Life

Secrets de cuisine: la purée de Joël Robuchon

Le plat le plus basique de la cuisine de ménage, la purée de pommes de terre, est devenu, avec le temps, la préparation rituelle du plus capé des chefs français avec Alain Ducasse. Dégustation et recette détaillée.

Temps de lecture: 5 minutes

La purée onctueuse, crémeuse –un pur régal– n’est pas inscrite sur les cartes de Joël Robuchon: elle n’est pas facturée, elle est offerte en garniture de la vingtaine de plats chauds des Ateliers à Paris, du Métropole à Monaco et à Londres, à Macao, à Las Vegas, à Tokyo… C’est le «must» par excellence, elle est attendue, guettée, réclamée par les fidèles qui en veulent plus: c’est une gâterie d’enfance qui nous renvoie à l’âge des culottes courtes. Aucun plat de la cuisine de chefs étoilés, en France, ne recèle autant de puissance symbolique et d’évocation régressive –c’est ce que le génial Poitevin, MOF, découvre, médusé à tous les services.

A la carte du Jamin, racheté par Joël Robuchon et son épouse Jeannine fin 1981, la purée bien lissée au beurre est une surprise de taille pour les gourmets, membres du Club des Cent et autres, qui vont assiéger la confortable bonbonnière aux couleurs vertes, banquettes latérales et tables rondes: quoi, une purée maternelle chez ce chef célébrissime dont tout le monde parle en France –un mois et plus pour décrocher une table aux dîners de fin de semaine.

Cette purée qu’on savoure en silence est une sorte de gag, une facétie culinaire aux vertus enchanteresses. Elle a fait jaser dans les cercles de fins becs d’autant que les mangeurs en redemandent: la «repasse» est une obligation pour les maîtres d’hôtel qui en restent pantois.

Il y avait de quoi s’interroger: l’ancien chef du Concorde Lafayette à 25 ans (80 cuisiniers sous ses ordres), puis des Célébrités du Nikko (500 chambres) qui a eu deux étoiles, une exception rarissime pour un hôtel de chaîne en 1980, et trois étoiles trois ans plus tard au Jamin –du jamais vu en France–, a été le prince des raviolis de langoustines aux truffes, des laitances de hareng au verjus, de la tourte de canard au foie gras à la sauce rouennaise (un chef-d’œuvre absolu) et de cent spécialités de haute cuisine qu’il a revisitées comme cette divine purée et la quasi-totalité des recettes de base du cuisinier moderne.

A côté des plats d’une extrême complexité et d’un savoir-faire de gros bonnet (le lièvre à la royale du sénateur Couteaux), Joël Robuchon n’a cessé de défendre la simplicité «faite de rigueur et d’un soin méticuleux de tous les instants, tout est important dans ses recettes» (Catherine Michel, sa biographe en 1988).

Ainsi, dans son formidable répertoire (400 recettes publiées), il s’est penché sur la soupe de fèves à la sarriette, la salade champêtre, le civet de lapin, l’entrecôte vigneronne, les carottes nouvelles glacées, la tarte aux pommes et aux raisins (la meilleure du monde) et la crème anglaise: la mémoire et la tradition du bien manger en France. Il a été l’Escoffier de notre temps.

Il y a chez lui un encyclopédiste de la cuisine française et, dès son arrivée rue de Longchamp dans le XVIe arrondissement de Paris, où son génie va exploser, journaux et magazines le sollicitent pour publier ses recettes, ses façons de faire, ses trucs de chef et son artisanat de cuisinier universel.

A côté de la délicate salade pastorale aux herbes et du carré d’agneau en croûte de sel (comme le bar ou la daurade), il va concocter sa purée de pommes de terre au beurre de baratte en quantité plus que généreuse (25% de beurre) alors que le Larousse gastronomique ne recommande que 50 grammes pour 1 kilo de purée –pour Joël, c’est trop peu car c’est le gras qui confère le goût et le moelleux. Sa purée reste une caresse sur les papilles –et quelle longueur en bouche

A l’Atelier Saint-Germain de Paris, Axel Manes, bras droit de Joël et chef du restaurant rouge et noir, indique qu’il commande une tonne de beurre Bordier 1er cru par mois pour 20 à 25 kilos de purée par jour, à base de rattes ou de BF 15. Dès sept heures du matin, les cuisiniers Grégory ou Olivier se mettent à touiller la purée pour le déjeuner. A 15h30, ils recommencent car la qualité d’une bonne purée, c’est sa fraîcheur: on ne la réchauffe jamais. A l’Atelier Champs-Elysées, les chefs Yosuke Suga et David Alvès surveillent eux-mêmes l’élaboration du plat phare robuchonien.

Quels plats pour accompagner la purée aux deux Ateliers?

D’abord les viandes:

  • L’agneau de lait en côtelettes à la fleur de thym (49 euros)
  • Le Black Angus, l’onglet fondant aux échalotes confites (37 euros)
  • Le foie de veau aux rouelles d’oignons et pommes grenaille (53 euros)
  • La caille farcie de foie gras, caramélisée et pommes purée truffée (42 euros)
  • Le bœuf en tournedos au poivre noir (49 euros)
  • L’onglet en tartare, frites à l’ancienne (53 euros)
  • La joue de bœuf confite au vin rouge, oignons et lardons (35 euros)
  • Le burger au foie gras et sauce aux aromates (35 euros)
  • Le ris de veau clouté de laurier frais (34 euros)
  • Le pigeon en suprême au chou et foie gras (35 euros)

En accompagnement des poissons et crustacés, la saint-jacques sur un lit de macaronis à la truffe noire (59 euros), la langoustine en ravioli truffé à l’étuvée de chou vert (38 euros) et aussi l’œuf à la moelle relevé d’une pointe de moutarde sur un toast friand (19 euros), bref, la délicate purée est l’assiette en plus, le présent robuchonien qui embellit le repas et titille le souvenir.

C’est grâce à ce magnifique maître des saveurs vraies que la purée est furieusement à la mode, elle est un accélérateur des commandes au restaurant, un déclencheur de gourmandises salées.

Oui, voilà une passion culinaire de notre temps. A l’Atelier Saint-Germain, il n’est pas rare qu’après le café et le bonbon au chocolat, des accros exigent un ramequin de purée –pour faire passer l’addition et pour le parfum de jadis.

Nicolas de Rabaudy

La purée de pommes de terre, recette de Joël Robuchon

  • Pour 6 personnes
  • Temps de préparation: 15 minutes
  • Temps de cuisson: 35 minutes

Ingrédients

  • 1 kg de pommes de terre (rattes ou BF 15)
  • 250 g de beurre bien froid
  • 25 cl de lait entier
  • gros sel

Préparation

  • Lavez les pommes de terre, mais ne les pelez pas.
  • Dans une casserole remplie de deux litres d’eau froide additionnée d’une cuillerée à soupe de gros sel, faites cuire les pommes de terre à couvert jusqu’à ce que la lame du couteau plantée dedans en ressorte aisément (25 minutes environ). Coupez le beurre en petits dés, mais maintenez-les au réfrigérateur.
  • Dès que les pommes de terre sont cuites, égouttez-les. Pelez-les encore tièdes. Passez-les au moulin à légumes équipé de la grille la plus fine, au-dessus d’une grande casserole. Portez la casserole sur feu moyen, faites légèrement dessécher la purée en la remuant vigoureusement avec une spatule en bois (5 minutes environ).
  • Dans le même temps, passez une petite casserole sous l’eau, videz-la sans l’essuyer. Dans cette casserole, faites bouillir le lait.
  • A feu doux, incorporez petit à petit aux pommes de terre le beurre très froid, bien dur, et coupé en morceaux, en remuant énergiquement la préparation afin de la rendre lisse et onctueuse.
  • Toujours à feu doux, ajoutez le lait très chaud, en petit filet, toujours en mélangeant énergiquement jusqu’à ce qu’il soit entièrement absorbé. Goûtez, salez et poivrez.
  • Pour rendre la purée encore plus fine et légère, vous pouvez la passer à travers un tamis à toile très fine.
  • A lire: Tout Robuchon.
  • L’Atelier Étoile 133 avenue des Champs-Elysées 75008 Paris. Tél.: 01 47 23 75 75. Menus au déjeuner à 37, 57 et 77 euros. Menu «découverte de saison» à 165 euros. Pas de fermeture. Voiturier.
  • L’Atelier Saint-Germain 5 rue Montalembert 75007 Paris. Tél.: 01 42 22 56 56. Menu découverte à 199 euros. Pas de fermeture. Voiturier.
cover
-
/
cover

Liste de lecture