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Pesticides, Parkinson et agriculteurs

Le DDT ou lindane doublent le risque d'être atteint de cette maladie neurodégénérative.

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Dans l'affaire de l'amiante il avait fallu environ un demi-siècle. Un demi-siècle entre les premières observations scientifiques de la nocivité de cet isolant  et le début d'une reconnaissance des victimes à l'échelon collectif et juridique. Cette fois il aura fallu 24 heures. Du moins  24 heures pour qu'une publication scientifique médicale déclenche un mouvement associatif de révolte à l'échelon national. Pnénomène sans précédent.

Mercredi 17 juin le service de presse de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) annonce la publication imminente d'une étude française dans la prestigieuse revue Annals of Neurology. Une étude aux résultats hautement dérangeants : elle établit  que l'exposition à certains pesticides longtemps utilisés en agriculture multiplie par deux le risque de survenue de la maladie de Parkinson. Jeudi 18 juin on apprend  la création d'un «réseau de défense des victimes»; une initiative lancée par le «Mouvement pour les droits et le respect des  générations futures» (MDRGF) oeuvrant en collaboration avec l'organisation «Health and environment alliance» (Heal) basé à Bruxelles.

L'affaire est d'importance. La maladie de Parkinson est la deuxième maladie neuro-dégénérative la plus fréquente après la maladie d'Alzheimer. Il était certes jusqu'à présent plus ou moins admis  que, dans la plupart des cas, cette affection était la résultante d'une combinaison de facteurs de risque génétiques et environnementaux. Or les résultats qui viennent d'être publiés  apportent la preuve que le risque augmente avec le nombre d'années d'exposition aux insecticides et qu'il est principalement lié à l'usage de certains insecticides dits de type «organochloré». Des études épidémiologiques antérieures avaient laissé supposer une possible  association. Mais aucun type de pesticides n'avait pu être spécifiquement incriminé et on n'avait pas non plus de preuves  de l'existence d'une relation entre les doses et les effets. Tel n'est plus, désormais, le cas.

Comment peut-on parvenir à de telles conclusions? Travailllant en collaboration avec la Mutualité sociale agricole (MSA), une équipe de chercheurs de l'Inserm et de l'Université Pierre et Marie Curie de Paris a étudié un groupe de 224 personnes souffrant de la maladie de Parkinson, qu'ils ont comparé à un groupe de 557 personnes non malades,, de même âge et sexe et habitant dans le même département et également affiliées à la MSA. Cette étude était dirigée par Alexis Elbaz (unité Inserm  «Neuroépidémiologie», Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris). [email protected]

Les chercheurs se sont attachés à reconstituer les expositions aux pesticides durant toute la vie professionnelle des participants. Ceci a pu être fait de manière très détaillée grâce à des médecins du travail de la MSA. Ils ont ainsi pu recueillir un nombre considérables d'informations concernant, par exemple,  la surface des exploitations, le type de cultures et des pesticides utilisés, le nombre d'années et la fréquence annuelle d'exposition, ou encore la méthode d'épandage.

Ce travail démontre que les personnes atteintes de maladie de Parkinson avaient utilisé plus souvent que les «témoins» des pesticides et ce durant un plus grand nombre d'années. D'un point de vue statistique les agriculteurs exposés aux pesticides avaient un risque deux fois plus élevé de développer la maladie de Parkinson que ceux qui n'en avaient pas utilisés. Plus précisément les chercheurs mettent en évidence un risque jusqu'à 2,4 fois plus élevé avec les insecticides «organochlorés». Cette famille de pesticides regroupe par exemple le lindane et le DDT a été largement utilisés en France entre les années 1950 et 1990.

Ces produits se caractérisent certes par leur efficacité mais aussi par leur aptitude à persister dans l'environnement de nombreuses années après leur utilisation. Sans doute ne faut-il pas voir là une relation directe de causalité (dans ce cas  inhaler régulièrement du DDT ou du lindane déclencherait immanquablement une maladie de Parkinson) mais la démonstration que ces pesticides sont d'autant plus dangereux qu'ils concernent des personnes génétiquement plus «fragiles» que d'autres. De tels pesticides sont aujourd'hui interdits en France mais, comme dans le cas de l'amiante on ne commence à prendre conscience de leur nocivité que plusieurs décennies après les faits. Aurait-on pu (aurait-on du) anticiper ?

La rigueur scientifique étant ce qu'elle est les chercheurs précisent aussi que l'on ne peut pas - sur la base de ces seuls résultats -  exclure l'implication d'autres types de pesticides moins fréquemment utilisés. Et ils prennent grand soin de souligner  l'importance de l'éducation des utilisateurs professionnels de pesticides à un meilleur usage et la mise en place de mesures de protection des agriculteurs et des travailleurs agricoles.

Les auteurs de cette publication imaginaient-ils l'écho qu'elle rencontrerait en dehors de leur communauté scientifique ? Cet écho est d'ores et déjà audible dans le milieu associatif spécialisés qui font depuis longtemps valoir que les pesticides font peser un risque pour la santé des agriculteurs mais aussi pour celle des jardiniers ou de simples particuliers, consommateurs ou vivant à proximité des cultures concernées. «Cela fait des années qu'on reçoit des coups de fils de personnes qui se  plaignent d'être exposées aux pesticides ou qui sont malades, a aussitôt déclaré François Veillerette, président du MDRGF, cité par l'Agence France Presse (AFP). Nous avions eu envie d'aller plus loin pour protéger les populations et faire avancer le dossier de la reconnaissance des droits de la victime.»

Toujours cité par l'APP un agriculteur alsacien a témoigné  lors d'une conférence de presse organisée par le MDRGF: «J'ai la maladie de Parkinson. Il y a une vingtaine d'années, j'ai été douché aux pesticides en désherbant du maïs suite  à une rupture de canalisation du pulvérisateur. J'ai fait un dossier pour obtenir une reconnaissance de maladie professionnelle. Le dossier est en cours mais le neurologue n'ose pas s'engager car il craint des retombées». Comment comprendre?

Les risques de développer certaines pathologies sont réels et les victimes
se retrouvent souvent isolées, font valoir le MDRGF et Heal. Des particuliers, résidant à proximité de certaines cultures intensives, se plaignent également a posteriori des épandages de pesticides. Jusqu'aux citadins qui pourraient être concernés car ils peuvent subir des pulvérisations de pesticides s'ils vivent à proximité d'espaces verts traités avec ces produits. La législation actuelle ne garantit pas une protection suffisante aux  victimes, estiment les responsables du MDRGF et de Heal.
«Il n'existe pas de limites de protection autour des habitations exposées à  des pulvérisations, pas plus que de normes atmosphériques d'exposition des riverains, alors que des produits pourtant reconnus dangereux par différentes agences au niveau international sont autorisés» soulignent-ils

Le MDRGF demande dès maintenant aux trois ministères français concernés (Santé, Ecologie et Agriculture) de prendre une série de mesures concrètes : que les pesticides les plus dangereux soient retirés du marché, que des « zones tampons » soient mises en place dans les campagnes pour protéger les gens qui résident près des cultures intensives et que l'usage des pesticides en ville soit interdit. Pour l'heure, aucune réponse. Ce sujet aurait-il, été curieusement oublié par le dernier «Grenelle de l'evironnement» ?

Il n'est heureusement jamais trop tard pour tenter de mieux faire. Et ce d'autant que l''Inserm estime, pour la première fois,  que bien au-delà  de l'exposition aux pesticides à des niveaux élevés en milieu professionnel, ces résultats soulèvent une question d'une autre ampleur : celle des conséquences d'une exposition à plus faibles doses dans la population générale  Un demi-siècle ou vingt-quatre heures, l'éventail est large.

Kléber Ducé

Crédit photo: Reuters

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