France

Votre gauche, vous la préférez «forte» ou «populaire»?

Pour peser dans les débats idéologique, politique et médiatique, la majorité PS se regroupe en collectifs, comme la Gauche forte et la Gauche populaire, nés en ce début d'année. Avec quels objectifs et quels liens avec la société civile?

La Liberté guidant le peuple d'Eugène Delacroix, célèbre tableau choisi par la Gauche forte pour son identité visuelle
La Liberté guidant le peuple d'Eugène Delacroix, célèbre tableau choisi par la Gauche forte pour son identité visuelle

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On ne se moque pas.

Il n’y a pas si longtemps, avant que l’élection du président de l’UMP ne sombre dans le feuilleton tragicomique que l'on sait, les courants se multipliaient à droite, et qui prétendait peser sur le débat au sein du parti devait avoir son machin. Droite populaire, Droite forte, Droite sociale, France droite… On finissait par s’y perdre.

Cette semaine, c’est au tour d'un PS plutôt aligné sur le gouvernement de se (re)fractionner. En juillet 2012, la «Gauche durable», menée par une dizaine de députés, avait déjà publié son manifeste dans Libération. Cette fois ce sont deux manifestes, ceux de la Gauche populaire et de la Gauche forte, qui ont été rendus publics le même jour, mercredi 20 février.

A quoi servent les nouveaux courants?

Chez l'un comme chez l'autre, le malheureux qui oserait parler de «courant» se ferait rapidement rabrouer. Promis, juré, ça n’est «ni la resucée des vieux courants des années 80, ni le retour des écuries des années 90, puisque la question du leadership est dernière nous», assurait le député d'Indre-et-Loire Laurent Baumel lors de la présentation à l’Assemblée nationale du manifeste de la Gauche populaire.

Le soir même, dans une autre salle de l’Assemblée, c’est cette fois la Gauche forte qui, après avoir publié son acte de naissance le 23 janvier, tenait sa première réunion militante, le jour même de la publication de son manifeste dans Libération.

Avec un discours similaire sur le rôle et la place des nouveaux courants: «Ce ne sont plus les fabiusiens, les strauss-kahniens qui font l’actualité mais la Gauche durable, la Gauche populaire et la Gauche forte, expliquait Yann Galut, député du Cher et cofondateur avec la sénatrice du Haut Rhin Patricia Schillinger de la Gauche forte. Il y a toujours eu des clubs. Certains étaient des courants, d’autres pas.» «Nous ne sommes pas l’aile gauche du PS», ajoutait-il alors que le député Razzy Hammadi, un de ses animateurs, assistait justement à la réunion.

Mais quel rôle pour un tel club entre l'intérieur (le PS) et l’extérieur (les nombreux think-tanks dont les prises de position dépossèdent parfois le parti de ses prérogatives sur le plan des idées)? Yann Galut entend se baser sur les forces de la société civile, dont les militants et responsables locaux du PS forment le gros des troupes —250 personnes lors de la première réunion. Pour lui, «le PS a déjà engendré sa révolution en choisissant avec les primaires ouvertes, à la présidentielle et bientôt aux municipales, de décloisonner le parti. Ce n’est plus l’appareil qui décide, ce sont les sympathisants».

Reconquête des classes populaires

La Gauche populaire est née du constat décennal d’une perte de terrain du PS auprès des classes moyennes et populaires. Aux signes électoraux dramatiques (13% des ouvriers avaient choisi Jospin en 2002) ont succédé les stratégies politiques proposant de larguer une bonne fois pour toute la classe ouvrière pour lui préférer les minorités exclues du marché du travail ou précaires (femmes des milieux populaires, Français issus de l’immigration et jeunes) et les cadres supérieurs des centres métropolitains. 

Ce sera le rapport Terra Nova sur la nouvelle coalition électorale, lorgnant sur la stratégie des Démocrates aux Etats-Unis, dont la publication engendrera en réaction la création de la Gauche populaire, avec un ouvrage collectif publié en novembre 2011, Plaidoyer pour une gauche populaire, contenant les contributions de plusieurs intellectuels fondateurs du mouvement (Laurent Bouvet, Philippe Guibert, Alain Mergier, Christophe Guilluy).

Pour Laurent Baumel, «le rapport Terra Nova ne venait pas de nulle part, mais formalisait la pente naturelle de la gauche de gouvernement: ne s’adresser qu’aux exclus sur l’économie et qu’aux couches intellectuelles sur les questions de société». En apparence, le programme de la Gauche populaire n’a pas changé par rapport à ce qu’elle proposait fin 2011:

«Reconquérir les couches populaires et moyennes intégrées de notre société, c'est-à-dire ces millions de Français qui ne vivent ni dans l'assistance ni dans l'aisance, ni dans les banlieues les plus déshéritées ni dans les centres-villes privilégiés».

En centrant ses propositions sur l'emploi et le pouvoir d'achat, la «Gauche pop'» veut donner des signes à l'électorat modeste et éviter que les mesures de rigueur de François Hollande ne lui retirent le soutien très mesuré que lui ont fourni les électeurs des couches populaires.

La Gauche populaire (canal parlementaire)

Les fondateurs
Laurent Baumel, député-maire de Ballan-Miré (Indre-et-Loire), Philippe Doucet, député-maire d’Argenteuil (Val-d'Oise) et François Kalfon, conseiller régional d’Ile-de-France
Les forces
23 parlementaires signataires, 21 PS et deux EELV (dont François de Rugy, coprésident du groupe EELV à l’Assemblée)
«L'Appel de Florange» en soutien à la nationalisation temporaire proposée par Arnaud Montebourg, signé par 90 parlementaires
La tendance PS
Mélange d’ex-strauss-khaniens (Baumel, Kalfon) et d’anciens chevènementistes (Baumel toujours)
Les propositions
— La justice fiscale: «réforme fiscale redistributive fondée sur la progressivité de la CSG et s’appuyant sur des principes écologiques pour réduire la facture énergétique et de transports des ménages».
— L'emploi: confier la «politique de l’emploi aux régions pour garantir une gestion plus souple et politiquement plus responsable». Réorienter une partie de la formation professionnelle au bénéfice des chômeurs «sous la forme de contrats d’activités se substituant, sur la base du volontariat, à l’indemnisation passive du chômage».
— La réindustrialisation: protection des actifs stratégiques du pays, possibilité de nationalisation temporaire, création d’un label de qualité de production français.
Les marottes
Le peuple, l’industrie, le pouvoir d’achat, l’anti-gauche bobo, la France périurbaine.

La Gauche forte, nouvelle «force tranquille»

Pour Yann Galut, c’est pour «réagir à la montée en puissance de la radicalisation de l’UMP, poursuivie pendant les législatives et lors de la campagne pour la présidence du parti de Jean-François Copé», que la Gauche forte s’est créée.

Une Gauche forte dont les accents républicains ne sont au final pas très éloignés du positionnement de la gauche populaire. Tout comme Mitterrand avait choisi «la force tranquille» comme slogan en 1981 contre ceux qui le critiquaient et y voyaient l'expression d'une valeur de droite, le jeune collectif s'est choisi comme slogan: «La force, quand elle sert la justice, est une vraie valeur de gauche». Pour accompagner cette naissance médiatique, il s’est muni d’une identité visuelle, le célèbre tableau d’Eugène Delacroix la Liberté guidant le peuple.

«On a gagné électoralement, je ne voudrais pas qu’on perde les élections idéologiquement», poursuit Yann Galut. C’est pourquoi il s’agira pour ce mouvement d'être «un pôle opérationnel de riposte qui rend coup sur coup, sur tous les sujets».

Ainsi, la Gauche forte s’affirmera sur un plan médiatique. Chaînes d’info, Facebook, Twitter, Yann Galut est manifestement très branché arène publique et médias. D’ailleurs, dans son manifeste, la Gauche forte affirme qu’elle va «mener en première ligne le combat face à la droite».

Galut est par ailleurs un bon buzzeur en puissance. Il s’est fait remarquer en embrassant un autre député, Nicolas Bays, lors de la manifestation en soutien au mariage homosexuel, ou encore en demandant la déchéance de nationalité pour les exilés fiscaux après le scandale de l’exil fiscal belge de Gérard Depardieu…

La Gauche forte

Les fondateurs
Yann Galut, député de la 3ème circonscription du Cher et Patricia Schillinger, sénatrice du Haut Rhin
Les forces
8 députés signataires
La tendance PS
Yann Galut, mandataire fédéral de François Hollande pendant les primaires est passé par le MJS, l’Unef et a été avocat de SOS-Racisme. Outre ses députés, le club compte parmi ses membres Sihem Souid, l’auteure d’Omerta dans la police, ancienne membre de l’équipe de campagne aux primaires d’Arnaud Montebourg.
Les propositions
La justice fiscale et territoriale: «Refonder le lien entre les Français et l’impôt, par une réforme fiscale ambitieuse basée sur la justice et la lutte contre l’évasion fiscale.»
La République et la démocratie: en affirmant «haut et fort les valeurs républicaines —liberté, égalité, fraternité, mais aussi laïcité et diversité— et les valeurs universalistes de la France face au danger du repli identitaire.»
L'Europe: «Proposer des initiatives politiques pour réconcilier les Français et la construction européenne.» Travailler «à un programme commun du PSE en vue des élections européennes de juin 2014, pour réorienter la mondialisation vers la solidarité internationale.»
Les marottes
La République, la laïcité, les réformes sociétales, l’anti-buissonnisme, l’activisme médiatique.

La lutte des places?

Observant chacun de leur côté la progression du FN sur les terres rurales et périurbaines modestes, les deux collectifs partagent une inquiétude: celle que si, en 2017, Hollande ne repasse pas, l'alternative vienne plutôt de l'extrême droite que de l'extrême gauche...

Au-delà des convergences sur la République et la laïcité, sur la justice fiscale (les deux collectifs mettent la réforme fiscale en tête de leurs priorités), l’emploi et le pouvoir d’achat, les amabilités inter-néo-courants peuvent commencer. Pour Yann Galut, au profil plus sociétal (passé par SOS-Racisme, engagé dans les combats des sans-papiers et dans la défense de la taxe Tobin), «la Gauche populaire est plus exclusive sur le social, alors que pour nous la réponse de la gauche doit être sociale et sociétale, on peut faire les deux.»

«Si j’ai bien compris, poursuit-il, mais elle a peut-être évolué depuis, la Gauche populaire s’adresse aux 10 à 12 millions de petits blancs qui vivent dans les zones périurbaines. Nous, on ne fractionne pas la société.»

Autre divergence: «On s’inscrit dans la ligne de soutien à François Hollande, on ne fera pas de pétition de principe au gouvernement et on ne sera pas donneurs de leçon.» Allusion probable à l’Appel de Florange, lancé par les députés de la Gauche populaire pour faire pression en faveur d’une nationalisation temporaire du site d’Arcelor-Mittal, et cosigné alors par 90 députés.

«La Gauche forte n’est pas un nouveau courant du PS, affirme-t-elle dans son manifeste. Notre ligne politique est celle définie par le président de la République: volontariste sur la méthode et sur l’objectif de rétablissement, réaliste économiquement, pro-européenne, ferme sur les questions d’ordre public.»

La Gauche populaire «canal historique» n'est pas contente

De son côté, la Gauche pop' canal parlementaire minimise le sérieux intellectuel du nouveau venu dans la galaxie des jeunes courants: «On ne sait pas trop ce qu’ils pensent, ça a plutôt l’air d’être une cellule riposte du PS.»

On dit «canal parlementaire» car, dans son propre camp, la Gauche populaire est par ailleurs tiraillée entre son pôle citoyen et intellectuel d'une part, et les élus qui s’en réclament d'autre part. Laurent Bouvet, chercheur en sciences politiques et initiateur du réseau des contributeurs intellectuels du mouvement, n'a pas trop apprécié que des élus PS s'arrogent le droit de déposer la marque. Car jusque-là, la «Gauche pop'» n'avait pas d'association, encore moins de mouvement politique.

Or, pour porter le message, «les élus n'apparaissaient pas en 2012, occupés par la présidentielle et leurs campagnes législatives. C'est plutôt le collectif des citoyens, des intellos, des militants (pas forcément du PS, loin de là) qui était actif sur les réseaux et dans les médias», note-t-il. Bouvet met alors en garde les députés qui veulent jouer en solo:

«Si vous réduisez ça à un truc d'élus, vous allez passer pour des élus ambitieux qui n'ont pas encore été servis, et qui jouent sur une niche “classes populaires“ comme d'autres jouent la niche “développement durable”.»

Le politologue Gaël Brustier (qui publie La guerre culturelle aura bien lieu) et Philippe Guibert (nommé au SIG, le service d'information du gouvernement), autres auteurs du collectif, se sont aussi éloignés de l'initiative lancée par le collectif parlementaire.

Aigreur et sentiment de trahison sont de mise chez les membres du canal historique, qui ont imposé, souvent dans la polémique, le label Gauche populaire dans le débat public. A l’instar du blogueur Guillaume Lelong, ils sont plusieurs à regretter la transformation du collectif informel en collectif d’élus:

«La Gauche populaire, c’était autre chose que des élus sociaux-démocrates en mal de communication. La cause défendue reste quant à elle bien présente et d’actualité.»

Même tonalité du côté d’un autre blogueur qui a participé aux travaux informels du mouvement:

«Je ne me prétends pas être intellectuel, je ne suis qu’un modeste architecte, mais je n’ai pas entrepris le travail intellectuel au sein de la Gauche Populaire pour jouer les faire-valoir d’un collectif d’élus en mal de médiatisation ou pour revivre les travers d’un courant ou d’un parti politique.»

JLC

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