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Comment savoir ce qu'il y a VRAIMENT dans votre assiette

Résonance magnétique, spectrométrie, analyses ADN... Aujourd'hui, de multiples techniques permettent de contrôler la composition des aliments. Mais mieux vaut tout de même savoir ce que l'on cherche.

A Londres en 2012. REUTERS/Suzanne Plunkett
A Londres en 2012. REUTERS/Suzanne Plunkett

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Comment savoir, vraiment, ce que contient un aliment? Comment vérifier que le bœuf n'a pas été remplacé par du cheval, l'huile d'olive par de l'huile de palme ou la vanille naturelle par un arôme de synthèse? Et comment, enfin, détecter d'éventuels contaminants? Désormais, plus rien ou presque n'échappe aux experts. «A condition tout de même de savoir dans quelle direction chercher», précise Pierre Champy, maître de conférences au laboratoire de chimie des substances naturelles à la faculté de pharmacie de Châtenay-Malabry.

Quelle que soit la méthode utilisée, le principe reste en effet toujours à peu près le même: comparer le produit –ou le composé– à ce qu'il devrait, dans l'absolu, être, ou à peu près. En repérant du même coup les «intrus» –les ingrédients qui n'ont a priori rien à y faire–, ou les absences –ceux qui devraient y être et n'y sont pas. A la base de tout ce travail, se trouve donc une immense tâche d'analyse et de mise en répertoire des caractéristiques physico-chimiques des aliments et de leurs composants, indispensable quelle que soit la technique d'analyse ensuite utilisée.

Côté outils techniques, le choix est désormais vaste. Eurofins, l'un des leaders de ce secteur, annonce plus de 100.000 méthodes d'analyses! Voici un petit avant-goût des grandes familles d'outils d'analyse.  

Mes lasagnes, c'est du bœuf ou du cheval?

La réponse sera donnée par une analyse ADN par PCR. L'ADN, ou acide désoxyribonucléique, est différent dans chaque espèce et son analyse permet donc de reconnaître les viandes –ou les poissons– utilisés comme ingrédients. La PCR, elle, signifie Polymerase Chain Reaction. Explication de Fayçal Bellatif, chez Eurofins:

«La PCR est une technique qui permet d'amplifier les brins d'ADN pour arriver à une taille permettant son identification et sa quantification.»

Avec la récente crise du cheval utilisé en lieu et place du bœuf, les analyses ADN ont connu un véritable boom. Le spécialiste des surgelés Picard a ainsi annoncé qu'il pratiquait désormais «des tests ADN systématiques sur tous les produits cuisinés à base de viande de bœuf». Ces tests étant destructifs, on imagine qu'il soumet à l'analyse un exemplaire de chaque lot.

Le vin est-il chaptalisé? La vanille naturelle? 

Ici, les laboratoires utilisent le SNIF-NMR pour Site-Specific Natural Isotope Fractionation Nuclear Magnetic Resonance, bref, une technologie utilisant la résonance magnétique nucléaire (RMN).  Concrètement, explique Eric Jamin, responsable de l'unité «authenticité» chez Eurofins, «on extrait l'alcool du vin par distillation. Puis on analyse cet alcool pur par RMN pour calculer dans les molécules des rapports isotopiques»

Petit rappel pour ceux qui auraient depuis longtemps oublié leurs cours de physique-chimie: les isotopes sont des atomes contenant le même nombre de protons, mais un nombre différent de neutrons. Le carbone, par exemple, a parfois 12, parfois 14 neutrons (c'est le fameux Carbone 14). Entre autres. L'analyse isotopique permet de connaître l'origine botanique des molécules (de quelles plantes elles proviennent) mais aussi de différencier les sources naturelles et artificielles de ces molécules.  

Par exemple, on peut savoir simplement à partir de la quantité de deuterium (un isotope naturel de l'hydrogène) contenue dans une molécule de sucre si l'on a affaire à du sucre de betterave ou à du sucre de raisin. Et donc si le vin est ou non chaptalisé et dans quelles proportions. 

De la même façon, on reconnaît la vanille de synthèse et la vanille extrait d'une gousse; ou encore la vanille produite par biotechnologie. 

Le bœuf est-il bien charolais?

Cette fois, Eric Jamin utilise la spectrométrie de masse de rapport isotopique. Car figurez-vous que le rapport isotopique de l'herbe –et du reste de la plupart des végétaux– est différent dans chaque endroit du monde. Et comme ce végétal constitue la base de l'alimentation des bœufs et des agneaux, son étude permet d'authentifier, ou non, leur origine.

Pour ce faire, les protéines sont brûlées pour produire des gaz, lesquels sont introduits dans un spectromètre de masse qui permet de quantifier les différentes formes isotopiques du carbone, de l'azote, de l'hydrogène ainsi que du soufre. Une analyse qui permet de reconnaître l'origine géographique du régime alimentaire de l'animal étudié. Pour le porc, il faudra trouver autre chose puisque les porcs sont largement élevés hors sol et de façon industrielle.

La recette contient-elle bien de l'huile d'olive ou de l'huile de palme? Du beurre ou de la margarine?

Pour répondre à cette question, Marie Jallais, responsable de l'unité «chimie nutritionnelle» d'Eurofins, pratique la chromatographie en phase gazeuse. La CPG permet de séparer des molécules d'un mélange. Celui-ci est vaporisé à l'entrée d'une colonne et transporté à l'aide d'une substance active, en l'occurrence un gaz (l'azote par exemple). Les différentes molécules du mélange vont se séparer et sortir de la colonne les unes après les autres.

Leur identification se fait avec un détecteur spécial (dit par ionisation à flamme, ou FID). L’étude du profil des acides gras et leur concentration vont permettre de différencier différents types de corps gras (huile d’olive, beurre, margarine, etc). La présence d'acide butyrique confirmera la présence de beurre (ou de crème) absent de la margarine végétale.

Mon pain est-il trop salé? 

Là, on préférera la spectrométrie d'absorption atomique: concrètement, on va incinérer l'ingrédient à  525°C. Ne resteront alors que les minéraux. Mis en solution, ils sont pulvérisés dans une flamme.

On mesure alors l'énergie absorbée par les atomes de sodium (reconnaissables à leur longueur d'onde spécifique, de 589,6nm) que l'on peut ainsi repérer et doser. Le même raisonnement vaut pour les autres minéraux, comme le calcium, ou le magnésium, qui ont chacun une longueur d'onde spécifique.

Mon complément alimentaire contient-il bien les plantes annoncées ?

Pour vérifier qu'une plante est bien présente, et dans les quantités annoncées, dans une préparation, Pierre Champy à la faculté de Pharmacie de Chatenay-Malabry privilégie la chromatographie liquide haute performance. «La séparation des molécules s'opère cette fois en milieu liquide et l'on regarde ensuite dans quel domaine de la lumière UV les molécules absorbent les radiations, ou on mesure leur masse à l'aide de spectromètres adaptés, explique-t-il. Ce type d'analyse peut être employé à des fins qualitatives ou quantitatives.»

Comment vérifier rapidement qu'un jus d'orange est bien un jus d'orange?

Naguère, les laboratoires étaient surtout capables de pratiquer des analyses ciblées, répondant des questions précises. Mais depuis quelques années, se développement des outils qui permettent de passer au crible un aliment fini –autrement dit, de le screener– pour détecter une éventuelle anomalie. 

L'un des outils privilégié de ces «profilages» est la RMN –résonnance magnétique nucléaire– qui permet de prendre l'«empreinte» de la structure moléculaire d'un produit et donc de comparer un produit avec une banque de données d'échantillons de référence. Quitte ensuite à pratiquer des analyses plus précises et plus ciblées en fonction des résultats du screening.

A chacun son kit?

Pour l'instant, cependant, ces techniques exigent de lourds équipements et sont réservées aux experts. Même si, de temps en temps, un simple «kit de petit chimiste» permet d'obtenir des informations précieuses. Médecin du Monde intervient ainsi régulièrement dans des teknivals pour vérifier que les drogues se sont pas coupées de produits dangereux.

Dans ce type de kit, l'organisation utilise la chromatographie en couche mince: on «éclate» un extrait du produit déposé sur une plaque (en général une feuille d'aluminium recouverte de silice) par élution avec un solvant adapté. Une révélation avec un réactif coloré permet de repérer les composants avec lesquels celui-ci a une affinité. Ces tests cependant ne peuvent en général donner qu'une réponse en «noir et blanc»: un composant est-il, ou non, présent? 

Impossible donc de faire son marché avec un lot de bandelettes capables de déceler d'éventuelles fraudes à l'étiquetage! Aujourd'hui tout du moins...

Catherine Bernard

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