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Garder la tête froide sur le front coréen

Beaucoup d'experts de la dictature nord-coréenne voient du bluff dans les provocations de Kim Jong-un. Sauf que plusieurs signaux inquiètent, à commencer par le changement de ton de Pékin à l'égard de son allié.

Exercice de soldats nord-coréens que l'agence officielle KCNA a diffusé le 7 avril. REUTERS/KCNA
Exercice de soldats nord-coréens que l'agence officielle KCNA a diffusé le 7 avril. REUTERS/KCNA

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Déclaration de l’«état de guerre» avec le voisin du sud, avertissement aux Etats-Unis qu’une attaque nucléaire était possible, dénonciation de l’accord d’armistice de 1953 entre les deux Corées, demande d’évacuation des ambassades étrangères à Pyongyang, fermeture de la zone économique mixte de Keasong, transfert sur la côte est de missiles susceptibles d’atteindre l’île américaine de Guam… Depuis le mois de février et le dernier essai  nucléaire nord-coréen, la tension monte chaque jour d’un cran dans la péninsule. Bluff ou prémices d’un conflit armé?

Il y a quelques semaines encore la réponse aurait été évidente. La première hypothèse l’aurait emporté. Kim Jong-un tente un coup de poker. Le jeune leader de la Corée du Nord qui a hérité le pouvoir de son père Kim Jong-il, mort en décembre 2011, chercherait à s’imposer dans le Parti communiste et auprès de la hiérarchie militaire. Quoi de mieux que de jouer des muscles vis-à-vis de l’ennemi héréditaire, la Corée du Sud et ses protecteurs américains? D’autant plus que Kim Jong-un a manifesté quelques velléités d’entreprendre des réformes économiques pour tenter d’élever le niveau de vie de ses 24 millions de compatriotes, plusieurs fois frappés par des famines au cours des dernières années.

Cette interprétation continue d’avoir cours chez certains spécialistes occidentaux de la Corée du Nord. Elle est confortée par les indiscrétions qui ont filtré après une rencontre à Pyongyang entre Kim Jong-un et la vedette du basket américain Dennis Rodman: «Dites à Obama qu’il me téléphone», aurait confié le jeune dictateur à son visiteur. Son objectif prioritaire serait donc d’être reconnu comme un interlocuteur par le président des Etats-Unis. Comme son père et son grand-père Kim Il-sung, le fondateur du régime communiste après la Deuxième guerre mondiale.

La possession de l’arme nucléaire n’est pas, pour lui, une monnaie d’échange mais une garantie de sécurité, l’assurance que les Américains ne pourront pas forcer un changement du système politique nord-coréen par la force. Comme le disait feu le général Poirier, un des concepteurs de la doctrine nucléaire française, «je crois à la vertu rationalisante de l’atome», autrement dit le possesseur de l’arme nucléaire entre nécessairement dans la logique de la dissuasion, qui fait de la bombe une arme de non-emploi. Sur ces bases, le dialogue serait possible avec les Etats-Unis comme avec la Corée du Sud.

Ce raisonnement est-il toujours valable au vu des décisions annoncées par Kim Jong-un ces dernières semaines? Il est permis d’en douter. Le président nord-coréen a pris des mesures sans précédent, qui semblent aller à l’encontre des intérêts immédiats de son pays. Par exemple, la fermeture de la zone d’économie-mixte de Kaesong, près de la ligne de démarcation des deux Corées. Des entreprises sud-coréennes y emploient plus de 50.000 travailleurs nord-coréens qui rapportent plus de 200 millions de dollars à la Corée du Nord dont le le pays a besoin pour nourrir sa population.

Ou encore la demande d’évacuation des représentations étrangères dans la capitale Pyongyang, y compris les ambassades de Chine et de Russie, deux pays qui font figure d’alliés. Peut-être, la Corée du Nord craint-elle des représailles militaires des Etats-Unis en cas de nouvel essai nucléaire, ou feint-elle simplement de la croire. A titre de précaution, Barack Obama a envoyé dans la région deux croiseurs, des bombardiers furtifs et a renforcé la défense antimissiles de l’île de Guam. Les Etats-Unis ont élargi les manœuvres communs avec l’armée sud-coréenne.

Toutes ces manœuvres inquiètent la Chine qui a fini par rompre avec les euphémismes qu’elle employait à propos de la Corée du Nord. Sans toutefois citer ce pays, le nouveau Président chinois Xi Jinping a fait une déclaration qui le visait clairement:

«Personne n’a le droit de menacer de plonger dans le chaos une région et a fortiori le monde entier pour des raisons égoïstes».

Ce changement de ton se traduira-t-il par une politique plus dure vis-à-vis de Pyongyang? Certes la Chine s’est ralliée au durcissement des sanctions internationales décidées par le Conseil de sécurité de l’ONU après l’essai nucléaire nord-coréen de février dernier. Mais du vote de sanctions à leur mise en œuvre, il y a un grand pas que les Chinois hésitent à franchir.

Au-delà du souvenir de la fraternité d’armes dans la guerre de Corée (1950-1953), la Chine tient la Corée du Nord à bout de bras pour des raisons à la fois politiques et économiques. Elle lui fournit 80% de ses besoins en énergie et lui offre un marché pour ses produits. Les Chinois craignent qu’un affaiblissement, a fortiori un effondrement du régime de Pyongyang ne provoque une vague d’immigration de Nord-Coréens en direction de leur grand voisin. Ils ont peur d’autre part d’une déstabilisation de toute la région qui mettrait en cause leur développement économique et inciterait les Etats-Unis à renforcer leur présence dans le Pacifique.

Ont-ils les moyens de freiner les ardeurs guerrières du dictateur de Pyongyang, que ses allures de gros bébé, ses études en Suisse et sa jeune femme élégante, faisaient récemment encore passer pour un «moderniste»?

Daniel Vernet

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