Culture

«Spring Breakers»: attention, ceci n'est pas un film pour préados

A voir la campagne d'affichage, les ados fans des héroïnes du dernier Harmony Korine –directement sorties de productions Disney– pourraient croire aller voir un film acidulé légèrement barré. Au risque d'être très très surpris, voire choqués.

«Spring Breakers»
«Spring Breakers»

Temps de lecture: 5 minutes

Il n’y a pas que pour les actrices estampillées Disney que le passage à l’âge adulte via des rôles dénudés et sexués est difficile. Pour leurs fans aussi, la transition ne se fait pas toujours en douceur.

Prenez Spring Breakers, qui sort ce mercredi 6 mars, réalisé par Harmony Korine, connu pour des scénarios (Kids, de Larry Clark) et des précédents films ou court-métrages loin de l’imagerie bisounours (son dernier en date était Trash humpers, les baiseurs de poubelle).

Y jouent quatre actrices d’une vingtaine d’années, dont une est toujours au générique de la série pour ados Pretty Little Liars et deux autres viennent tout droit des studios Disney.

Selena Gomez version Sorciers de Waverly Place (2007-2012):

Vanessa Hudgens version High School Musical:

Ashley Benson version Pretty Little Liars:

Le film est plein de sexe, de drogues, de rock n'roll, d'arrestations policières (à l'image des véritables Spring Breaks américains), et de violences et d'armes à feu (moins à l'image des Spring Breaks américains). Après un long débat, les membres de la commission de classification des films ont finalement décidé de l'interdire aux moins de 12 ans en France et non pas aux moins de 16, explique Catherine Ruggeri, la présidente suppléante de la commission.

Ceux qui estimaient que Spring Breakers est un film de genre où un public de plus de 12 ans peut percevoir du second degré et une volonté de dénonciation de la part du réalisateur l'ont emporté sur ceux qui pensaient que rien ne garantissait que des préados et des jeunes parviendraient à décrypter l'univers hyper-sexualisé et drogué du film.

Une promo teen movie

Mais à voir les affiches qui tapissent le métro –et en France, contrairement aux Etats-Unis, les interdictions ne sont pas présentes sur les affiches–, on se croirait devant un teen movie rigolo et gentiment barré:

La campagne met en valeur ses stars, avec des posters personnages qui annoncent «Selena Gomez est Faith», «Vanessa Hudgens est Candy», etc.

Selena Gomez version Spring Breakers

Vanessa Hudgens version Spring Breakers

Ashley Benson version Spring Breakers

«L’image que renvoie l’ensemble de la communication peut laisser penser que c’est peut-être un teen movie», admet Stéphane Célérier, le directeur de Mars Distribution, qui distribue Spring Breakers, «mais ce n’en est pas un».

Le film se retrouve à la croisée des publics: il peut attirer les adolescents fans des actrices, des cinéphiles avérés fans d’Harmony Korine, et les fans de James Franco. Le distributeur a donc dû faire des choix dans sa com’: une campagne austère plus «indé» au risque de perdre les fans des actrices? Quelque chose entre l’acidulé et le sulfureux qui pourrait décourager les cinéphiles?

Mars distribution a finalement opté pour une stratégie en deux temps: toucher ce public adolescent, «sans mentir» assure Stéphane Célérier, qui note que la bande-annonce ne ment pas sur l’ambiance du film, mais «en le rendant un peu plus mainstream qu’il ne l’est».

Puis récupérer les cinéphiles fans d’Harmony Korine voire de James Franco à travers les médias (couverture des Cahiers du cinéma, des Inrocks...).

La force des fans Disney

De toute façon, explique Stéphane Célérier, «on a été pris par une énorme pression des fans des filles» dont il aurait été impossible de faire abstraction. «Donc on a décidé de faire une campagne plutôt fun qu’auteur, on a joué le jeu du côté extraverti, sexy, c’est assumé totalement».

«On en a parlé avec tous les autres distributeurs dans le monde», raconte-t-il, «on a tous été confrontés au même problème, une excitation incroyable de la part des fans des filles dès qu’on mettait en ligne une photo, une bande-annonce…» Il faut dire que les fans de Selena Gomez, Vanessa Hudgens ou Ashley Benson suivent de façon presque obsessionnelle les faits et gestes de leurs idoles, sur leurs Tumblrs, sites et/ou comptes Twitter dédiés.

Quand les actrices sont passées à Paris pour la promo, elles ont été pistées dans leurs déplacements, les fans les attendaient en bas de leur hôtel (elles y ont passé un moment en balcon à les saluer), et comme le racontait Brain qui y a assisté, l’avant-première au Grand Rex «ressemblait à un lancement de High School Musical: retransmission de l'arrivée des vedettes sur grand écran, actrices en robes de princesses (princesses Barbès mais princesses quand même), photocall interminable».

Les places pour l’avant-première se sont vendues plus vite que pour celles de Django Unchained, affirme Stéphane Célérier, qui dit n’avoir jamais vu de sa vie «l’hystérie absolue suscitée par les gamines».

Le problème, évidemment, c’est que ce public adolescent voire préadolescent n’est pas forcément prêt — ou ne s'attendait pas— à voir ses idoles boire, fumer, se droguer, se faire arrêter, manier des guns…

Résultat, et ce malgré la tentative d’avertissement du réalisateur –«Je n'ai aucune idée du genre de film auquel vous vous attendez, mais vous ne devez certainement pas vous attendre à ce genre de film-là. S'il vous plaît ayez l'esprit ouvert!»– plusieurs jeunes filles sont parties au milieu de l’avant-première, choquées et/ou en larmes. L'une d'entre elles, qui a pris comme pseudo twitter «Faith», le nom du personnage interprété par Selena Gomez dans le film, est partie après une demie-heure.

Elle s'est ensuite retrouvée au milieu d'une polémique twitterienne entre les fans énervés qu'elle soit partie et ceux la défendant et tentant de rappeler que tout le monde a le droit d'être choqué sans être jugé (oui, c'est dur d'être une ado sur Twitter). «Faith» explicite tout le problème de la fan base des stars:

On a même vu des fans de Selena Gomez choqués par le film au point de le déconseiller (à ce niveau de fanitude, cela équivaut à du blasphème):

Pendant la promo de Spring Breakers outre-manche, Selena Gomez avait prévu le coup. Sur Facebook, elle prévenait au moment de la Mostra de Venise que le film n'était pas pour ses petits fans, et dans cette vidéo de la chaîne E! sur le tournage du film, elle explique:

«Quand je vois les petits enfants, je leur dis "je suis tellement contente que tu sois là!". S'il te plait regarde ma série télé mais ne regarde pas le film. Et les mères demandent "vraiment?", et je dis "ouais!". Donc, j'essaye de les prévenir un peu.»

Mais pendant la promo parisienne, les stars n’avaient pas vraiment le même discours, en tout cas pas avec Catherine Rochon, la rédactrice en chef du site dédié aux ados Teemix. Elle explique avoir demandé aux actrices si elles avaient un message particulier pour leurs fans les plus jeunes, et avoir été surprise quand elles se sont contentées de dire que c’était «un film fun, très divertissant»:

«J’ai été frappée par ce changement de discours des actrices. Peut-être qu'il a été adapté à la limite d’âge en France.»

Stéphane Célérier assure qu’il «n’y a eu aucune instruction» à ce sujet, et ajoute pour ce qui est de la communication:

«On ne pouvait pas dire aux fans que ce n’était pas un film pour eux, c’était impossible. En plus, ils arrivent aussi à un certain âge, 13-14 ans, où ils ont peut-être envie de découvrir la transgression. Le film correspond à ça, et en plus il est porté par les actrices qui les accompagnaient dans un jeune âge, et les guident vers le monde qui est décrit dans le film.»

De quoi alimenter les disputes entre adolescentes prêtes ou pas prêtes à voir leurs idoles passer du côté obscur de la force, dans un univers parallèle dont les cinéphiles fans d'Harmony Korine n'entendront même pas parler.

Cécile Dehesdin

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