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Tennis: le secret de la longévité de Serena Williams

A 31 ans, Serena Williams est la n°1 mondiale la plus âgée de l’histoire.

Serena Williams  gagne Roland-Garros, le 8 juin 2013. REUTERS/Philippe Wojazer
Serena Williams gagne Roland-Garros, le 8 juin 2013. REUTERS/Philippe Wojazer

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6-4 / 6-4. Serena Williams s'est imposée samedi 8 juin 2013 face à Maria Sharapova en finale dames de Roland-Garros pour son deuxième sacre aux Internationaux de France. L'occasion de (re)lire cet article de Yannick Cochennec de mars 2013, quand elle était devenue la n°1 mondiale la plus âgée de l'histoire.

J’ai interviewé Serena Williams une fois et je ne me suis jamais battu depuis pour retenter ma chance. C’était il y a bien longtemps, en 1999 à l’Open d’Australie. Elle avait 17 ans et portait encore des perles dans ses cheveux qu’elle aimait agiter en dodelinant de la tête. Mon rendez-vous avait été fixé à… 8h. Peut-être était-ce moi qui étais mal réveillé, à moins que ce ne soit elle qui s’était levée du pied gauche, toujours est-il que cela ne s’était pas franchement bien passé.

Au bout de quelques minutes, elle avait fini par clairement me faire savoir, avec des réponses de plus en plus évasives et un regard de plus en plus fuyant, que mes questions ne représentaient plus aucun intérêt pour elle. J’avais terminé l’exercice avec l’énergie du désespoir. Laminé. KO.

En interview (ou en conférence de presse), Serena Williams peut être une très mauvaise (ou très bonne, mais c’est plus rare) cliente, tout dépend en fait du jour sur lequel vous tombez. A l’inverse, Martina Hingis était, par exemple, une assurance journalistique. Elle était en permanence d’humeur égale, jouait le jeu avec malice et ne manquait jamais l’occasion d’essayer de vous surprendre.

Lorsqu’elle affronte les journalistes (car elle les affronte), Serena Williams est la plupart du temps dans un rapport de force alors que Martina Hingis était dans un rapport de séduction. Et elle sait parfaitement endosser le costume de l’idiote quand elle est en position difficile et défensive comme lorsqu’elle s’était retrouvée disqualifiée en demi-finales de l’US Open face à Kim Clijsters après une tirade salée en direction d’une juge de ligne ou dans le sillage de sa défaite en finale du même US Open contre Samantha Stosur marquée par une algarade avec l’arbitre de chaise. Dans ces conditions extrêmes, ne cherchez même pas le début d’une explication rationnelle de sa part. Vous ne l’aurez pas.

Elle est également très douée pour l’humour à l’occasion —elle peut même être particulièrement drôle.

Graf, Navratilova, Seles, Hingis...

Serena Williams a toujours aimé son propre personnage et a constamment eu une très haute opinion d’elle-même au point, après un échec, de blâmer généralement ses erreurs au lieu de donner crédit à son adversaire. Parmi les autres championnes du passé, Steffi Graf était, par exemple, ravagée par une timidité maladive qui l’empêchait d’apprécier son écrasante célébrité.

Martina Navratilova était trop écorchée vive pour ne pas se laisser déborder par sa sensibilité. Monica Seles était trop repliée sur elle-même pour prendre conscience du monde qui l’entourait et de ce qu’elle était en train d’accomplir. Martina Hingis ne se suffisait pas à elle-même et perdait sa concentration en s’occupant trop des affaires des autres.

Serena Williams est, elle, d’un même bloc, d’un autre métal, presque impossible à tordre (il n’y a que des décisions arbitrales, autorité contre laquelle elle ne peut rien, pour éventuellement la faire sortir de ses rails) —ce qui rend notamment l’exercice de l’interview très complexe et très frustrant avec elle car il n’y a rien qui permet d’avoir une prise réelle.

Elle possède un vrai pouvoir d’intimidation à la fois par sa présence physique, imposante, et par cette manière de vous montrer que vous ne comptez pas, voire que vous ne servez à rien. Face à elle, ses adversaires partent d’ailleurs souvent battues d’avance et disent, une fois leur défaite avalée, comme la Russe Maria Kirilenko lors du dernier Open d’Australie, que «Serena a sa place sur le circuit masculin.» Ce qui n’est évidemment pas vrai, mais donne bonne conscience après avoir agité le drapeau blanc.

«J’ai appris que les femmes étaient confrontées à beaucoup d’émotions et que la seule façon de réussir était de leur faire intégrer qu’elles sont les plus fortes du monde pour qu’elles le deviennent.» Telle a été la formule magique de Richard Williams, le père des Williams, qui aura donc réussi le tour de force de faire de ses deux filles deux n°1 mondiales dont le total de tournois majeurs (en simple) s’établit actuellement à 22 (15 pour Serena, 7 pour Venus).

La revanche

Cette définition, il l’avait donnée à l’Equipe Magazine en 2007 dans une drôle interview conduite par un autre entraîneur, Patrick Mouratoglou, devenu depuis quelques mois le très proche conseiller technique de Serena Willams.

Dans cet entretien, Richard Williams livrait en quelque sorte son secret à un autre entraîneur avide de le connaître. «Si vous parvenez à convaincre un enfant qu’il a l’étoffe d’un champion, alors, il va le devenir, précisait Richard Williams. La seule chose qu’il lui faudra par la suite, ce sont des indications: la bonne technique, le bon jeu de jambes et la vitesse. Ensuite, le tour est joué. Tout est dans le mental. Car le corps obéit à l’esprit. Le mental, c’est ce qui différencie un simple joueur d’un grand champion.»

OK. Plus facile à dire qu’à faire, mais le mental des Williams s’est effectivement forgé autour d’une seule idée: le monde entier est contre nous. Le message passé par leur géniteur était en résumé: vous venez d’un milieu pauvre, d’un ghetto de Californie et l’on vous fait croire que vous n’avez aucune chance de dominer ce monde du tennis écrasé par les Blancs. Ce qui est faux et vous allez prouver le contraire.

Les Williams ont été nourries à ce lait, à la fois riche et amer, et fortune faite, elles continuent de jouer contre le reste de l’univers, surtout Serena qui peut physiquement se le permettre contrairement à son aînée diminuée par une maladie immune. Cette rage, car on peut vraiment parler de rage, continue de la porter toujours très loin. Dans son esprit, l’adversité n’a pas faibli. Comme une pirouette lors de ses discours de remerciements d’après finales, elle a usé fréquemment de cette formule : «Merci à ceux qui m’ont encouragée, et aux autres car je les aime de toute façon.» Se battre contre ces «autres» demeure son fil directeur.

A 31 ans, Serena Williams s’amuse donc encore à mater la concurrence sans aucune pitié. Voilà quelques jours, elle est devenue la n°1 mondiale la plus âgée de l’histoire et elle arbore ce «nouveau» statut actuellement au tournoi de Miami. Cette année, elle vise le 16e titre du Grand Chelem de son aventure sportive et pourrait se rapprocher dangereusement de Martina Navratilova et Chris Evert, victorieuse de 18 titres majeurs.

Et même s’il s’est éloigné d’elle en voyageant moins, son père, malgré l’importance que peut revêtir l’apport de Patrick Mouratoglou, reste près d’elle spirituellement. Ne disait-il pas en 2007?

«Un enfant qui est accompagné de ses parents fera toujours mieux, car il a des fondations solides. S’il n’a que son coach, l’enfant a moins de références. Il finit par faire un mauvais mariage, perdre tout son argent… Regardez l’exemple de Chris Evert. Elle a épousé John Lloyd et ça lui a coûté deux millions de dollars pour s’en débarrasser. Ensuite, elle a épousé Andy Mill, et ça lui a coûté onze millions supplémentaires. Pourquoi? Parce que, quand on laisse les parents de côté, on ne peut pas prendre de bonnes décisions

De toute façon, papa Williams a toujours eu raison.

Yannick Cochennec

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