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Le guide des paradis fiscaux

Une cinquantaine de pays peuvent être considérés comme des paradis fiscaux, avec chacun sa ou ses spécialités en matière d'opérations et services financiers.

Temps de lecture: 9 minutes

Pourquoi Jean-Jacques Augier, trésorier de la campagne de François Hollande en 2012, a-t-il créé ses entreprises aux îles Caïmans et pas dans un autre paradis fiscal? Pourquoi l’ancien ministre du Budget Jérôme Cahuzac et l’héritière de L’Oréal Liliane Bettencourt ont-ils choisi la Suisse et Singapour pour mettre leur argent sur des comptes anonymes?

Selon les différentes listes d’ONG et d‘organisations internationales (l'une des plus complètes est l'index du secret financier du Réseau pour la justice fiscale), il existe plusieurs dizaines de pays qui peuvent être considérés comme des paradis fiscaux. Mais ces pays sont loin de tous se ressembler, et chacun se spécialise dans l’accueil d’un ou plusieurs types d’opérations financières, des plus simples aux plus complexes.

Voici un petit guide des opérations et services préférés des personnes et des entreprises qui se tournent vers ces pays, dont le principal dénominateur commun est l’opacité, et des spécialités de chacun de ces (généralement petits) Etats.

Captives d’assurance et de réassurance

Qu’est-ce que c’est?

Les captives d’assurance sont des filiales créées par des grosses entreprises dont l’activité principale n’est pas l’assurance pour jouer le rôle d’un assureur classique. Elles couvrent les risques du groupe auquel elles appartiennent et que celui-ci ne peut ou ne veut pas faire couvrir par un assureur traditionnel. La constitution d’une captive permet de diminuer la charge globale des frais d’assurance d’une entreprise et de profiter de la souplesse fiscale et réglementaire du pays de domiciliation. Si aucun sinistre ne survient, l’entreprise peut récupérer son investissement.

Une captive de réassurance réassure également auprès de réassureurs internationaux.

Le leader mondial: les Bermudes


La reine Elizabeth et le prince Philippe à Hamilton, aux Bermudes, pour le 400e anniversaire de l'Île le 25 novembre 2009, REUTERS/Hans Deryk

Les Bermudes, territoire d'outre-mer britannique constitué d'un archipel au large de l'Amérique du nord, étaient en 2009 la première place mondiale dans l’enregistrement des captives d’assurance et un lieu d'implantation apprécié des compagnies de réassurance, et pour cause: la législation sur les assurances y est presque inexistante et les compagnies ne sont soumises à aucun prélèvement fiscal.

Les Bermudes occupent la 12e place sur l'index du secret financier, et il y règne le secret financier dans de nombreux domaines. L'archipel est également réputé pour son management des trusts patrimoniaux.

Autres pays spécialistes: Les autres pays à abriter de nombreuses captives d’assurance sont entre autres les îles Caïmans, les Etats-Unis (Vermont), les îles Vierges britanniques, Guernesey, la Barbade, le Luxembourg et les îles Turques-et-Caïques.

Trusts offshore

Qu’est-ce que c’est?

Un trust offshore est une structure juridique de gestion d’actifs basée dans un pays étranger, le plus souvent un paradis fiscal. La personne qui crée le trust transfère des capitaux au trust et identifie un fiduciaire («trustee» en anglais), qui va gérer les capitaux selon l’accord passé, et un bénéficiaire, qui peut inclure la personne qui a créé le trust. Cette opération permet de détacher légalement les capitaux transférés de la personne qui a créé le trust. Un trust peut notamment être utilisé pour protéger un patrimoine contre les jugements étrangers ou les ordonnances d’un tribunal ou encore effectuer une succession peu coûteuse.

Il existe de nombreux types de trusts offshore, qui peuvent contenir des espèces, des biens immobiliers, un commerce, des investissements ou encore des polices d’assurances.

Le leader mondial: le Belize


La jungle du Peten à la frontière entre le Belize et le Guatemala, REUTERS/Daniel Leclair

Il n'existe pas de chiffres sur les pays qui abritent le plus de trusts offshore au monde, mais le Belize figure en haut de toutes les listes de pays à considérer pour la protection des actifs offshore.

Coincé entre le Mexique et le Guatemala, cette ancienne colonie britannique assume totalement son statut de paradis fiscal: le site Belize Offshore, disponible en 10 langues et sur lequel figure le logo de la chambre de commerce du pays, est un véritable petit guide touristique vantant les avantages fiscaux locaux. On y apprend par exemple que le pays est «un des meilleurs paradis fiscaux dans le monde», et «l’une des meilleures options» pour la protection des actifs offshore.

On peut également y lire que «le gouvernement du Belize s'est engagé à demeurer la destination de première classe pour les entreprises et les particuliers qui cherchent des occasions bancaires internationales», contrairement à d’autres pays qui ont «succombé aux pressions croissantes de divulgation des informations de leurs investisseurs étrangers». Tout un programme.

Autres pays spécialistes: Bahamas, îles Caïmans, îles Cook, Saint-Christophe-et-Niévès, Guernesey, Jersey, Suisse, Liechtenstein, Malte.

Fonds spéculatifs

Qu’est-ce que c’est?

Aussi appelés hedge funds, ce sont des fonds d'investissement moins réglementés que d’autres, permettant une importante spéculation. Ils sont généralement très rentables et fortement opaques. Ils siègent dans des pays qui ne les restreignent pas, comme les paradis fiscaux. En 2011, la moitié des fonds spéculatifs du monde étaient domiciliés offshore.

Le leader mondial: les îles Caïmans


A George Town dans les Îles Caïmans le 27 avril 2010, REUTERS/Gary Hershorn

Les îles Caïmans, où il n’y a ni impôt sur le revenu, ni impôt sur les sociétés, ni impôt sur la fortune et où le secret bancaire règne, sont sans doute l’un des paradis fiscaux avec la palette la plus complète de services.

Ce territoire d’outre-mer du Royaume-Uni est notamment le leader mondial en matière de fonds spéculatifs avec pas moins de 10.000 hedge funds. En 2012, 39% des hedge funds de la planète y étaient domiciliés. C’est là-bas qu’était domicilié le fonds LTCM, dont la quasi-faillite en 1998 a ébranlé la finance internationale.

Le pays est numéro 2, après la Suisse, sur l’index du secret financier du Réseau pour la justice fiscale. Les Caïmans ont non seulement un des systèmes les plus secrets au monde, mais représentent aussi près de 5% du marché global des services financiers offshore, une part bien plus importante que les autres paradis fiscaux des Caraïbes.  

En 2007, les actifs qui y étaient gérés étaient évalués à 1.400 milliards de dollars. Les banques immatriculées aux îles Caïman gèrent des dépôts évalués à 500 milliards de dollars environ (plus que toutes les banques de New York) ce qui en faisait en 2007 la cinquième place financière mondiale. Outre les fonds spéculatifs, les Caïmans abritent aussi un pourcentage non-négligeables de presque toutes les autres spécialités offshore présentes dans cet article.

Autres pays spécialistes: En 2012, les pays qui domiciliaient le plus de hedge funds après les Caïmans étaient les Etats-Unis (31% du total mondial, dont la grande majorité dans le Delaware), le Luxembourg (9%), l'Irlande (7%), les îles Vierges britanniques (5%) et les Bermudes (3%), Guernesey (1%) et la Suisse (0,4%). La Barbade et Jersey accueillent également de nombreux hedge funds.

Fusion-acquisition

Qu'est-ce que c’est?

De manière générale, c’est le rachat d’une entreprise par une autre, souvent dans le but d’accroître ses activités économiques et d’augmenter son profit. Au dernier trimestre 2012, 590 opérations de fusion-acquisition offshore ont été effectuées dans le monde pour une valeur totale de 79 milliards d’euros, soit une taille moyenne de 134 millions d’euros par opération. Les premiers secteurs concernés par cette activité sont la finance et les assurances.

Le leader mondial: les îles Vierges britanniques


La princesse Diana avec les princes William et Harry sur Necker Island dans les îles Vierges britanniques en 1990, REUTERS/Rob Taggart

Les Caïmans sont habituellement le leader incontesté de cette catégorie, mais une énorme opération dans les îles Vierges britanniques a fait passer momentanément cet autre territoire d'outre-mer britannique des Caraïbes en tête au dernier trimestre 2012 en termes de volume. En nombre d’opérations, ce sont les Caïmans qui dominent (142 contre 102 pour les Îles Vierges).

Avec 457.000 entreprises enregistrées pour 31.200 habitants, il y a dans cet archipel 15 entreprises par habitant. Les îles Vierges britanniques ont un des meilleurs niveaux de secret financier de la planète, et ont vendu plus d'un million d'entités offshore depuis leur décision de devenir un paradis fiscal en 1984. Le territoire est au centre des révélations faites par plusieurs médias internationaux depuis le jeudi 4 avril sur les personnalités ayant des comptes et autres intérêts dans les paradis fiscaux.

Autres pays spécialistes: Les îles Caïmans, Hong Kong, Guernesey, Jersey.

Gestion de fortune

Qu’est-ce que c’est?

Comme son nom l'indique, un gestionnaire de fortune gère la fortune de ses clients (leurs revenus, leurs biens immobiliers). Après avoir établi un bilan et discuté avec le client de ses objectifs (Payer moins d'impôts? Organiser sa succession? Augmenter ses revenus? Réduire les risques?), le gestionnaire cherche les produits les plus adaptés pour les atteindre. Il existe trois types de gestionnaire de fortune: les indépendants qui travaillent dans des «family offices» –comme Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de la famille Bettencourt au sein du family office Clymène–, ceux qui travaillent dans les banques, et les gestionnaires de patrimoine.

Le leader mondial: la Suisse


Adelboden en Suisse le 14 février 2011, REUTERS/Michael Bulholzer

Comme on a pu le vérifier dans l’affaire Cahuzac, l’expression «compte en Suisse» va de pair dans l’imaginaire collectif avec la richesse, l’évasion fiscale et les magouilles en tous genres. Si le pays a vu son statut de paradis pour les très riches ébranlé à la fin des années 2000 après que le G20 a décidé de s’attaquer au secret bancaire, qui y est garanti par la loi depuis 1934, et surtout après que les Etats-Unis ont obtenu les noms de 4.450 clients américains, la Suisse reste le leader mondial de la gestion de fortune, et de loin.

Un tiers de la fortune privée investie à l’étranger dans le monde est gérée en Suisse, soit 1.500 milliards d’euros, tandis que le total des actifs contenus dans ses banques représentaient en 2011 820% du PIB du pays.

Sous la pression internationale, la Suisse a récemment commencé à signer des avenants aux conventions fiscales prévoyant des échanges d’information avec plusieurs pays –dont la France. Mais elle restait en 2011 à la première place de l’index du secret financier du Réseau pour la justice fiscale (Tax Justice Network), qui rassemble des organisations, des mouvements sociaux et des individus qui œuvrent pour la coopération fiscale internationale et contre la fraude fiscale.

Autres pays spécialistes: Singapour, où le système de secret bancaire est directement copié sur celui de la Suisse, a récupéré bon nombre de capitaux qui ont fui la Suisse en 2009. Ce n’est pas un hasard si Jérôme Cahuzac a transféré son compte de la Suisse à Singapour cette année-là. Parmi les autres leaders du marché, on retrouve dans l’ordre le Luxembourg, les Caraïbes, les Etats-Unis et Hong Kong.

Pavillons de complaisance

Qu’est-ce que c’est?

Selon la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF), les navires sous pavillon de complaisance sont «les navires pour lesquels la propriété réelle et le contrôle se situent dans un pays autre que celui des pavillons sous lesquels ils sont immatriculés».

Pour un propriétaire de bateau, faire immatriculer son navire dans un paradis fiscal permet de payer moins d’impôts dessus, mais aussi d’échapper au droit du travail et à la réglementation en matière de sécurité ou d’environnement du pays où est véritablement basé le propriétaire.

Le leader mondial: Panama


Panama CIty le 19 décembre 2007, REUTERS/Alberto Lowe

Le Panama offre aux armateurs un enregistrement rapide, une législation favorable et la garantie de ne pas être inquiétés en cas de manquement aux règles internationales. Il est de loin le pays qui réalise le plus d’immatriculations internationales avec 184.000 immatriculations en 2009, contre 82.000 pour le deuxième plus grand pavillon de complaisance, le Libéria.

Le Panama est à la quatorzième place de l’index du secret financier du Réseau pour la justice fiscale (Tax Justice Network). Il est également possible d’y créer une entreprise offshore de toutes pièces en quelques jours, et le pays a un niveau élevé de secret financier.

Autres pays spécialistes: En 2009, les autres pays qui immatriculaient le plus de navires étrangers étaient dans l’ordre le Libéria, les Bahamas les îles Marshall, Malte, Chypre, les Bermudes, l’île de Man et Saint-Vincent. Les autres pavillons de complaisance cités par l’ITF sont Antigua-et-Barbuda, la Barbade, le Belize, Gibraltar, le Honduras, la Jamaïque, le Liban, la Bolivie, la Birmanie, le Cambodge, les îles Caïmans, les Comores, l’île Maurice, la Moldavie, les Antilles néerlandaises, la Corée du Nord, le Sri Lanka, Vanuatu, la Guinée équatoriale, les îles Féroé, la Géorgie, le Registre international français et le Registre international allemand.

Paris et jeux en ligne

Qu’est-ce que c’est?

Il n’existe pas de système de régulation international pour les sites de paris et de jeux en ligne, mais des licences sont délivrées par les pays. D’autres régulent très strictement les paris en ligne à cause de la nature offshore d’une bonne partie de ces licences. Le processus d’obtention d’une licence est complexe sur le plan légal, c’est pourquoi des entreprises comme AD Conseil en France proposent une aide à l’obtention d’une licence.

Le leader mondial: Antigua-et-Barbuda


La ville de St John's sur l'île d'Antigua, REUTERS/Andy Clark

Antigua-et-Barbuda, une monarchie antillaise du Commonwealth dont le chef de l’Etat est la reine d’Angleterre, a été un des premiers pays à proposer une licence pour les sites de pari et de jeu en ligne au début des années 1990. Le pays abritait en 2010 un quart des sites de paris en ligne de la planète grâce à sa législation favorable en la matière. Une position de force sur le marché qui a été mise à mal au début des années 2000 quand Washington a décidé unilatéralement d’interdire aux banques et autres entreprises américaines de crédit de traiter les paiements en faveur de tous les sites de paris non-américains.

En 1999, le pays abritait 119 entreprises de paris offshore qui employaient 3.000 personnes, et le secteur représentait 10% du PIB. En 2003, il n’y avait plus que 28 opérateurs. L’île a jugé les Etats-Unis responsables de l’effondrement de tout un pan de son économie et d’une perte de 2,3 milliards d’euros chaque année, et attaqué les Américains à l’Organisation mondiale du commerce. Après plusieurs années de bataille juridique, l'OMC a autorisé le 28 janvier 2013 le gouvernement d'Antigua-et-Barbuda à suspendre les copyrights américains, ouvrant la porte à la création de sites de téléchargements de films, musique ou logiciels américains sans avoir à rémunérer les entreprises qui les ont créés et sans être dans l'illégalité

Autres pays spécialistes: Les autres pays qui donnent des licences pour les sites de paris offshore sont Guernesey, l’île de Man, Malte, le Belize, l’Autriche, le Canada (Kahnawake), les Antilles néerlandaises, Panama, le Costa Rica, l’Australie, la République Dominicaine, Dominique, Grenada, Vanuatu ou encore Saint-Christophe-et-Niévès.

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