Politique / France

Les socialistes ne savent plus du tout débattre

Economie, moeurs, évolutions institutionnelles... Le PS n'arrive plus à faire vivre le débat sur ces sujets en interne ou dans son dialogue avec le gouvernement, à tel point que celui-ci est remplacé par des pétitions d'élus dans les médias.

Plusieurs dirigeants socialistes, dont Martine Aubry, Harlem Désir et Jean-Marc Ayrault, lors du congrès de Toulouse, le 28 octobre 2012. REUTERS/Jean-Philippe Arles.
Plusieurs dirigeants socialistes, dont Martine Aubry, Harlem Désir et Jean-Marc Ayrault, lors du congrès de Toulouse, le 28 octobre 2012. REUTERS/Jean-Philippe Arles.

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Les socialistes français sont farcis de défauts mais on leur accorde généralement une rare vertu: ces gens-là savent débattre. L’histoire du PS est rythmée par des joutes politiques internes qui mêlent subtilement empoignades idéologiques et chicanes personnelles. Abritant une large gamme de sensibilités, qui vont du centre-gauche aux franges de la gauche radicale, ce parti n’est jamais aussi dynamique que lorsqu’il fait vivre sans complexes cette luxuriante diversité interne.

Or voici que le PS, revenu au pouvoir au printemps dernier, semble l’avoir oublié. Tétanisés par la crise, aspirés par les ministères, peu assurés de leurs orientations, les socialistes n’osent plus se parler franchement. Ils s’interdisent de débattre, au fond, de ce qui leur tient lieu de ligne.

Langue de bois massif

L’austère politique économique mise en oeuvre est résolument hors champ de discussion alors même qu’elle est loin d’emporter la conviction profonde des cadres socialistes. Leurs parlementaires maugréent, mais seulement à voix basse. «Oui, il y a des députés déprimés au sein du groupe, mais le débat sur une autre politique n’existe toujours pas», déplore ainsi Karine Berger, députée PS des Hautes-Alpes mais aussi secrétaire national à l’économie du parti.

Timorée comme jamais, la direction du PS n’ose prendre la moindre position qui gênerait l’exécutif, comme en témoigne la discussion qui s’est déroulée au bureau national du 12 février. Ce jour-là, les courants de la gauche du parti —Un monde d’avance de Benoît Hamon et Maintenant la gauche d’Emmanuel Maurel, rejoints en l’espèce par les représentants de la motion de Pierre Larrouturou— s’étaient unis pour présenter un texte appelant les parlementaires européens à rejeter le projet de budget adopté par le Conseil.

«Pas question de discuter d’un texte qui affaiblit le président de la République», leur a sèchement répondu Harlem Désir. Le premier secrétaire s’est empressé de faire voter, à la majorité, une motion qui «apporte son soutien total au président de la République dans son combat déterminé contre les conservateurs européens, face auxquels il porte avec courage et constance l’exigence d’une réorientation de l’Europe pour la croissance, l’emploi et la solidarité». Langue de bois massif.

Pour l’heure, le nouveau numéro un socialiste s’est limité à défendre le rôle propre de son parti en prenant position pour une application de la loi sur le non-cumul des mandats dés 2014. Mais, là encore, le débat interne a été évité. Un vote en ce sens a été acquis à l’unanimité, au bureau national du 19 février, alors que chacun sait que le gouvernement, avec la complicité de nombre d’élus socialistes, est partisan d’une mise en oeuvre de cette réforme à la fin du quinquennat.

Refuge dans la pétitionite

Privés de vrais lieux de débats internes —dans les instances du parti ou dans les réunions des groupes parlementaires—, les socialistes qui veulent s’exprimer en sont réduits à prendre publiquement l’opinion à témoin. C’est ainsi que s’est banalisée une étrange méthode: le recours à la pétition de la part de responsables politiques. Le procédé trahit cruellement l’impuissance douloureusement ressentie par les élus socialistes.

La première pétition de députés socialistes date de septembre dernier. Elle rappelait François Hollande à son engagement d’accorder le droit de vote aux étrangers pour les élections locales. Moins cette promesse pouvait être tenue et plus il convenait de la brandir haut et fort.

En marge du débat sur le mariage homosexuel, partisans et adversaires de la procréation médicale assistée (PMA) se sont même affrontés à coup de textes. Cent députés socialistes ont pétitionné en sa faveur tandis que quarante autres s’y déclaraient opposés dans un courrier adressé à leur président de groupe, Bruno Le Roux.

Les tensions au sein du gouvernement ont aussi fait l’objet d’initiatives pétitionnaires visant à peser sur les rapports de force. A l’occasion de l’affaire Mittal, 90 députés socialistes et écologistes ont signé un texte soutenant la proposition d’Arnaud Montebourg d’une prise de contrôle publique temporaire du site de Florange.

Le non-cumul des mandats a, bien entendu, été concerné par cette fièvre de pression pétitionnaire. Par les temps qui courent, on ne cherche plus à convaincre une majorité dans les instances décisionnaires. On se contente de brandir sa vérité, avec ses pairs, pour prendre date. C’est ainsi qu’une quinzaine d’élus socialistes ont pu affirmer, par un texte rendu public en décembre dernier, qu’il était «urgent de remettre l'agenda économique et social en tête des priorités de l'action gouvernementale».

Etonnamment, les socialistes les plus en phase avec l’exécutif se sentent eux aussi obligés de sacrifier au rite pétitionnaire. Pleins d’humilité, cent parlementaires du PS ont signé un texte appelant à retranscrire «dans la loi, sans en modifier l’équilibre, l’accord» conclu sur l’emploi en janvier entre certains partenaires sociaux.

Quelque peu grandiloquente, leur prose appelle à «dépasser les débats du 20ème siècle entre lutte des classes et compromis réformiste» tout en se gardant de détailler le fond de cet accord auquel s’oppose vivement l’aile gauche du parti. Là encore, les socialistes n’en ont pas débattu.

Le parti court-circuité

Cette situation bizarre résulte d’un choix politique conscient du chef de l’Etat. François Hollande n’a pas voulu prendre le risque d’impliquer le PS dans la définition de sa politique. La désignation d’Harlem Désir comme premier secrétaire visait à confier la «vieille maison» à un homme pas trop gênant.

L’autre candidat à ce poste, Jean-Christophe Cambadélis, fut alors jugé plus dangereux. Le député de Paris confirme, d’une certaine manière, ces craintes en reprochant aujourd’hui à Hollande de ne point avoir mis le PS au «centre» de son «dispositif politique», contrairement à ce que fit François Mitterrand en son temps.

Dans les années quatre-vingt, le premier secrétaire du PS, Lionel Jospin, était assez étroitement associé aux grandes décisions prises en petit comité. Le parti, où s’affrontaient des courants de pensée affirmés, pesait alors d’un tout autre poids dans le jeu politique.

Ces temps-là sont révolus. La minorité de gauche qui s’était comptée lors du congrès de Toulouse d’octobre 2012 est relativement isolée et surtout victime de la rigidité d’une majorité qui s’abrite derrière sa position de force.

La crainte du débat est d’autant plus vive que le cap est flou. C’est parce qu’il entend garder les mains libres pour ajuster sa politique en fonction de circonstances que le président de la République ne veut pas que ses camarades en discutent.

Qui plus est, Hollande éprouve déjà quelques difficultés à maintenir la cohésion gouvernementale. On conçoit qu’il ne veuille pas que le parti soit source de problèmes supplémentaires.

Ce court-circuitage du parti n’en comporte pas moins de réels inconvénients. Il prive l’exécutif, aux prises avec une lourde impopularité, d’un utile capteur d’humeurs comme d’un précieux laboratoire d’idées. En l’absence de médiations partisanes, le pouvoir se trouve plus que jamais engagé dans un dangereux face à face avec l’opinion.

Eric Dupin

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