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Les drones, vous connaissez. Forcément. Ces engins qui se répandent sur les champs de bataille d’Irak et de Libye, dans les zones tribales pakistanaises, du Yémen, de la Somalie où les Etats-Unis pratiquent des assassinats ciblés de membres présumés d'al-Qaida, voire du Sahel (une base de drones, pour l'heure non-armés, sera bientôt implantée par Washington au Niger).
Mais ce n'est pas que ça. Les avions pilotés à distance envahissent tous les pans de l'activité économique, ou presque. «C'est un peu comme l'ordinateur, explique Andreas Rastopoulos, fondateur de la start-up californienne Matternet. Au début, il fallait une pièce entière pour contenir un ordinateur. Maintenant, tout le monde a des portables.» L'ère des drones vient de commencer.
Et du coup, on trouve de tout, ou n'importe quoi. Comme par exemple The Burrito Bomber qui propose d'apporter des sandwichs mexicains avec un de ces petits engins pilotés à distance.
Peter Van Bluyenburgh n'aime pas beaucoup que tout et n'importe quoi soit fait avec des drones. Il est à la tête de l'Association for Unmanned Vehicle Systems International, sorte de lobby pro-drones. Alors, quand on lui parle de burritos livrés par voie aérienne, il rugit.
«C'est débile ça, complètement débile. Certains proposaient des livraisons de pizza l'année dernière, des étudiants ont voulu leur répondre. Ce sont de jeunes universitaires qui s'amusent!»
Rien de très sérieux pour Peter Van Bluyenburgh, qui renvoie vers une liste d'applications civiles établie par lui-même pour l'UVS International. Et il a été prolixe: des dizaines sont référencées et classées selon les usages, de la surveillance jusqu'à (l'hypothétique) taxi aérien.
Un drone de transport
Pour Andreas Rastopoulos, les drones pourraient permettre à un milliard d'êtres humains de rattraper leur retard de développement, de «jouer à saute-mouton» s'enthousiasme-t-il.
Le projet, Matternet, est né dans un atelier du prestigieux Massachussets Institute of Techonology, le MIT. Le but: réduire la pauvreté. L'absence d'infrastructure de transport en est l'une des causes principales, identifient Andreas Rastopoulos et ses coéquipiers. Au lieu de construire des routes coûteuses, ils imaginent «changer de paradigme du transport». Place aux moyens aériens. Place aux drones.
Matternet in Haiti from Matternet on Vimeo.
Disposés dans un réseau décentralisé sur le modèle d'Internet, les drones livreraient des biens de première nécessité, notamment des médicaments, dans des zones reculées. Chaque hameau disposerait d'une base avec un drone de petite taille qui pourrait aller dans un rayon de 10 km environ, maillant ainsi le paysage. Le projet, ambitieux, pourrait voir le jour d'ici «deux à quatre ans», espère Andreas Rastopoulos, en cours de discussions avec une ONG dont il préfère taire le nom pour l'instant.
«C'est le futur», assure Christophe Mazel, directeur de la société française Fly-n-sense qui fabrique et commercialise des drones. Même si l'évolution fulgurante de ces dernières années offre d’ores et déjà de nouvelles utilisations. Chris Anderson, ancien rédacteur en chef de Wired et maître es-geekeries invoque pour les drones un dérivé de la loi de Moore: en informatique, la puissance de calcul augmente de façon exponentielle à coûts constants. Un schéma similaire explique la forte croissante des drones ces dernières années, «grâce à l'industrie du smartphone qui repose sur les mêmes composants –capteurs, optiques, batteries, processeurs embarqués– chacun devient plus rapide et plus petit tous les ans», poursuit Anderson.
En attendant le futur et le transport de marchandises, le présent se contente de captations d'images et mesures diverses. Fly-n-sense a un «positionnement civil» et s'intéresse de près aux applications agricoles des drones. «Ils pourraient être utilisés pour l'épandage au-dessus de champ», détaille Christophe Mazel. Installée dans le bordelais, Fly-n-sense étudie plusieurs programmes, encore au stade de recherche et développement. L'un d'eux est en cours d'expérimentation pour effectuer des captations aériennes. Vitidrone prévoit que «des engins entre 2 kg et 6 kg circulent à très basse altitude au-dessus des vignes pour effectuer des mesures et réajuster ensuite les apports», explique Christophe Mazel.
Un drone de film
C'est avant tout la captation d'images qui intéressent les utilisateurs actuels de drones, aux profils et utilisations variées. La boîte de production française Elle est pas belle la vie (LPBV) dispose d'un drone depuis trois mois. Pour Morad Ait-Habbouche, l'équation n'a pas été simple à résoudre:
«Il faut trouver le bon drone et le bon pilote, sans que ça ne devienne ni chronophage, ni systématique. Ce sont deux mondes qui se rencontrent, tous les pilotes n'ont pas la culture télé qui, à l'inverse, connaît mal cet univers.»
Morad Ait-Habbouche a tourné avec son drone octocoptère en Inde et au Laos pour la collection «Les gens du Fleuve». «Les drones ouvrent des angles auxquels on n'avait pas accès», explique-t-il. En plus du pilote, un cadreur a une manette dans les mains pour gérer la prise de vue.
LPBV est l'une des rares sociétés à avoir franchi le cap: «Une première vague a eu lieu il y a deux ou trois ans, mais les drones tombaient beaucoup. Ils tombent un peu moins aujourd'hui.» Entre 11.000 euros et 20.000 euros à l'achat, le crash coûte cher... Moins que les caméras aériennes wescam et cinéflex, références pour les images aériennes. «Tant que leur prix sera prohibitif, les drones auront leur place», résume Morad Ait-Haddouche.
Un drone de pompier
La réduction des coûts est l'un des principaux arguments des constructeurs pour le génie civil et le bâtiment. Christophe Mazel, de Fly-n-sense, raconte que des drones ont été employés sur le chantier pharaonique du viaduc de Millau dans le Tarn pour procéder à des inspections dans les endroits les plus inaccessibles. Une utilisation qui intéresse les sapeurs-pompiers.
Les Allemands ont franchi le pas pour intervenir sur des incendies. Les Français y réfléchissent, dit Manuel Carballeda, de la société Air Robot qui commercialise des drones allemands. Une expérimentation a été lancée dans les Landes, rappelle la Direction générale de la sécurité civile qui dépend du ministère de l’Intérieur. Grâce aux drones, les points chauds des incendies seraient identifiés plus rapidement. Ils s'insèrent dans la doctrine développée à la fin des années 1980 en France: face aux difficultés à éteindre de grands feux, les sapeurs-pompiers ciblent en priorité les départs de feu.
Pour que ces usages se répandent, il faut que la législation évolue, plaide Peter Van Bluyenburgh, droit dans son rôle de lobbyiste. Un premier pas a été franchi en juin 2012 avec la publication d'un arrêté du ministère des Transports qui définit une typologie des drones, classés notamment selon leur poids. La Cnil aussi a lancé une réflexion. Ce n’est pas surprenant: toutes ces images captées du ciel par de plus en plus de personnes intéressent l'autorité chargée (entre autres) du respect de la vie privée.
Pierre Alonso