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Les hommes qui participent aux tâches ménagères ont moins de relations sexuelles

Une étude d'un centre de recherches américain très sérieux va à l'encontre de la joyeuse idylle féministe qui assure le contraire.

A Rio en 2011. REUTERS/Sergio Moraes
A Rio en 2011. REUTERS/Sergio Moraes

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Pour une femme, voir son mari vider le lave-vaisselle ou plier le linge a sans doute quelque chose de gratifiant, mais est-ce pour autant sexy? Si on en croit les médias, la réponse est souvent oui. «Monsieur, vous voulez davantage de sexe? Faites une lessive», tel était le titre d'un article de CBS News, en 2009. Et selon Naomi Wolf, «des recherches ont montré que le truc le plus érotique qu'un homme puisse faire, c'est la vaisselle».

Sheryl Sandberg, directrice générale de Facebook et auteure d’un livre sur un «nouveau féminisme» (Lean In), en rajoute une couche. «Rien n'est plus sexy», affirme-t-elle, qu'un homme qui désire effectuer sa part des tâches ménagères. «La chose pourrait sembler aberrante», poursuit-elle, «mais la meilleure façon pour un homme d'aguicher sa femme, c'est de faire la vaisselle». Elle exhorte même ses lecteurs à feuilleter un «célèbre petit livre», Porn for Women [porno pour femmes], édité par la Cambridge Women’s Pornography Cooperative. Ses pages sont remplies de beaux gaillards en train de passer l'aspirateur, de faire la poussière et de changer la litière du chat.

Mais une nouvelle étude, publiée dans l'American Sociological Review, jette aujourd'hui le soupçon sur cette joyeuse idylle féministe. Les hommes s'adonnant régulièrement à des corvées «féminines» semblent avoir moins – et pas plus – de relations sexuelles. Selon ses auteurs, Sabino Kornrich (Centre des hautes études en sciences sociales, Madrid), Julie Brines et Katrina Leupp (Université de Washington):

«Les couples où les hommes participent davantage aux tâches ménagères effectuées habituellement par les femmes déclarent avoir des relations sexuelles moins fréquentes. De même, les couples où les hommes effectuent des tâches traditionnellement plus masculines – jardinage, factures, entretien de la voiture – témoignent de relations sexuelles plus fréquentes».

Ces trois chercheurs ont analysé des données issues d'un échantillon représentatif de 4.500 couples hétérosexuels mariés, provenant de l'US National Survey of Families and Households, 1992-1994 – soit l'enquête la plus récente et la plus considérable quantifiant les tâches ménagères, la fréquence des rapports sexuels et la satisfaction conjugale des familles et des foyers américains.

Plus de rapports parmi les couples «traditionnels»

Dans l'étude, les hommes déclaraient une moyenne de 5,2 rapports sexuels durant le mois précédant l'enquête, contre 5,6 pour les femmes. Mais chez les couples à la division du travail domestique plus traditionnelle, les femmes comme les hommes signalaient davantage de rapports sexuels que les couples plus égalitaires.

Dans les mariages où les femmes effectuaient seules les corvées les plus habituellement féminines (ménage, cuisine, courses, soit les «tâches de base» selon les chercheurs), les couples avaient 1,6 fois plus de relations sexuelles par mois que les couples où les hommes s'y attelaient. Et dans ceux où les hommes participaient aux tâches ménagères, mais en se contentant des plus typiquement masculines (ou tâches «auxiliaires» selon les chercheurs, comme l'entretien automobile, le jardin, les factures et le déblaiement en cas de neige) les couples avaient 0,7 fois plus de relations sexuelles que les couples où les femmes s'occupaient de ce genre de corvées.

Mais comme le font remarquer les chercheurs, même quand les hommes effectuent 40% des tâches «féminines», les couples rapportent «une fréquence sexuelle bien moindre que les foyers où les femmes effectuent toutes les tâches [typiquement féminines]».

Pour le dire autrement: on note une corrélation négative entre les maris effectuant des corvées traditionnellement féminines et la fréquence sexuelle des couples.

La possibilité que les couples traditionnels aient davantage de relations sexuelles du fait d'un plus grand autoritarisme du mari n'a pas échappé aux chercheurs. Mais ils l'ont vite exclue car les épouses des mariages conventionnels témoignaient d'une satisfaction sexuelle équivalente à celles des mariages plus égalitaires. Comme le fait remarquer l'auteur principal de l'étude, Sabino Kornrich, «Si la satisfaction sexuelle avait été basse, mais la fréquence haute, la contrainte aurait pu être envisagée. Mais nos observations ne vont pas dans ce sens».

D'autres variables ont aussi été contrôlées, à l'instar de la religion, de l'âge, de l'idéologie sexuelle, des revenus du ménage et du degré d'activité rémunérée de chaque membre du couple. «Si quelque chose nous a surpris, a expliqué Julie Brines aux journalistes, c'est bien la robustesse de la corrélation entre la division traditionnelle du travail domestique et la fréquence sexuelle».

Fluidité des rôles sexuels acceptée chez les plus jeunes

Pour certains détracteurs de l'étude, son défaut serait de se fonder sur des données remontant au début des années 1990. Aujourd'hui, les femmes et les maris sont différents, disent-ils. Comme le fait remarquer une sociologue de l'Université d’État de Montclair sur le site Live Science, les jeunes générations actuelles acceptent beaucoup mieux des définitions fluides des rôles sexuels. «En matière de tâches domestiques ou d'éducation des enfants, les rôles sexuels ont peut-être mis du temps à changer, mais c'est à mon avis assez naïf de croire qu'ils sont restés identiques ces vingt dernières années».

Mais les études les plus récentes en la matière ne montrent, depuis vint ans, qu'une évolution négligeable de la participation masculine aux tâches ménagères de base: pour certains sociologues, il s'agit même d'une «révolution bloquée». Ce qu'il y a de plus marquant avec les jeunes générations, ce n'est pas que les hommes adoptent des «définitions fluides des rôles sexuels» et qu'ils participent davantage aux tâches domestiques – c'est l'absence du foyer pure et simple de millions de pères.

Mais d'où vient alors ce mythe d'une vie sexuelle trépidante pour les maris qui font la lessive? Pour les auteurs de l'étude, les erreurs médiatiques se fondent sur des recherches qui n'analysent pas précisément la façon qu'ont les couples de diviser leurs tâches domestiques. S'il est vrai que les hommes qui participent davantage aux tâches domestiques augmentent par la même occasion leur fréquence sexuelle –c'est surtout le type de tâches qui fait toute la différence.

S'occuper de la voiture, tondre le gazon ou déblayer la descente du garage quand il neige semblent des corvées plus excitantes pour les épouses que le repassage, les courses ou la chasse aux moutons sous le lit. Selon les chercheurs, au sein des couples hétérosexuels, les manifestations d'une différence sexuelle créent du désir sexuel. Les tâches «genrées» sont bien plus sexuellement chargées que ce que d'éminentes égalitaristes comme Naomi Wolf et Sheryl Sandberg ont pu nous faire croire.

Ambiance fraternelle

Faut-il en déduire que les maris peuvent se comporter comme des porcs et laisser leur femme faire la vaisselle, le ménage, la cuisine et les courses? Non, absolument pas. Les chercheurs soulignent qu'un homme qui refuse de participer aux tâches de base risquera davantage de disputes et de conflits dans son mariage. Et avec tant de femmes travaillant à plein temps, l'idéal pour la vie amoureuse du couple pourrait se révéler aussi intenable qu'injuste au quotidien. Chaque couple devra se débrouiller au cas par cas et trouver ce qui lui convient. Et ce n'est pas une sinécure.

L'égalitarisme des «mariages-partenariats», où les couples partagent équitablement les tâches domestiques peut permettre le bonheur conjugal, notent les auteurs, mais cela peut aussi déboucher sur une ambiance assez «fraternelle» qui, au final, «atténue le désir sexuel».

Alors que faire? Cette nouvelle étude peut offrir un début de solution aux couples en leur rappelant que les sexes ne sont pas interchangeables. Et le rappel est essentiel. Les auteurs ne le disent pas en ces termes, mais les hommes et les femmes, en tant que groupe, trouvent non seulement excitants les rôles sexuels traditionnels, mais ils sont nombreux à les apprécier, tout simplement.

Cheryl Mendelson, auteur de Home Comforts: The Art and Science of Keeping House [Dans le confort d'un foyer: l'art et la science d'une maison bien tenue] est titulaire d'un doctorat en philosophie et d'un diplôme en droit d'Harvard, mais elle confesse mener une «vie secrète» de «femme au foyer» tout à fait vieux jeu.

Elle ajoute que le plaisir et le réconfort que lui procure les tâches domestiques sont des éléments «essentiels» de sa «personnalité». Une poignée d'hommes voient dans le ménage ou la cuisine des éléments essentiels de leur personnalité – les femmes, elles, sont des millions. Les hommes ne sont pas le cœur de cible des sites et des magazines de décoration et de conseils domestiques comme Family Circle, Better Homes and Gardens ou MarthaStewart.com.

Généralisations, moyennes statistiques et sexisme

Voici quelques mois, je me suis retrouvée dans les allées de Calico Corners – un magasin de tissu dans la banlieue de Washington. La boutique grouillait de femmes affairées à dénicher les rideaux ou les coussins les mieux assortis à leur intérieur. Au centre du magasin, assis sur des fauteuils, quelques hommes au regard perdu attendaient bien sagement qu'on les libère. Les hommes ont un lien bien plus tenu que les femmes avec l'intendance et l'entretien du foyer.

Pour certains, ces généralisations seront lues comme un appel au «sexisme!» et à l'«essentialisme!». Qu'on me comprenne donc bien sur la signification de ces comparaisons de groupes. Je parle de moyennes statistiques, pas d'absolus. Bien sûr, tous les hommes et toutes les femmes n'incarnent pas les stéréotypes de leur sexe.

On les rencontre peut-être plus rarement, mais certaines femmes préfèrent la lecture de Popular Mechanics à celle de Traditional Home, et certains hommes adorent s'occuper de leur intérieur. Bien sûr, il y a certaines femmes pour qui rien n'est plus sexy que la vue d'un mari faisant la vaisselle. Mais comme ce nouveau papier de l'American Sociological Review nous le rappelle, elles sont nettement minoritaires.

Dans notre quête d'une solution à l'épineux problème de l'équilibre entre vie professionnelle et vie familiale, commencer par dire la vérité sur ce que nous sommes est encore le meilleur moyen de la trouver.

Christina Hoff Sommers

Traduit par Peggy Sastre

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