France

L'aéroport de Notre-Dame-des-Landes fait courir le risque d'une Bretagne à deux vitesses

Le projet contesté du gouvernement ne pose pas seulement des enjeux écologiques et économiques, mais aussi de géopolitique locale, entre développement d'une «Californie bretonne» et crainte d'une marginalisation de certains territoires.

L'un des sites situés sur le territoire du projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. REUTERS/Stéphane Mahé.
L'un des sites situés sur le territoire du projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. REUTERS/Stéphane Mahé.

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L'aéroport de Notre-Dame-des-Landes est une aubaine pour le Grand Ouest. C'est en tout cas ce que répètent à l'envi les défenseurs du projet, aussi bien en Bretagne que dans les Pays de la Loire.

«Ce projet renforce les liens et la coopération entre les territoires», assure-t-on dans l'entourage de Jacques Auxiette, le président PS de la région Pays-de-la-Loire.

Même Rennes et Nantes semblent avoir mis de côté leurs vieilles rivalités pour travailler main dans la main. Situé au centre du département de la Loire-Atlantique, qui fait partie de la région administrative Pays de la Loire mais aussi de la Bretagne historique, l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes «répondra aux besoins des deux métropoles, qui ont fait le choix de s’allier et de se développer harmonieusement en rompant avec la logique de concurrence des territoires», déclaraient ainsi les élus des deux villes en décembre dans un communiqué commun. «La concurrence est devenue complémentarité», résume Bernard Poirier, premier vice-président de l’agglomération rennaise.

La position de Notre-Dame-des-Landes (en rouge) dans le Grand Ouest

Les édiles bretons et ligériens présentent donc le projet d'aéroport de Notre-Dame des Landes comme un levier de développement pour le Grand Ouest qui, selon Jean-Marc Ayrault, ferait l'objet d'un «consensus très large». Mais, sous le vernis des discours rassembleurs, l'unité de façade s'effrite.

Malgré une communication bien rodée vantant les mérites de la coopération, les intérêts économiques des territoires concernés semblent diverger. Au-delà du débat écologique et économique, Notre-Dame-des-Landes crée aussi un débat géopolitique local.

Des intérêts divergents

Les réserves exprimées publiquement par certains élus de premier plan mettent à mal le mythe de la parfaite coopération. L'aéroport «n'a jamais été notre combat», déclarait par exemple mi-janvier Bruno Retailleau, le président UMP du conseil général de Vendée. Il assurait alors que, si un pont sur la Loire n'est pas construit afin de faciliter la circulation, «nous ferons du bruit, qui s'entendra jusqu'à Matignon, où l'ancien maire de Nantes sera bien obligé de nous entendre».

La Vendée est un des cinq départements qui composent la région Pays de la Loire, qui a consenti un investissement de 40 millions d'euros pour l'aéroport —investissement dont l'élu craint qu'il ne vienne repousser d'autres aménagements réclamés depuis fort longtemps.

La Loire-Atlantique et les quatre départements limitrophe (dans le sens des aiguilles d'une montre depuis le nord-ouest: le Morbihan, l'Ille-et-Vilaine, en Bretagne; le Maine-et-Loire et la Vendée, en Pays de la Loire). Via Wikimedia Commons.

René Louail, conseiller régional EELV en Bretagne et opposé au projet d'aéroport, confirme que, parmi les élus locaux, on est loin de l'union sacrée. Il rappelle qu'en octobre 2010, lors du vote du budget alloué à l'aéroport, «à cinq voix près, le dossier ne passait pas. Beaucoup d'élus y sont opposés, mais le poids des appareils les empêche de s'exprimer». D'après lui, «ce projet ne suscite pas l'euphorie en centre Bretagne», cette zone plus ou moins vaste de la région éloignée du littoral. «Ca se fissure de partout.»

«Rennes fait semblant de vouloir l'aéroport»

François de Rugy, coprésident du groupe écologiste à l'Assemblée nationale, affirme même que le projet, loin d'être un exemple de coopération, est au contraire «le fruit de la concurrence entre les territoires. S'il y avait réellement coopération entre les élus, ils auraient fermé plusieurs aéroports bretons en prévision de l'ouverture de l'ouverture de NDDL. Ça fait longtemps que la priorité aurait été mise sur les lignes ferroviaires bretonnes. Les réseaux n'ont pas bougé en Bretagne depuis dix ans».

En effet, les débats autour de la construction de l'aéroport occultent la question stratégique de la mise en cohérence des différentes infrastructures de transport bretonnes. La région Bretagne compte huit aéroports, dont plusieurs qui ne survivent que sous perfusion d'argent public, et les déplacements en train y sont fastidieux —le TGV ne roule pas à pleine vitesse avant Le Mans. Un coûteux projet (plus de 3,4 milliards d'euros) d'amélioration du réseau ferré breton est à l'étude mais ne devrait pas voir le jour avant 2017.

Et cette ligne à grande vitesse dont on parle peu est pourtant bien plus importante que l'aéroport aux yeux de nombreux élus bretons. Le président socialiste du conseil général du Finistère, Pierre Maille, conditionne par exemple son soutien à l'aéroport à la création de cette LGV reliant Paris à Brest en 3 heures. En effet, Brest disposant déjà d'un aéroport accueillant 1 million de passagers par an, la construction de NDDL ne sera pour elle d'aucune utilité, alors qu'une liaison rapide avec Paris l'ouvre au réseau ferroviaire national.

Et le département du Finistère n'est pas seul dans ce cas. «En réalité, Rennes fait semblant de soutenir l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, assure François de Rugy. La Bretagne a payé 29 millions pour l'aéroport tandis que les Pays de la Loire financent la ligne à grande vitesse à hauteur de 87 millions d'euros. La Bretagne a fait une bonne affaire —à toi l'aéroport et à moi la ligne grande vitesse—, mais c'est un marché de dupes. Les Pays de la Loire vont un peu profiter de la nouvelle ligne, mais j'estime que c'est un très mauvais deal. Rennes en est la principale bénéficiaire.»

Rennes, grande gagnante

Effectivement, la LGV placera la capitale bretonne à seulement 1h30 de Paris. La construction d'un nouveau tronçon ferroviaire devrait également, s'il voit le jour, permettre aux Rennais de gagner Nantes par le train en 45 minutes, avec un arrêt prévu à Notre-Dame-des-Landes.

Mais là encore, la question fait débat. Les défenseurs du projet n'arrivent pas à se mettre d'accord sur la desserte en transports en commun vers l'aéroport. Le département Loire-Atlantique veut des lignes d'autocar, la région Pays de la Loire favorise le tram-train et les métropoles nantaises et rennaises réclament un TGV.

Mais même sans ligne de train directe, Rennes y gagnera: Notre-Dame-des-Landes est plus proche de Rennes que l'actuel aéroport de Nantes-Atlantique. «Vu la circulation chaotique dans Nantes, il sera plus rapide pour les Rennais que pour les Nantais de se rendre à Notre-Dame-des-Landes en voiture», s'amuse René Louail.

Nantes espère de son côté profiter du rayonnement de cet aéroport qu'elle veut d'envergure internationale. Le transfert de Nantes-Atlantique à Notre-Dame-des-Landes permettra également de libérer 600 hectares de terrains au sud de la ville, dont la construction était jusque là bloquée à cause des nuisances sonores provoquées par le survol des avions.

Les villes du sud de la Bretagne voient également d'un bon œil le fait que l'aéroport nantais se rapproche d'elles, mais attendent également une amélioration du réseau ferroviaire breton qui, selon le tracé retenu, pourrait également les placer à 3 heures de Paris.

La Californie bretonne

Nantes va avoir son nouvel aéroport, la Bretagne sa nouvelle ligne à grande vitesse. Les grandes villes ont bataillé ferme et devraient voir leurs ambitions satisfaites. Mais qu'en est-il du reste du territoire? «Ce projet ignore les villes moyennes, les petites villes et les zones rurales», souligne François de Rugy. Hors des grandes zones urbaines donc, point de salut.

En effet, la concurrence que se livrent les villes du Grand ouest pour l'attractivité de leurs territoires les enferme dans une logique de métropolisation. L'urbanisation se fait en tâche d'huile et les métropoles s'étendent fortement, si bien qu'aujourd'hui, «les aires urbaines de Rennes et de Nantes ont tendance à se toucher», remarque François de Rugy. Une vaste concentration d'hommes et d'infrastructures allant de Saint-Malo à Nantes-Saint-Nazaire et englobant Rennes, le sud de la Bretagne et Angers est en train de se dessiner.

Pour les élus des grandes villes du nord-ouest de la France, ce regroupement urbain, auquel participe l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, est vu de manière positive. Bien que concurrents à l'échelle régionale, ils partagent l'ambition commune de faire de cette région informelle un sous-ensemble attractif à l'échelle internationale. Avec d'autres édiles de l'arc Atlantique, ils se sont fixés pour objectif de «devenir un espace compétitif, intégré à l’économie mondiale».

Une vision de l'aménagement du territoire que dénonce Yves le Bahy, président de l'association des géographes de Bretagne. Il met en garde contre cette concentration urbaine qu'il appelle la «Californie bretonne» et que la construction de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes ainsi que le nouveau tracé TGV vont venir renforcer.

La Bretagne divisée en deux par une ligne Quimper-Saint-Malo (via Wikimedia Commons)

Selon le géographe, ces grands projets vont accentuer la rupture entre la partie de la Bretagne située au sud d'une ligne allant de Quimper à Saint-Malo, favorisée, et celle située au nord. La hausse du foncier qui risque d'accompagner la construction de ces nouvelles infrastructures accélérera la gentrification en cours dans les métropoles, reléguant les moins fortunés et les activités productives dans la périphérie lointaine, tandis que les ménages aisés et les activités de services seront regroupées dans cette grande conurbation.

Une Bretagne à deux vitesses

«L'aménagement du territoire se fait au profit des métropoles et au détriment des zones rurales. Localement on voit se fermer un à un les services publics et les commerces captés par les grandes métropoles», s'inquiète Xavier Robin, membre du collectif Centre Bretagne contre Notre-Dame-des-Landes.

Yves le Bahy confirme ces craintes et prédit que la partie nord de la Bretagne deviendra «une petite Cornouailles peu attractive, tout juste bonne à être un lieu de villégiature», tandis que l'ensemble formé par les villes du sud de la Bretagne et l'axe Saint-Malo/Rennes/Angers/Nantes s’intégrera de plus en plus dans une «grande Île-de-France».

Il est fort probable que le nord de la Bretagne sorte perdant de cette lutte effrénée pour l'attractivité des territoires à l'échelle régionale et internationale, dont l'aéroport est un symbole. Mais rien ne dit que l'option de la métropolisation bénéficie à la «Californie bretonne».

Selon Yves le Bahy, «le modèle métropolitain ne prépare en rien la région au jeu de la mondialisation. Le Grand Ouest ne sera qu'une conurbation de quelques millions de personnes comme il y en mille dans le monde». La région aura bien du mal à tirer son épingle d'un jeu dominé par des grandes concentrations urbaines bien plus conséquentes, notamment en Chine.

La construction de cet aéroport contribuera donc à l'apparition d'une Bretagne à deux vitesses sans pour autant garantir que le Grand Ouest devienne une région attractive à l'échelle mondiale. Nicolas Notebaert, président de Vinci Airports, a reconnu que le déménagement de l'aéroport actuel à Notre-Dame-des-Landes n’est «pas une réponse à des problèmes aéronautiques, mais un choix politique de développement du territoire».

Il semble qu'il ait raison sur ce point. Reste maintenant à s'interroger sur les conséquences pour la région de ce «choix politique».

Emmanuel Daniel

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