battrai pour l'interdiction pure et simple des aliments clonés comme pour celle du boeuf aux hormones ou du poulet chloré».

L'équation est posée. Qui de la science sanitaire, de l'opinion publique ou de la politique l'emportera? Avec une question connexe: si ces aliments sont autorisés, mentionnera-t-on le fait qu'ils sont directement ou non issus du clonage comme on indique aujourd'hui, depuis l'affaire de la vache folle, l'origine géographique des viandes que l'on consomme? On observera, enfin, que la question se pose dix ans seulement après l'apparition de Dolly, premier mammifère créé par clonage. Combien parmi les amateurs de mouton auraient, lorsque cette brebis est morte prématurément, accepté d'en consommer les chairs?

Kléber Ducé

Image de une: CC Flickr FotoosVanRobin

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