Culture

Pop: Lady Gaga est-elle vraiment futée?

La plus prétentieuse des starlettes de la pop.

Temps de lecture: 3 minutes

A la fin du mois dernier, le clip du nouveau single de Lady Gaga, «Paparazzi», a fait l'objet d'une fuite, diffusé sur Internet bien avant sa date de sortie officielle. Jusqu'ici, rien d'original... sauf que ce clip n'était pas un clip comme les autres. «Paparazzi», c'est huit minutes de musique, 10 changements de costume, des douzaines de danseurs, des lignes de dialogue en suédois, et une intrigue malsaine et compliquée qu'on pourrait résumer par les mots «néon noir». L'apothéose : une chorégraphie spasmodique et ingénieuse (avec fauteuil roulant, béquilles et membres estropiés). Bref, Lady Gaga ne souhaitait pas que « Paparazzi » voit le jour sur une humble page Youtube, en 480x360... C'était son «November Rain», pas son «Chocolate Rain». Elle a fait part de sa frustration sur Twitter d'une réplique laconique: «Arrêtez de diffuser mes putains de vidéos».

Gaga est une sorte d'anomalie: une pop-starlette prétentieuse. A l'entendre, elle n'est pas une artiste anonyme de plus, une spécialiste de la musique de drague (ce que certains pourraient penser en écoutant ses tubes technos robotiques et décadents), mais une manipulatrice des médias accomplie, qui mène un projet pop'art élaboré, à la Warhol. Elle saupoudre ses interviews de références : l'aphorisme Warholien du «profondément superficiel»,  David Bowie, Leigh Bowery, «Le Portier de nuit»... Ses tenues étranges et architecturales sont sensées rendre hommage aux designs avant-garde de Thierry Mugler et de Hussein Chalayan. Et, comme Warhol avec sa «Factory», elle dispose d'une équipe de collaborateurs, qu'elle surnomme «the Haus of Gaga». Rien de tout cela n'apparait vraiment dans ses chansons; mais c'est peut-être justement l'idée. Sa prétention (le name-dropping effréné, les vidéos conceptuelles, les accoutrements extravagants)  est comme une aura entourant sa musique, qui nous pousse à analyser ses chansons sous un jour différent, un jour plus radieux.

De façon assez ironique, la première influence artistique de Gaga n'avait absolument rien de prétentieux. Quand Gaga n'était encore que Stefani Joanne Angelina Germanotta, une jeune fille de 23 ans vivant dans l'Upper West Side, à New York, elle n'avait qu'une obsession: Britney Spears. Elle chantait du Britney Spears sur un karaoke dans sa chambre, et partait souvent en pèlerinage dans la rue des studios TRL, a-t-elle confié, «juste pour voir les ongles de Britney à travers la fenêtre». Mais elle ne l'a pas désavouée en grandissant et en découvrant de meilleurs artistes à aduler. L'amour que vouait Gaga à Britney Spears était en partie anthropologique  elle dit avoir adoré Britney non seulement pour sa musique, mais aussi pour la dévotion hystérique qu'elle inspirait aux jeunes de son âge. C'est un détail crucial pour comprendre la mission de Gaga. Elle veut redonner à la pop star sa magie et son mystère: quoi de plus raisonnable lorsqu'on a vu sa première idole se faire brûler les ailes de si brutale manière.

La bibliographie haut-de-gamme et la théâtralité très « art performance » de Gaga jouent un rôle clé dans la création de cette fameuse «aura». Il faut lui reconnaitre un mérite, cependant : elle n'a jamais snobé cette culture de la célébrité totalement dévoyée, celle-là même qui a cabossé sa préférée, Britney, starlette formatée par Disney devenue tête de turc des médias. Au contraire : Gaga plonge dans la boue et se bagarre avec. Voyez avec quelle intelligence elle se joue de l'héritage douloureux des pop-star adolescentes des années 90. Exemple : Britney Spears était une blonde platine virginale des plus classiques à ses débuts ; la perte de sa pureté fut rendue publique au fil de sa carrière. Gaga, elle, n'a jamais été pure: «Just Dance», son premier titre, parle d'une soirée en boite trop alcoolisée, et d'un t-shirt qu'on retourne sans s'en rendre compte. Ainsi, elle a décrit sa déchéance publique dans son tout premier single, tout en préservant adroitement sa vie privée : une frappe préventive et provocante. Dans «Poker Face», où elle célèbre les jeux d'esprit et les rapports de force dans la chambre à coucher, et dans «Paparazzi», où elle compare l'amour au harcèlement des chasseurs d'images, Gaga se donne le rôle d'une jeune fille manipulant sans l'ombre d'un problème les éphémères et superficiels signifiants de la féminité à l'ère de la presse tabloïd.

Ce contrôle se ressent de manière évidente dans la façon qu'a Gaga d'explorer et d'exposer la sexualité. Chaque starlette à moitié nue dit que sa lingerie en cuir verni lui donne « plus de pouvoir », ou prétend que ses chansons racoleuses, véritables odes à la soumission sexuelle, sont en fait les preuves de sa force. Gaga joue dans la même catégorie, mais il y a en elle quelque chose de neuf. Dans les interviews, elle dit vouloir mourir sans mari, entourée d'accessoires de scène ; elle dit vouloir effrayer les garçons, pas les exciter. Elle porte des robes étriquées, mais dont les formes émoussent, distordent et affutent les courbes de son corps : le sabotage du genre, ce qu'elle admirait chez Bowie et Grace Jones, en version 2009. Sur la couverture du nouveau Rolling Stone, Gaga pose nue sous une touffe de cheveux crêpés; des bulles s'échappent de sa peau; le maquillage donne à ses lèvres l'apparence d'une bouche de poupée gonflable. L'image capture quelque chose d'essentiel, et nous révèle ce qu'est, au fond, Lady Gaga: un monstre exquis.

Jonah Weiner

Crédit photo: Lady Gaga  Reuters

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