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Monsieur Répression et Madame Prévention discutent de «La France orange mécanique»

Dialogue de sourds (à peine) imaginaire et ultraviolent entre Angélique, sociologue de gauche attentive au contexte socio-économique et Robocop, expert en sécurité adepte d’une politique pénale ferme et pressé d’en finir avec la culture de l’excuse, autour du livre «La France Orange mécanique», succès de librairie qui explore les «tabous» de la violence contemporaine.

<a href="http://www.flickr.com/photos/26689329@N03/3107825694/">Yum</a> / missycorley via Flickr CC <a href="http://creativecommons.org/licenses/by/2.0/deed.fr">Licence By</a>
Yum / missycorley via Flickr CC Licence By

Temps de lecture: 15 minutes

Monsieur Répression croise Madame Prévention dans l’ascenseur

Farce sociale en IV actes

Robocop: professeur invité au campus Taser (Michigan) et fondateur du Crim (Centre de recherche et d'intervention pour le maintien de l’ordre), habitué des plateaux télé.
Angélique: sociologue, spécialiste de la délinquance à l’université Paris 8 et membre du collectif Stop la vidéosurveillance.

Les deux personnages se détestent farouchement, s’envoient régulièrement invectives, anathèmes et critiques par tribunes et émissions de radio et de télé interposées, mais se retrouvent bloqués dans l’ascenseur qui les amène au neuvième étage d'un bâtiment où se tient le colloque Formes contemporaines de la délinquance urbaine: permanences et métamorphoses d’un phénomène multifactoriel, organisé par l’Observatoire des Hautes études pénales, en Seine-Saint-Denis.

Bien naturellement, la discussion porte sur ce qui les relie (l’étude de la délinquance et de la criminalité) et ce qui les sépare (les constats et les interprétations qu’ils en font). Le livre du journaliste Laurent Obertone, La France Orange Mécanique qui décrit l’«ensauvagement» de la France, leur sert de point de départ. Il faut dire que l'ouvrage, en tête des ventes sur Amazon à la faveur d'une promotion web savamment organisée, est, comme le souligne Les Echos, le «cauchemar des sociologues critiques». Imaginons leur dialogue...

ACTE I

Ascenseur bloqué depuis une minute: les chiffres des crimes et des délits

Robocop (anxieux, appuie frénétiquement sur l’interphone): Putain d’ascenseur. C’est la dernière fois que je me laisse inviter à un colloque en plein 9-3. Je parie qu’une bande de voyous a vandalisé le mécanisme et encore, estimons-nous heureux. Il paraît que la mode en ce moment, c’est d’incendier des sapins dans les cages d’ascenseur...

Angélique (conciliante): C’est sans doute une panne mécanique due à un défaut d’entretien de l’immeuble.

Robocop: Je reconnais bien là ton approche constructiviste. C’est la faute de la structure sociale c’est ça? Bon alors, tu l’as lu le bouquin d’Obertone?

Angélique: Encore un de ces livres faussement politiquement incorrects qui ne font qu’entretenir et renforcer les stéréotypes de la classe dominante en stigmatisant des populations étrangères fragiles et précaires. D’ailleurs Marine Le Pen a récemment cité l’ouvrage! Elle a même consacré une vidéo à La France orange mécanique, son nouveau livre de chevet!

Robocop: Nous y voilà! L’argument massue! C’est «d’où tu parles» qui compte, pas ce qu’on dit. C’est sûr que les éditions Ring, c’est sans doute un peu trop anar’ de droite pour toi. Faut dire que c’est le site de référence des bébés-Houellebecq (Aurélien Bellanger, auteur de La théorie de l’information, y sévit également), sans doute pas assez gauche-bisounours à ton goût...

Angélique: C’est pas trop ma cam'. Et puis j’ai vu ce trailer insoutenable de La France orange mécanique avec Philippe Bilger, Robert Ménard et, surtout, Xavier Raufer, criminologue militant, préfacier de l’ouvrage et principale influence intellectuelle des thèses avancées. Et encore des thèses, je suis sympa! Tout ça n’est qu’un tissu de banalités de café de commerce, des vulgates frontistes de téléspectateurs de TF1.


TRAILER OFFICIEL "LA FRANCE ORANGE MÉCANIQUE... par surlering

Robocop: Quel mépris pour le quotidien des gens du peuple!

Angélique: C’est ça, balance-moi tes évidences à la gueule et ton populisme sécuritaire. Avec la promo de ce livre, qui joue à fond la carte du Pas vu dans les médias parce que trop dérangeant, c’est pile tu gagnes (parce qu’on en parle dans la presse) face je perds (parce que je passe pour un censeur si j’ignore ce tissu de mensonges). Parce qu’il faut bien l’avouer, tout ça est une montagne d’amalgames et d’imprécisions.

Robocop: Tu es tellement prisonnière de tes présupposés angélistes sur le sujet que c’en est estomaquant. Et qu’as-tu à dire sur les 2.000 agressions et 200 viols quotidiens par 24 heures selon l’auteur, la culture de l’excuse d’une justice laxiste, la défiance face à notre police? Sur les morts violentes pour une cigarette refusée, pour un coup de klaxon ou pour un simple regard mal interprété, sur les hordes de barbares qui terrorisent les honnêtes gens qui prennent leur train de banlieue après une dure journée de labeur?

Enquête de victimation de l'Insee (2011). Part des personnes de l'échantillon qui déclarent avoir été victimes d'atteintes personnelles.

Angélique: Et je présume que tout ça nous amène aux coupables habituels, les jeunes d’origine étrangère des quartiers populaires?

Robocop (prend une voix fluette pour moquer son interlocutrice): «Quartiers populaires»... enfin tu peux pas dire «zones de non droit» comme tout le monde?

Angélique: C’est stigmatisant.

Robocop: Et est-ce que c’est stigmatisant de mettre enfin des chiffres sur la réalité? Exemple, le décompte d’une journée de violences en France, j’ai pris le 31 janvier 2013, voici la liste que j’ai trouvée sur Internet. Et encore, il s’agit seulement de faits relatés par la presse quotidienne régionale (Il lui tend l'impression qu'il a faite du blog FaitsdiversFrance, qui recense tous les actes de violence cités dans la presse locale et dresse même une carte de France de ces actes).

(Il entonne l'air «Et il est où, Et il est où, Et il est où» en dansant frénétiquement tout autour d'Angélique) Alors, Et il est où ton sentiment d’insécurité?

Angélique: Il ne s’agit pas de nier ces faits, que tu as sans nul doute récupérés sur un site d’extrême droite. Simplement il faut cesser de manipuler les peurs et remettre ces chiffres dans une perspective historique de long terme qui est celle de la baisse continue des faits de violence. Comme l’écrit Laurent Mucchielli (L’Invention
 de la violence.
 Des peurs, des chiffres, des faits), on se tue moins en France, or plus une société est pacifiée, moins elle supporte des attaques contre elle.

D’où le paradoxe du sentiment d’insécurité, qui augmente alors qu’on n’a jamais été aussi sécurisés. Et ton copain Sarko a eu je te rappelle dix ans pour pénétrer les esprits avec sa politique répressive primaire en manipulant ces peurs.

Robocop: Tu n’es pourtant pas sans savoir qu’en France des sociologues comme Sebastian Roché soutiennent que la courbe de la violence a tendance à augmenter depuis l’après-guerre dans les pays occidentaux. Et qu’elle ne dépend pas de la pauvreté. Je cite:

«La délinquance en particulier augmente durant les années de reconstruction et de prospérité. Depuis le milieu des années 80, elle tend à stagner, et ce malgré l'augmentation du chômage de longue durée et les phénomènes d'exclusion.»

C’est le sentiment de frustration quand les aspirations non satisfaites s’élèvent qui est l’élément déclencheur.

Angélique: Mais les chiffres de police et de gendarmerie, ceux que les médias relaient le plus et que les ministres de l'Intérieur fétichisent, nous renseignent avant tout sur ceux qui les font. L’incrimination de comportements qui auparavant n’étaient pas pénalisés, comme une bagarre dans une cours de récréation qui va devenir par la magie du code pénal des coups et blessures en réunion sur mineur de moins de 15 ans, explique en partie la hausse des statistiques de police et de gendarmerie. La tendance à judiciariser les altercations de la vie quotidienne va elle aussi dans ce sens. Ce ne sont pas les faits qui explosent, mais bien leur enregistrement.

Robocop: Pures foutaises de sociologues. D'ailleurs les chiffres du ministère de l'Intérieur sont jugés trois fois inférieurs à la réalité car, certes, il n'enregistrent que les plaintes et l'activité des services. Alors que les atteintes aux biens (les vols) baissent grâce aux progrès technologiques (par exemple les alarmes dans les voitures), les violences crapuleuses (comme les vols avec violence) et non crapuleuses (la violence «gratuite»), sont en augmentation continue depuis 10 ans.

En 2011 selon l’ONDRP, 7,4 atteintes volontaires à l’intégrité physique pour 1.000 habitants ont été constatées... Combien de temps pourras-tu maintenir l’illusion que la violence est créée de toutes pièces par les médias et les tableaux excel?

Voici ce qu’Alain Bauer disait devant la commission d’enquête du sénat sur la délinquance des mineurs en 2002:

«Voilà trente ans, le chômage était un concept. Puis, le concept s'est transformé en individus. Peu à peu, ils ont eu un visage, une identité. Ils se sont rapprochés de notre sphère familiale, amicale. Ils sont devenus nous-mêmes. La violence, c'est exactement la même réalité. Au-delà des questions d'insécurité, de sécurité ou de délinquance, le grave problème de la France est le retour de la violence physique. C'est cette réalité-là qui a tout changé.»

Publiées par le site data publica qui a compilé les 93 types d'actes de délinquances en 6 grands groupes, les données de l'ONRDP (statistiques police et gendarmerie) montrent la tendance à la baisse des vols et à la montée parallèle des violences.

ACTE II

Ascenseur bloqué depuis une demi-heure: les médias et les questions qui fâchent

Angélique: Et j’imagine que tu as ta petite idée sur les noms et adresses des barbares?

Robocop: Noms, adresses, origine ethnique. Il faudra bien qu’un jour toi et tes copains de la faculté vous vous décidiez à passer aux statistiques ethniques. Mais peut-être as-tu peur des mauvaises surprises?

Angélique: Je te renvoie à nouveau à Mucchielli et à son article «Il n’y a pas de statistique raciste, seulement des interprétations». Compter des actes délinquants et les relier à l’origine des mis en cause ne condamne aucunement à des interprétations ethniques de cette délinquance. L’origine est d’ailleurs corrélée avec un ensemble de facteurs comme la pauvreté, le chômage, le fait de résider en ZUS, etc. Dans les pays anglo-saxons, on utilise aussi ces chiffres pour démontrer la fréquence de contrôles au faciès injustifiés.

Robocop: Tu sais bien que ce n’est pas que la couleur qui compte. Le profil type c’est un homme jeune à capuche-baskets, noir, arabe, jaune, ou blanc. C'est pour ça que les vieux et les femmes sont moins contrôlés.

Angélique: Je connais des types en capuche-baskets qui travaillent dans les médias parisiens...

Robocop: Parlons-en, des journalistes! Obertone (passé par l’ESJ, école supérieure de journalisme de Lille) les descend en flèche. Cette manie de changer ou de taire les noms des suspects, cette théorie aberrante selon laquelle Papy Voise a fait passer l’inscécurité au premier plan et Le Pen au second tour. Je cite:

«Contrairement à la majorité des médias nationaux, la presse locale a besoin de ses lecteurs pour survivre. Donc elle raconte aux gens ce qui se passe, pour de vrai.

Et pourtant, la règle journalistique la plus sacrée est de “ne pas faire le jeu” du thermomètre, en l’occurrence de “l’extrême droite”, et de laisser la réalité s’en charger, sans lui faire de publicité.»

Cette révolution culturelle nous amène au paradoxe suivant:

«On ne se sent intellectuellement supérieur que lorsque l’on prend position pour le criminel et qu’on s’efforce de minimiser la responsabilité.»

Et pour la victime, comme cette jeune femme violée et torturée toute une nuit en 2004, désormais paraplégique, fait particulièrement atroce sur lequel s’ouvre le livre, c’est qu’elle était «au mauvais endroit au mauvais moment. Ce sont des choses qui arrivent. On ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs. On ne fait pas le vivre-ensemble sans briser quelques innocents».

Quand est-ce que tu fais une étude sur les victimes?

Angélique: Le parcours délinquant mérite qu’on s’y penche. Il ne s’agit pas de l’excuser mais de le comprendre.

Robocop: Je cite à nouveau Obertone:

«C’est à celui qui ira le plus loin à l’encontre du bon sens: on explique, on comprend, on excuse, on légitime, on justifie, et pour finir on approuve, on encourage et on assiste.»

Il me plaît ce mec!

Angélique (lève les yeux au ciel): J’imagine qu’il faudrait au contraire ne pas comprendre, qu’il faudrait se contenter de condamner, réprimer et punir!

Robocop: Ce serait un bon début! Je remarque d’ailleurs que les assos féministes n’ont pas de problème avec la condamnation des pères de famille pour les violences faites aux femmes, ni les bien-pensants avec la tolérance zéro contre l’insécurité routière.

Enquête de victimation de l'Insee (2011). On voit notamment la part importante des violences sexuelles intra-mariage

Angélique: Ah, parce que les violences faites aux femmes, ça n’est pas un vrai problème? Sais-tu au moins que dans la majorité des cas, violeur et victime se connaissent et que nombre de ces actes ont lieu dans la cellule familiale? «Les viols par inconnu représentent dans ma recherche 17% des dossiers (29% à Paris, NDLR)», a souligné la sociologue Véronique Le Goaziou dans Midi Libre. Il faut donc cesser d’associer l’agresseur sexuel à un inconnu qui déboule dans la rue, de préférence un peu basané...

Robocop: Tant que ce sont des vieux mâles blancs, je présume que tu es pour la tolérance zéro pour les violeurs!

Angélique: Pour tout le monde! Ton vrai problème, c’est que tu penses que les délinquants aiment leur situation...

Robocop: Grâce à toi, oui! Sais-tu au moins que ça fait cinquante ans que Gary Becker a écrit que la délinquance était un choix rationnel fait à l’issu d’un calcul risque/bénéfice? Le risque de se faire pincer contre le bénéfice qu’on retire de l’acte. Mais vous les sociologues, êtes tellement endoctrinés et obnubilés par le poids du milieu social que vous en oubliez toute notion de libre-arbitre.

Angélique: Cette théorie du choix rationnel est fausse. Si un délinquant peut certes se tourner vers le cambriolage plutôt que vers le vol à l’arraché parce qu’il estime que c’est moins risqué ou plus rémunérateur, ton Gary machin n’explique pas pourquoi il a choisi la carrière délinquante plutôt que celle d’avocat ou de pilote d’avion.

Robocop: Sans doute qu’il était trop nul et trop feignant pour ça.

Angélique: Et je suppose que son patrimoine génétique ou son mode de vie le prédisposaient à une telle fainéantise.

ACTE III

Ascenseur bloqué depuis une heure: les causes de la délinquance

Robocop: Ils sont pas du genre auvergnat si tu vois ce que je veux dire... Ces gens-là ne vivent pas comme nous, ils ne sont pas forcément adaptés à la culture occidentale et les élites ne font que renforcer leur sentiment de victimisation délirant.

Mais explique-moi plutôt ça: quand Obertone étudie la corrélation entre la richesse d’un département et son taux de délinquance... surprise: la Creuse, le Cantal et le Lot présentent les PIB les plus bas de France et sont aussi les trois départements les moins criminels et délinquants. Et il est où l’environnement socio-économique?

Angélique: Il n’y a rien de comparable entre des départements ruraux âgés, des territoires à l'habitat diffus d’un côté, et de l’autre des départements très denses et urbanisés avec une proportion de jeunes au chômage très au-dessus de la moyenne française. Donc ça ne me choque pas particulièrement.

Robocop (se rend sur le site de l’Insee avec son iPhone 5): Il y a certes 36% de jeunes en Seine-Saint-Denis et 28,8% d’entre eux sont au chômage, mais la Creuse a quand même une proportion de 23,4% de jeunes et leur taux de chômage s’élève à 23,5%...


Xavier Raufer assez mal pensant à cdanslair par noop

L'impayable Xavier Raufer, inspirateur de la thèse de la Creuse vs la Seine Saint Denis

Angélique: Mais dans les zones urbaines sensibles (ZUS), cette proportion de jeunes au chômage monte à 40% comme l’a mesuré le rapport 2012 de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles. Sans parler des discriminations à l’emploi en raison de l’image du quartier et plus encore de l’origine ou de la couleur de peau. Ce qui est important, c’est de réduire le chômage des jeunes et de combattre les discriminations contre les minorités visibles. Et bien sûr de se concentrer sur l’intégration scolaire. Les parcours délinquants commencent là où il y a de l’échec scolaire.

Repéré par un blogueur, cet extrait du Dictionnaire de la police et de la justice, publié aux PUF, semble être la source d'Obertone quand il évoque les taux différenciés de délinquance entre les départements pauvres ruraux et les départements pauvres urbains où se concentrent les quartiers sensibles —le livre cite d'ailleurs Xavier Raufer comme source.

Robocop: Et j’imagine que pour toi les mauvais bulletins et le Pôle emploi expliquent et excusent qu’on rejoigne des bandes, qu’on tape sur des braves gens ou qu’on viole des jeunes femmes? Dans ces zones soi-disant ghettoïsées, «les environs immédiats offrent quantité d’emplois dans tous les secteurs», écrit Obertone.

Angélique: Peut-être que les discriminations à l’embauche bloquent le marché de l’emploi aux jeunes de ces quartiers, qui n’ont le plus souvent pas le niveau de qualification exigé dans des zones d’emploi de services très qualifiés. Les zones franches devaient permettre de régler le problème de l’emploi des quartiers. Or elles ont été détournées par les entreprises. Et le fait que Saint-Denis accueille des grands sièges sociaux d’entreprises ne signifie pas que les emplois sont occupés par des locaux...

Robocop: Et évidemment, pour ceux qui ne réussissent pas, c’est le sentiment de frustration économique qui justifie l’ultraviolence qui se déchaîne contre le premier brave quidam venu? Et que dire de la violence gratuite des émeutes urbaines?

Angélique: Il s’agit d’une rage qui apparaît sans objet puisque non canalisée par les partis politiques ou les syndicats, et qui n’a pas de mot d’ordre explicite. Mais c’est de la contestation qui est évidemment politique contre la relégation des quartiers.

Robocop: Je présume qu’il faut donc dire merci ou s’excuser! Cela me rappelle l’extrait ce passage de La France orange mécanique, quand l’auteur évoque la défense pour le moins gonflée de l’avocat d’un voyou:

«Le niveau culturel [des victimes] a renvoyé comme une insulte au visage des agresseurs leur propre niveau social.»

Il faudrait parler petit-nègre pour se faire respecter?

Angélique: Nous y revoilà, les dérapages racistes…

Robocop: Vous et vos dérapages. Ce pauvre Hugues Lagrange (sociologue, auteur du Déni des cultures en 2010), que vous vous êtes fait un plaisir de descendre en flèche parce qu’il a osé mettre le mot «culture» sur ses observations.

Angélique: En prônant des explications culturelles pour interpréter une surdélinquance des jeunes d’origine sahélienne? Je cite à nouveau Mucchielli [PDF]:

«Faire un lien entre Immigration et Délinquance consiste à penser que les pratiques délinquantes (surtout celles des jeunes) s'expliquent par quelque chose en rapport avec leurs origines étrangères (tel ou tel aspect de leurs mœurs, de leur “culture”, de leurs modèles conjugaux ou familiaux, de leurs religions, etc.) ou bien avec leur situation d'extranéité et de “déracinement”.»

Si c'était le cas, le lien immigration et délinquance devrait être généralisé. Or au sein des immigrés et de leurs descendants français, la délinquance concerne une infime minorité de la population! On peut très bien recourir aux explications sociales sans se fier à de vieilles lunes xénophobes sur l’origine supposémment incompatible avec la nation.

Robocop: Sa thèse n’était pas que certaines cultures sont inassimilables ou essentiellement incompatibles avec la nôtre, mais que l’expérience migratoire et les normes de la famille sahélienne pouvaient entrer en conflit avec les normes du pays d’accueil... Mais de toute manière, on peut plus rien dire.

Angélique: J'ai lu qu'Obertone expliquait que certaines communautés étaient plus adaptées à certains environnements que d'autres... C'est raciste. Son vocabulaire autour de l'«ensauvagement» me rappelle beaucoup la théorie du «grand remplacement» des populations de Renaud Camus. J'ai lu d'ailleurs sur le blog de Laurent Mucchielli que la conclusion très explicite de l'auteur, c'est «que tout cela est de la faute des Arabes et des Noirs et qu'il faut ouvrir des centaines de milliers de nouvelles places dans les prisons pour les y enfermer».

ACTE IV

Ascenseur bloqué depuis deux heures: la politique pénale et les alternatives à la prison

Angélique: De toute manière les prisons sont pleines, et le gouvernement n’a plus d’argent pour les entretenir, encore moins pour en construire. L’avenir est aux peines de substitution à la prison. «Le recours systématique à l’emprisonnement aggrave le risque de récidive», comme le rappellent les signataires du manifeste pour une peine juste et efficace.

Robocop: Non mais tu plaisantes ou quoi? Ce manifeste propose une politique «réductionniste» pour les prisons, encore un appel d’air laxiste pour les criminels. Il donne comme pistes de «dépénaliser certains comportements, limiter les possibilités de détention provisoire et de condamnations à de l’emprisonnement ferme, réduire la durée des peines, développer la libération conditionnelle».

Angélique: Du bon sens. Taubira a d’ailleurs lancé la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, qui devrait nous amener enfin vers une prise en compte sérieuse de la probation, une peine en milieu ouvert avec un suivi de professionnels, comme alternative à la prison pour les courtes peines.

Robocop: J'ai lu dans Libé que la présidente de la conférence de consensus –c’est bien un nom de couilles molles de gauche ça– sur la prévention de la récidive avait déclaré qu’on allait «dépénaliser, contraventionnaliser, ou carrément déjudiciariser certaines infractions». On devrait «encourager délinquants et victimes à se parler», écrit encore Libé, non mais et pourquoi pas des cours de salsa en milieu ouvert pour les agresseurs sexuels?

Angélique: Comme le rappelle une note récente («Prévention de la récidive: sortir de l’impasse»), les courts passages en prison (80% des prisonniers y passent moins d‘un an, la durée moyenne d’enfermement est de 9,8 mois en 2011) ne préviennent pas la récidive, mais constituent un facteur aggravant.

Robocop: Ça ne m’étonne pas de toi que tu lises encore ces notes d’ultragauchistes bien-pensants de la magistrature. Et tu crois vraiment que face à l’augmentation du crime, l’idée magique consiste à trouver des alternatives à la prison plutôt que de construire un nombre suffisant de places?

Angélique: Le bracelet électronique obtient de vrais résultats. Selon une étude du ministère de la Justice sur les premiers placés sous surveillance électronique (PSE), 23% seulement des concernés récidivent, contre 63% condamnés à une peine de prison ferme.

Robocop: Mais la même étude précise que des «conditions sélectionnent, directement ou indirectement, les destinataires du PSE en fonction de caractéristiques socio-économiques qui les distinguent significativement des écroués pris dans leur globalité». En clair, ils récidivent moins parce que les juges ont estimé qu’ils étaient moins à risque.

Angélique: C’est une objection classique, mais les pays qui pratiquent la probation ont des taux de récidive plus faibles que les autres. Et le juge garde une autonomie dans l’individualisation de la peine, c’est le principe de notre justice. Tout comme les antécédents familiaux, sociaux, judiciaires d’un suspect influent sur la probabilité qu’il récidive. C’est à cela que servent les psychiatres.

Robocop: Je les avais oubliés ceux-là. Quand on sait que la France rechigne à utiliser les méthodes actuarielles au profit d’avis totalement personnels et subjectifs d’un psy, on mesure à quel point l’idéologie dominante nous coûte des vies. Après tout les logiciels de prédiction des lieux de crime fonctionnent bien à l'étranger, pourquoi ne pas faire la même chose avec les individus!

Angélique: On devrait aussi, tant qu’à faire, détecter les profils délinquants dès la maternelle, comme un ancien ministre de l’Intérieur l’avait suggéré. Et mettre en préventive les enfants qui mettent les doigts dans leur purée à la cantine.

Comme l’ont écrit des responsables de l’Association française de criminologie dans une tribune précédant la campagne présidentielle, «la dangerosité est en train de devenir l’alpha et l’oméga, la pierre angulaire de toute la politique pénale». C’est bien des méthodes de nazis!

C’est précisément au moment où le débat s’enlise et se godwinise dangereusement et alors que chacun campe sur ses positions, que l’ascenseur redémarre enfin. L’histoire ne dit pas si les causes de la panne étaient humaines ou environnementales.

Jean-Laurent Cassely

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