Life

Le journal n'est pas encore mort

Pourquoi le papier est toujours meilleur que le Kindle.

Temps de lecture: 5 minutes

Il y a quelques années, après avoir reçu la facture exorbitante de trop, j'ai annulé mon abonnement quotidien au New York Times (NYT). Ça n'a pas été facile; même si j'écris pour le Web et que je lis la majorité des actualités en ligne, j'ai toujours adoré les journaux papier. Cet engouement n'a rien d'une habitude ou d'une quelconque nostalgie: comme je l'ai déjà écrit, il n'y a pas de meilleure façon d'avoir une vue d'ensemble de ce qui se passe qu'en lisant un journal. Le papier est maniable, facile à trouver, facile à utiliser et par-dessus tout, facile à feuilleter – il vous permet de jeter un coup d'œil à plusieurs articles en même temps et de lire autant que vous le souhaitez sans vous perdre dans les sables.

Mais les journaux sont chers (770$ par an [556€] pour votre livraison quotidienne du Times) et lents. Mon téléphone me permet d'accéder à des news plus neuves que celles qu'il y a dans mon journal du matin, et c'est gratuit! Aujourd'hui, les journaux sont pour moi un luxe; je les lis dans les avions et les hôtels, quand j'ai du temps et une connexion internet aléatoire ou quand je me sens assez blindé pour dépenser un dollar ou deux pour les news de la veille. Mais le papier me manque quand même beaucoup – c'est pour cela que je nourrissais de grands espoirs quant au Kindle DX, le nouveau et large lecteur électronique d'Amazon.

Pour Amazon, c'est l'appareil parfait pour lire les journaux. Quand la firme a annoncé le mois dernier la sortie du DX, Arthur Sulzberger Jr., éditeur du Times, en a parlé comme «d'un pas important dans la convergence entre l'imprimé et le numérique». Sulzberger a raison, je crois: après l'avoir utilisé pendant une semaine, je peux dire que le Kindle est une bonne première tentative de marier les qualités du papier et du numérique. Le problème, c'est qu'il n'est pas encore assez bon.

Le DX, c'est un peu le Hummer des Kindles. Le Kindle standard possède un écran de 6 pouces, pèse moins de 500 grammes, peut contenir 3500 livres et vaut 359$ (soit 259€). Le DX, ce qui n'est pas le cas dans la version standard, possède un lecteur PDF intégré et peut être à la fois utilisé en mode portrait et mode paysage – le texte bouge quand vous le tournez, comme un iPhone. Pour le reste, le gros Kindle est identique au petit: il possède le même merveilleux affichage en E-Ink et peut se connecter instantanément et sans fil à l'énorme boutique en ligne d'Amazon. Et il est tout aussi addictif – vous vous retrouvez vite incapable de faire autre chose que d'acheter et de lire plus de livres que vous n'en avez jamais lus.

Le DX a aussi quelques avantages évidents sur les journaux. Il est moins cher qu'un abonnement aux quotidiens nationaux – entre 6$ et 15$ par mois (entre 4€ et 11€), selon les titres. Vous pouvez acheter un DX neuf livré avec un abonnement annuel à la version Kindle du NYT pour environ 650$, moins cher que la livraison du papier. (Le NYT, le Boston Globe et le Washington Post ont tous annoncé qu'ils offriraient des réductions pour l'achat de nouveaux Kindles aux personnes habitant dans des zones où il n'est pas possible de se faire livrer les versions papier, mais les détails, jusqu'ici, sont restés flous). Le DX est aussi plus maniable qu'un journal et vous permet d'avoir sur vous plusieurs quotidiens en même temps et de les lire dans le train sans éborgner les autres passagers. De plus, vous pouvez emmener votre Kindle en vacances, il ne finit jamais trempé par la pluie et vos voisins ne peuvent pas vous le voler le matin.

Mais les deux versions du Kindle n'ont pas la qualité première des journaux papiers: la maquette. Le Kindle vous présente les news sous forme de listes – une liste de rubriques (international, national, etc.) avec, dans chaque rubrique une liste de titres et une capsule contenant une phrase de chaque article. C'est à vous de deviner, à partir de la liste, quel article lire. Et c'est, au final, une façon bien affreuse de naviguer dans les actualités.

N'importe quel journal que vous avez lu dans votre vie a été organisé par une personne qui savait quel article était le plus important du jour. Les journaux convertissent cette expertise en des conventions graphiques universelles et faciles à comprendre – ils mettent les articles importants en première page, les plus importants d'entre eux sont le plus haut sur la page, avec le plus de place et les plus gros titres. Vous pouvez tomber au hasard sur n'importe quelle page du journal et – en lisant juste les titres, intertitres et légendes de photos – saisir rapidement l'essentiel des différentes actualités présentes. Même quand vous choisissez de lire un article, vous n'avez pas à le lire en entier. Comme vous pouvez instantanément passer d'un article à un autre, vous pouvez vous contenter de quelques paragraphes et passer à autre chose.
Par exemple, prenez la page A25 de l'édition nationale du Times du jeudi 18 juin avec ses quatre articles: un grand sur la décision de l'administration Obama de virer un inspecteur général fédéral, un plus petit sur l'intention de l'administration de remplacer les membres du panel de bioéthique de la Maison Blanche, un article sur la contamination à l'amiante de la ville de Libby, dans le Montana, et une brève sur le sénateur Roland Burris et sa rencontre insignifiante avec le procureur de l'Illinois. Un habitué peut digérer cette page en moins de deux minutes. Les articles sur l'inspecteur général et la bioéthique sont évidemment les plus importants, vous piochez donc dedans 45 secondes pour chaque. Ensuite, vous passez 15 secondes sur l'histoire de l'amiante, suivies de 5 secondes sur la colonne de Burris, qui ne fait que cinq paragraphes. De la sorte, il vous faut moins d'une demi-heure pour terminer toute la section A.

Il est plus difficile et plus fastidieux de digérer ces mêmes articles sur le Kindle. Premièrement, ils ne sont pas dans l'ordre. Quand j'ai fait défiler le numéro de jeudi dans mon Kindle, le plus court et le moins important de ces articles – celui sur Burris – est arrivé en premier. Pire: parce que le Kindle donne à tous les articles la même police de titre, l'aperçu ne vous donne aucune idée du caractère maigrichon de la dépêche. La seule façon de savoir si l'article mérite votre attention est de cliquer dessus. Mais le clic c'est du temps – le Kindle met une demi-seconde environ à passer de la liste à l'article, et pareil pour revenir. Ça semble instantané mais ça ne l'est pas; le temps est juste assez long pour vous faire changer votre façon de lire les news. Maintenant, si au lieu de le digérer rapidement, vous vous mettez à lire le journal comme vous liriez un livre – quand vous trouvez un article, vous y restez jusqu'à la fin. Vous troquez largeur contre profondeur: en 30 minutes sur le Kindle, vous aurez exploré beaucoup moins d'articles que sur le papier.

Le journal-en-listes de Kindle avait un sens alors que le premier modèle de l'appareil n'avait pas un écran suffisant pour lire une version maquettée du journal. Mais l'écran du DX est très large – et c'est justement ce qui le rend si décevant. Selon les commerciaux d'Amazon, rien dans la boutique Kindle n'a été conçu spécialement pour le DX – tous les contenus sont les mêmes sur les deux appareils. Ce qui signifie que le gros de ce supplément d'écran du DX est gâché.

Il est facile d'imaginer la solution. Les journaux pourraient fournir au Kindle une version de leur contenu avec des informations sur l'importance relative de chaque article; le Kindle pourrait lire ces données et afficher les articles d'une façon semi-maquettée plutôt que dans une liste rigide. Beaucoup de journaux disposent déjà de ces informations vu qu'ils organisent leurs articles sur leurs sites internet.

En attendant, le Kindle sera un mauvais équivalent du journal. Et il n'est d'ailleurs même pas aussi bon qu'un smartphone. Vers 22h30 hier soir, j'ai allumé mon Kindle en espérant trouver les journaux du jour – qui, après tout, avaient déjà été mis en ligne. Mais je n'ai trouvé que de vieilles news; les mises à jour du Kindle ne se font qu'une fois par jour, au milieu de la nuit. Mon iPhone recueille les infos en continu et ce sur chaque site de journal et me montre les actualités d'une façon qui me suggère leur importance. Et en plus, on peut téléphoner avec.

Farhad Manjoo

Article publié sur slate.com le 18 juin 2009 et traduit par Peggy Sastre.

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