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L'allergie française aux assistants sexuels pour handicapé(e)s

«The Sessions», un film américain sorti ce mercredi, aborde un sujet qui demeure un tabou tricolore. A la différence de nombreux pays, la France interdit cet accompagnement érotique aux handicapés moteurs et mentaux. Pourquoi? Le Comité national d’éthique va rendre son avis dans quelques jours. Le gouvernement ignore la question.

Helen Hunt et et John Hawkes dans The Sessions. FOX
Helen Hunt et et John Hawkes dans The Sessions. FOX

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The Sessions. C’est le titre d’un film hors du commun actuellement projeté en France (1). Il traite avec intelligence,  humour et pragmatisme de la sexualité des handicapés. Ou plus précisément du droit des personnes handicapées d’avoir accès à l’exercice organique de leur fonction sexuelle (à un «accompagnement érotique»). Souvent le sujet effraie. Il est certes complexe. Il l’est plus encore quand on ferme les yeux. C’est précisément le cas en France où il demeure tabou.

Plusieurs associations et professionnels de santé se mobilisent toutefois pour que les choses changent, comme elles ont progressivement changé aux Etats-Unis et dans différents pays européens. Il s’agit ici de faire en sorte que les personnes handicapées qui le souhaitent puissent pouvoir rencontrer non des prostitué(e)s mais bien des professionnels de santé spécialisés dans l’aide corporelle qui peut être apportée à l’exercice de leur sexualité.

The Sessions reprend l’histoire (véridique) du poète et journaliste Mark O'Brien gravement handicapé après avoir contracté une infection poliomyélitique dans son enfance. Il est tiré de son roman On Seeing a Sex Surrogate. Condamné à demeurer presque en permanence dans un «poumon d’acier», ce tétraplégique découvrira la réalité charnelle de la sexualité grâce aux quelques séances (sessions) durant lesquelles il rencontre une «assistante sexuelle». Puceau jusqu’à la trentaine, il découvre alors son corps et s’ouvre à une nouvelle vie.

Cela pourrait être sordide et/ou graveleux. C’est très précisément le contraire. Ce qui ne va pas sans remuer les (in)consciences. La projection en avant-première en a témoigné avec, dans la salle, de nombreuses manifestations sonores de désinhibition comportementale.

The Sessions n’est pas le premier des films traitant spécifiquement de cette question. Il existe notamment Nationale 7 (sorti en 2000) posant le cas d’une personne souffrant d’une myopathie et Yo también (2010) qui soulève la même question avec une personne trisomique. Et encore la production sud coréenne Sex Volunteer (2009) qui traite le sujet sous un angle moins personnel. Dans les quatre cas, la même question de fond: celle du droit à disposer de son corps, qu’il soit ou ne soit pas réduit dans son autonomie.

Avec les questions annexes que l’on imagine aisément. A commencer par celle des différences entre la pratique de la prostitution et celle de «l’assistance sexuelle». Aussitôt suivie par celle, taboue, de l’existence de relations sexuelles à visée thérapeutique entre des soignants et leurs patients. Sans parler des tarifs pratiqués et de leur prise en charge ou non par la collectivité.

Au-delà des images, le jeune et tonique magazine Causette a consacré fin 2011 un riche dossier soulevant la question de la création d’un statut français d’«assistant sexuel». Pourquoi la France interdit-elle de facto la pratique de cette  activité? Après les Etats-Unis dans les années 1980, cette activité professionnelle a progressivement été autorisée dans plusieurs pays du Vieux Continent. D'abord aux Pays-Bas dans les années 1990 et dans le nord de l’Europe. Elle l’est aujourd'hui en Belgique, en Allemagne (Sexualbegleiter), en Autriche (Sexualassistenz) mais aussi en Suisse et en Italie.

En Suisse romande, c’est l’association novatrice Sexualité et Handicaps pluriels (SEHP)  qui assure la formation des assistant(e)s sexuel(le)s. Une association dont la représentante a déclaré, lors de la projection en avant-première de The Sessions à Paris, qu’elle avait bon espoir de voir la société française progresser dans un sens comparable à ce qui se réalise dans son pays. Rien ne semblait jusqu’ici songer à une évolution des mentalités et des pratiques.

Quel politique défendra cette cause?

D’abord parce que les positions ne sont pas unanimes sur le sujet chez les responsables du monde associatif qui défendent les droits et les intérêts des personnes handicapées. Ensuite parce que certains font valoir que des solutions pragmatiques sont ici ou là trouvées dans le huis-clos des établissements spécialisés ou au domicile des personnes handicapées. A la condition de ne pas en faire publiquement état.

A de très rares exceptions, aucun responsable politique (quel que soit son sexe ou son parti) ne semble disposé à défendre cette cause. Lorsqu’elle était ministre de la Santé, Roselyne Bachelot avait commenté un rapport (demandé par François Fillon) et une proposition de loi alors déposée sur ce thème par le député (UMP, Loire) Jean-François Chossy. Roselyne Bachelot avait alors déclaré être «rigoureusement, formellement, totalement opposée» à la création d’un statut d’ « assistant sexuel » pour personnes handicapées. Elle s’était néanmoins engagée à saisir le Comité consultatif national d’éthique de cette question (2).

Selon le Quotidien du médecin, ce Comité, désormais présidé par le Pr Jean-Claude Ameisen, devrait rendre son avis dans les prochains jours. La question va-t-elle enfin devenir ouvertement politique? Rien ne permet de l’espérer. «Ce n’est du tout inscrit dans les priorités gouvernementales, a déclaré à Slate.fr Agnès Marie-Egyptienne, secrétaire générale auprès du Premier ministre du Comité interministériel au handicap (CIH). C’est un sujet délicat et difficile. D’une part, la personne handicapée doit être prise en compte et aidée dans toutes ses dimensions. D’autre part, avancer sur cette question conduit à soulever des questions relatives à la législation sur la prostitution et le proxénétisme. Il nous faudrait dans un premier temps faire un travail de droit comparé avec les pays où cette activité est officiellement reconnue. Le film The Sessions pourra nous aider à progresser.»  

Les responsables de CH(S)OSE ne demandent pas une légalisation du proxénétisme mais une simple exception à la loi pénale pour ce type de «service». Ceux de l’association des paralysés de France (APF) on lancé un appel

sur le site de leur mensuel d’information «Faire Face». Tous entendent mener un combat pour que la vie handicapée ne soit pas une vie désincarnée car asexuée. Le Dr Philippe Brénot, psychiatre, anthropologue et responsable des enseignements de sexologie à l’université Paris-Descartes, fait ici le parallèle avec le mariage pour tous et réclame la possibilité d’un «accompagnement érotique» pour les handicapés qui en expriment le désir, quelle que soit la nature de leur handicap.

 «Il faut tout de même rappeler qu'il existe en France un million d'handicapés mentaux et plus de deux millions d'handicapés moteurs, écrit-t-il sur son blog. Pour eux la relation au monde et aux autres est limitée, voire parfois impossible, sans l'aide d'autrui Comment entrer en contact avec les autres, partenaires potentiels, lorsqu'on ne peut se déplacer... et comment, dans ces conditions, parvient-on à l'épanouissement sexuel ? La réponse la plus hypocrite, mais trop fréquente, est qu'il faudrait aux handicapés accepter leur handicap et ne rien demander de plus.»

L’heure semble venue qui voit, précisément, les personnes handicapées «demander plus». La France du «mariage pour tous» entendra-t-elle leur voix ?

Jean-Yves Nau

(1) The Sessions de Ben Lewin, avec John Hawkes, Helen Hunt, William H. Macy, Moon Bloodgood. Sortie  le 6 mars. Slate.fr est partenaire de ce film.

(2) Le Comité consultatif national d’éthique a déjà émis un avis relatif à la médicalisation de la sexualité. C’était en novembre 1999 (avis 62). Saisi par Bernard Kouchner, alors secrétaire d’Etat à la Santé, de la question du Viagra le CCNE avait estimé que le coût de ce «médicament innovant remédiant à des défaillances de la fonction érectile chez l'homme» devrait, dans certains cas pathologiques être pris en charge par la collectivité. Cet avis est, depuis, resté lettre morte.

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