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Le conclave est la meilleure élection du monde

Collège électoral hyper-restreint, bureau de vote unique et coupé du monde, durée indéfinie, vote opaque et annonce solennelle: l'élection du pape ne ressemble à aucune autre, et c'est ce qui en fait le charme.

Karol Wojtyla sur le balcon de la basilique Saint-Pierre après son élection en tant que pape sous le nom de Jean Paul II, le 16 octobre 1978. REUTERS/Osservatore Romano.
Karol Wojtyla sur le balcon de la basilique Saint-Pierre après son élection en tant que pape sous le nom de Jean Paul II, le 16 octobre 1978. REUTERS/Osservatore Romano.

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Avouons-le, même s’il y a parfois d’heureuses surprises –Bush et sa Floride ou les couples terribles Aubry-Royal et Copé-Fillon–, les élections sont devenues un peu ennuyeuses.

Les sondages s’accumulent pour donner des tendances (certes pas toujours fiables) en amont; les dépouillements sont live-tweetés, voire live-fuités (souvenez-vous de Radio-Londres) à la minute près; et pour finir, les favoris (François Hollande, Barack Obama) gagnent.

Heureusement, il y a, à intervalles imprévisibles, l’élection d’un pape lors d'un conclave, qui va avoir lieu en mars après la renonciation de Benoît XVI: un scrutin lui aussi très encadré (par la constitution apostolique Universi Dominic Gregis, édictée par Jean Paul II en 1996), mais surtout hyper-sélectif, ultra-localisé, à durée indéterminée, opaque, et clos avec toute la solennité et la pompe possibles. Plaidoyer en cinq points pour l’un des scrutins les plus archaïques du monde.

1. 117 électeurs: un collège électoral super-VIP

Seuls sont admis à élire le nouveau pape les cardinaux âgés de moins de 80 ans au jour de la vacance de la fonction –une disposition introduite par le pape Paul VI et qui avait pour origine, dixit Jean Paul II, «la volonté de ne pas ajouter au poids d'un âge si vénérable la charge représentée par la responsabilité du choix de celui qui devra guider le troupeau du Christ».

A l'heure actuelle, le Collège des cardinaux en compte 118 âgés de moins de 80 ans, mais l'un d'entre eux, l’Ukrainien Lubomyr Husar, peut maudire la date choisie par Benoît XVI pour renoncer officiellement à sa charge, le 28 février: il fêtera ses 80 ans le 26 et sera donc privé de son droit de vote.

Trois autres cardinaux doivent atteindre les 80 ans au mois de mars et conserveront donc leur voix au conclave. Sauf absence, 117 devraient donc pouvoir voter.

2. Un bureau de vote unique et isolé du monde

Tous les votes ont lieu dans la chapelle Sixtine, dans laquelle seuls les cardinaux peuvent rester une fois la procédure de vote enclenchée: ce sont des cardinaux eux-mêmes, tirés au sort, qui sont chargés de surveiller le scrutin, le dépouiller et recueillir les votes des cardinaux malades qui ne pourraient pas être présents dans la chapelle.

Pendant la durée du conclave, les cardinaux résident à l’hospice Saint-Marthe, au sein du Vatican. Et seuls peuvent y pénétrer, en plus d’eux, quelques dignitaires ecclésiastiques, deux médecins ou les personnes chargées d’assurer les repas ou le ménage. Toutes ces personnes, de même que les cardinaux, sont tenues de prêter serment de garder le secret sur ce qu’elles apprendraient des délibérations, sous peine de sanctions.



Le Vatican. En rouge, l'hospice Sainte-Marthe, où sont logés les cardinaux pendant le conclave.

Toujours dans l’idée de garder le secret, les cardinaux ne peuvent recevoir la presse («de quelque nature que ce soit» –non, pas de consultation des sites d’information), regarder la télévision, écouter la radio ou faire parvenir des messages à l’extérieur. Sont interdits également dans la chapelle «tout genre d'appareils techniques qui servent à enregistrer, à reproduire ou à transmettre les voix, les images ou les écrits». Ceux qui se plaignaient des directs des chaînes d’info en continu devant un isoloir, des live-tweets d’électeurs ou des bulletins de vote instagrammés seront donc comblés.

3. Une durée indéfinie

Un conclave, on sait quand ça commence (quinze jours minimum et vingt maximum après la vacance de la papauté) mais on ne sait pas quand ça se termine –même s'ils sont généralement brefs: si, dans le passé, des conclaves ont déjà duré plusieurs années, ceux qui ont eu lieu depuis le début du XXe siècle ont duré de deux (les élections de Pie XII en 1939, Jean Paul Ier en 1978 et Benoît XVI en 2005) à cinq jours.

Le premier jour, les cardinaux célèbrent une messe (la messe pro eligendo Papa) dans la basilique Saint-Pierre le matin puis, l'après-midi, votent une première fois. Le scrutin se poursuit les jours suivants à raison de deux votes le matin et deux l’après-midi, jusqu’à ce qu’un candidat recueille deux tiers des voix.

Si, après les trois premiers jours, aucun pape n’a été élu, le scrutin est suspendu pendant au maximum une journée pour des prières, «un libre échange entre les votants et une brève exhortation spirituelle par le premier des Cardinaux diacres», qui est cette année un Français, Jean-Louis Tauran. Pendant les vingt-et-un votes suivants, une interruption identique a lieu tous les sept scrutins.

Si le pape n’a toujours pas été élu après ce délai (soit trente-quatre tours de scrutin), seuls les deux candidats qui ont reçu le plus de voix au dernier tour peuvent en recevoir –et ne peuvent plus eux-mêmes voter–, mais la majorité des deux tiers reste en vigueur. Jean Paul II avait voulu ouvrir la possibilité, dans ce cas, de voter à la majorité absolue, mais Benoît XVI a abrogé cette disposition en juin 2007.

4. Un vote et un dépouillement opaques

L’élection du pape, c’est un peu comme celle des délégués de classe au collège: on peut être élu sans avoir été candidat, car il n’y a pas de déclarations formelles de candidature. Et on peut même être élu sans être cardinal: il suffit juste d’être catholique et baptisé –si le candidat élu n’est pas évêque, il devient automatiquement évêque de Rome. Le dernier pape non cardinal était Urbain VI (1378-1389).

Pas d’actes de candidature en bonne et due forme, donc, pas de sondages (mais les pronostics des vaticanistes) et pas non plus de consignes de vote: officiellement, les cardinaux s'abstiennent, sous peine d’excommunication, «de toute espèce de pactes, d'accords, de promesses ou d'autres engagements de quelque ordre que ce soit, qui pourraient les contraindre à donner ou à refuser leur vote à un ou à plusieurs candidats». Ils ne peuvent également, sous la même peine, transmettre de consigne de vote des pouvoirs civils. Sans même parler de la vente de voix (simonie), elle aussi durement punie.

Quant au vote en lui-même, il a lieu à bulletins secrets (portant la formule «Eligo in Summum Pontificem», sous laquelle les cardinaux inscrivent le nom de leur candidat), ce qui fait qu’il est impossible de savoir avec certitude qui a voté pour qui. Comme dans une élection «classique»... sauf qu'on ne sait pas non plus combien de voix a recueilli le vainqueur, puisque les bulletins de vote et les notes prises par les cardinaux durant les scrutins sont brûlés, produisant la célèbre fumée blanche ou noire annonçant l’élection ou non du nouveau pape.

Seules des indiscrétions internes permettent donc de savoir en gros, après coup, comment se sont déroulés les scrutins. Celles du conclave de 1978 affirment que Jean Paul II n’avait recueilli qu’un nombre très modeste de voix dans les premiers tours, avant de profiter, au bout du troisième jour, du blocage du conclave entre deux cardinaux italiens, un conservateur et un progressiste.

En 2005, le vaticaniste John L. Allen avait lui affirmé, dans son livre The Rise of Benedict XVI: The Inside story of How the Pope Was Elected and Where He Will Take the Catholic Church, que Joseph Ratzinger avait vu son nombre de voix croître régulièrement au fil des quatre tours de scrutin, et que ses principaux concurrents avaient été l'Italien Carlo Maria Martini puis l’Argentin Jorge Mario Bergoglio. La revue italienne de géopolitique Limes avait elle publié le journal (anonyme) d’un cardinal contenant des informations allant dans le même sens, mais son authenticité n'a pu être prouvée.

5. Une annonce solennelle

Avec les fuites (illégales), l’excitation de l’annonce du vainqueur d’une présidentielle à 20 heures est passée. Pour celle d’un conclave, en revanche, l’aspect «annonce mondiale en direct» demeure.

Une fois l’élection acquise, le doyen des cardinaux (qui devrait cette année être l’Allemand Walter Kasper) demande au vainqueur:

«Acceptez-vous votre élection canonique comme Souverain Pontife?»

Ce dernier répond (positivement, sauf dans le Habemus Papam de Nanni Moretti) puis choisit son nom de pape. Le cardinal protodiacre s’avance alors sur le balcon de la basilique Saint-Pierre et prononce la formule rituelle:

«Annuntio vobis gaudium magnum: Habemus Papam,
eminentissimum ac reverendissimum Dominum, Dominum
[prénom],
Sanctæ Romanæ Ecclesiæ Cardinalem
[nom de famille],
qui sibi nomen imposuit
[nom de règne]»

(«Je vous annonce une grande joie: nous avons un pape,
le très éminent et très révérend seigneur, le seigneur
[prénom],
Cardinal de la sainte Église romaine
[nom de famille],
qui s'est donné le nom de
[nom de règne].»)

Une fois cette formule prononcée, le nombre de personnes connaissant le nom du nouveau pape passe d'un coup à quelques milliards. Avec, parfois, une énorme surprise à la clef.

Pas en 2005, où Joseph Ratzinger faisait partie des favoris. Mais, lors du second conclave de 1978, quand le cardinal protodiacre avait annoncé l’élection de «Carolum, cardinalem Wojtyla», une partie de la foule avait d’abord cru qu’il s’agissait du cardinal italien Confalonieri (85 ans), puis que l’élu était africain.

Un long reportage publié à l’époque par le Nouvel Observateur relatait la stupeur qui avait saisi la foule:

«Il donne le prénom: Karol. Surprise. Et vient le nom barbare: Wojtyla. Stupéfaction. On applaudit quand même. Tout le monde se surprend à tenter de répéter le nom, pour comprendre, et les Italiens se précipitent sur L'Osservatore romano du 15 octobre pour découvrir la tête et l'origine de cet inconnu. “E Polacco!” ["C'est le Polonais"], laisse tomber un Romain.»

Jean-Marie Pottier

Article actualisé le lundi 11 février 2013 à 22h avec l'ajout du livre de John L. Allen sur le conclave de 2005 et des éléments de contexte sur l'article de la revue Limes.

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