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Il n'y a pas eu d'élection en Iran

Le fascisme a vocation à s'exporter. Il faut y faire face aujourd'hui, faute de quoi, nous devrons le combattre demain.

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Pour vous donner une idée de l'atmosphère qui régnait à Téhéran la semaine passée, je cite un jeune camarade iranien qui me tient au courant de l'évolution de la situation: «en assistant au dernier meeting d'Ahmadinejad, j'ai touché du doigt ce que j'imagine être l'essence du fascisme: prenez plein de jeunes types boutonneux qui n'osent pas parler aux filles, donnez-leur des armes à feu et dites-leur qu'ils sont les meilleurs.»

Cette description fort juste donne une idée du niveau de refoulement sexuel des plus fervents défenseurs de la «République islamique», mais aussi de la violence que pourrait déchaîner cet Etat dans l'Etat s'il venait à se sentir menacé. Deux analyses, l'une théorique et l'autre pratique, permettent de comprendre les évènements qui se sont déroulés tout au long du mois dernier en Iran, évènements que je ne peux me résoudre à désigner par le terme «d'élections» et qui étaient plutôt un camouflet adressé à tous ceux qui y ont participé ou en ont été témoins. L'aspect théorique, même s'il nous oblige à nous éloigner momentanément de l'actualité brûlante, est de loin le plus important.

L'Iran, mais également ses citoyens, sont considérés par la théocratie shiite comme la propriété des mollahs. Cette conception totalitaire de la société trouve son origine dans un texte particulièrement fantaisiste, le velayat-e faqui, rédigé par feu l'ayatollah Ruhollah Khomeini. Selon les termes de cet édit, qui, au départ, plaçait les orphelins, les indigents et les fous sous la coupe du clergé, c'est la totalité de la population qui est placée sous la tutelle de l'Etat.

En conséquence, la notion même d'élection perd beaucoup de son sens puisque le Conseil des gardiens de la Constitution décide à l'avance qui aura le droit, ou non, de se présenter. Les journaux qui ont évoqué ces évènements en employant les termes «d'élections», de «débat» ou de «scrutin» ont très certainement fait beaucoup rire les ayatollahs («Ils y ont cru? C'est trop facile!») Honte à ces journaux, à ces radios et à ces chaînes de télévision qui ont été complices de ce mensonge éhonté ! Et honte sur notre lamentable Secrétaire d'Etat (Hillary Clinton), qui a déclaré espérer que le résultat de cette comédie reflèterait la «volonté du peuple iranien»! Elle, mieux que quiconque, sait pourtant bien que cela ne risque pas d'arriver de si tôt.

Cependant, il est possible que le candidat favorisé par les ayatollahs ne «gagne» pas. Et il est même possible que le Conseil des gardiens de l'Islam ne parvienne pas à choisir un poulain à l'unanimité. Cela n'a pas beaucoup d'importance, mais cela peut créer des rancœurs. Après tout, même un système politique corrompu peut connaître des fraudes qui sont, comme l'hypocrisie, le compliment que le vice fait à la vertu.

Avec une brutalité incroyable, le régime a donc coupé les réseaux téléphoniques et annoncé, par l'intermédiaire de sa milice, les «Gardiens de la révolution», que seul un candidat bénéficiait de l'onction divine. Selon le chef suprême, Ali Khamenei,  «la main bienveillante du Très Haut» avait guidé les électeurs, ce qui permettait d'annoncer un résultat avant même que tout le monde ait fini de voter. Si un tel discours vous étonne, sachez qu'il passe son temps à dire ce genre de choses.

Si l'on passe sur les preuves évidentes de fraude électorale et d'intimidation des électeurs, il y a une autre raison de douter qu'un fondamentaliste inculte comme Mahmoud Ahmadinejad ait pu obtenir un tel plébiscite. En effet, un peu partout dans le monde musulman, les élections tenues au cours des deux dernières années ont donné des résultats inverses.

Au Maroc en 2007, le parti Justice et Développement à qui on prédisait un raz de marée, s'est retrouvé avec seulement 14% des voix. En Malaisie et en Indonésie, le triomphe annoncé des partis pro-Sharia s'est transformé en net recul. En Irak au mois de janvier, les partis religieux ont subi un revers aux élections locales dans des villes comme Basra. Au Koweït le mois dernier, les forces islamistes ont fait de mauvais scores et quatre femmes, dont l'admirable Rola Dashti, qui refuse de porter quelque voile que ce soit, ont été élues à un parlement qui ne compte que cinquante sièges. Et surtout, au Liban, le Hezbollah, qui bénéficie pourtant du soutien direct du régime iranien, a été battu au cours d'élections dont aucun parti n'a contesté le résultat. Enfin, d'après ce que je comprends, si les Palestiniens devaient voter cette année, comme il a été un moment envisagé qu'ils le fassent, il y aurait peu de chances pour que le Hamas l'emporte.

Et pourtant, cette petite coterie de vieillards aussi séniles que fanatiques, qui n'est même pas parvenu à influencer les élections libanaises, est parvenue à augmenter sa «majorité» dans un pays ruiné dont elle contrôle les médias et où elle détient le monopole de la violence. Selon moi, aucun pays ne devrait lui donner la satisfaction de reconnaître ce misérable triomphe. A ce titre, je recommande la lecture de ce texte, ainsi que des autres travaux publiés par la Fondation Abdorrahman Boroumand, qui révèlent ce qu'il en coûte de déplaire au Conseil des Gardiens de la Constitution. Au-delà de la disqualification, les malheureux candidats ont été emprisonnés, torturés ou même exécutés, parfois les trois. D'autre part, le nouveau film de Cyrus Nowrasteh, The Stoning of Soraya M. (La Lapidation de Soraya M.), montrera très bientôt au monde entier ce qu'il arrive aux personnes qui ont le malheur de se trouver sur le chemin des fanatiques d'Ahmadinejad.

Pour en finir sur le sujet, je me dois de vous raconter ce que j'ai vu de mes propres yeux lors d'un meeting récemment organisé par le Hezbollah à Beyrouth. Dans une vaste salle, où était présente une délégation de l'ambassade iranienne, l'affiche la plus visible du parti pro-iranien montrait un champignon nucléaire. Sous cette image peu équivoque, une phrase mettait en garde les «sionistes» contre ce qui les attendait.

On oublie encore parfois que l'Iran nie officiellement toute intention de s'équiper d'armes nucléaires. Pourtant, Ahmadinejad a récemment mis en parallèle la réussite d'un test de missile avec les progrès de la recherche nucléaire iranienne, et le Hezbollah semble avoir été autorisé à sous-entendre que les réacteurs iraniens pourraient avoir des applications militaires. Cela signifie, entre autres choses, que l'oppression exercée quotidiennement par les mollahs sur leur peuple ne peut plus être considérée comme un «problème interne» à l'Iran. Le fascisme a vocation à s'exporter. Il faut y faire face aujourd'hui, faute de quoi, nous devrons le combattre demain. Et le moins que l'on puisse faire, c'est l'appeler par son nom.

Christopher Hitchens

Traduit par Sylvestre Meininger

Crédit photo: Scène de rue à Téhéran  Reuters

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