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Législatives israéliennes: une surprise qui ne règle rien

Le virage à droite de l'électorat n'a pas eu lieu, avec une percée des centristes et de légers gains pour les travaillistes. Une période d'incertitude sur la future coalition s'ouvre désormais, et pourrait déboucher sur... la même politique.

Benjamin Netanyahou, le 23 janvier 2013 à Jérusalem. REUTERS/Darren Whiteside
Benjamin Netanyahou, le 23 janvier 2013 à Jérusalem. REUTERS/Darren Whiteside

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A en croire les sondages, la droite et l’extrême droite israéliennes devaient à elles seules frôler la majorité absolue lors des législatives du 22 janvier face à une gauche et des centristes laminés; ce ne fut pas le cas. Il faudra faire le procès des sondeurs qui ont manipulé l’opinion en agitant l’épouvantail d’un glissement du pays à l’extrême droite.

En attendant, essayons d’expliquer l’étonnement de nombreux observateurs pour des résultats qui confirment pourtant que l'opinion publique est partagée de manière égale entre deux blocs antagonistes, la droite et l’extrême droite d'un côté, les travaillistes et le centre de l'autre.

Le jeune Naftali Bennett, religieux sioniste devenu la coqueluche des médias, avait milité contre tout Etat palestinien. Il a réussi à obtenir 11 sièges sur les 15 qui lui étaient prédits, essentiellement pris au Likoud de Benjamin Netanyahou. Avec les 31 sièges de ce dernier, qui représentent un quart des 120 membres de la Knesset, cela reste insuffisant pour former seuls une coalition.

Il est vrai qu’auparavant, les élections primaires du Likoud avaient laminé l’aile modérée du parti, à l’instar du ministre Dan Meridor, au profit des extrémistes de droite, comme Moshé Feiglin, qui ont bien réussi leur campagne au sein du parti et dont les thèses n’ont rien à envier à celles de l’extrême droite.

La poussée à droite, constatée à l’intérieur du parti de Netanyahou, a donné la fausse impression qu’elle s’était répandue au sein de toute la population alors que seul le Likoud en a souffert. Ce fut l’erreur du Premier ministre de l’avoir cru.

Les modérés de droite ont donc rejoint le centre, le parti Yesh Atid de Yaïr Lapid arrivant deuxième avec 19 sièges sur 120, tandis que le parti travailliste arrive troisième avec 15 sièges, deux de plus qu'en 2009. Le parti orthodoxe religieux Shass se situe à la charnière, avec 11 sièges, et négocierait sa participation à droite ou à gauche contre des subsides pour ses écoles talmudiques.

Les Israéliens ont systématiquement rejeté les extrêmes

On s’étonne donc aujourd’hui de l’existence de ces deux blocs de même force alors que cela a toujours été le cas. Les Israéliens ont systématiquement rejeté les extrêmes et ont privilégié le consensus défendu par les idées des partis du centre.

La modération est inscrite dans l’ADN du pays. Lorsque les idées du centre étaient portées par une personnalité charismatique, soutenue par les travaillistes, alors la majorité de la population la suivait automatiquement.

Les Israéliens sont lassés de la guerre et de la surenchère et leur réaction est fidèle à leur volonté de gouverner au centre: le passé récent l’a prouvé.

En 2005, Ariel Sharon, Premier ministre issu du Likoud et faucon parmi les faucons, créait le parti Kadima après avoir compris que son aile droite le poussait vers une impasse avec les Palestiniens, alors qu’il avait décidé d’évacuer la bande de Gaza. Les sondages lui avaient confirmé que son plan de désengagement était approuvé par plus de la moitié de la population. Un mini raz-de-marée permit à Kadima de se trouver en tête des élections de 2006 avec 29 députés sur 120, face à une droite affaiblie totalisant 23 sièges.

Dans l’histoire d’Israël, d’autres exemples montrent que le centre n’est pas un accident de la politique. Lors des élections de 2003, le journaliste Tommy Lapid, père de Yaïr, avait étonné la classe politique en se hissant à la troisième place avec son parti Shinouï («changement»), qui rafla 14 sièges, ce qui lui permit d’entrer au gouvernement en s’opposant à toute collaboration avec les religieux.

De même, en 1999, des personnalités israéliennes issues de différents partis voulurent barrer la route à Benjamin Netanyahou, opposé à Ehud Barak, en constituant «la troisième voie». Les généraux Itzhak Mordechaï et Amnon Lipkin-Shahak, ancien chef d’état-major, furent rejoints par des militants du Likoud comme Dan Meridor, du parti travailliste comme l’ambassadeur Nissim Zvili et du parti d’extrême droite Tzomet comme Eliezer Sandberg. Cette alliance ne recueillit néanmoins que 6 sièges.

L’échec de ces partis du centre a été flagrant en raison de l’absence d’un programme politique clairement établi et d’un réel maillage militant dans le pays. Trop jeunes pour pouvoir durer, les partis centristes ont été condamnés à disparaître, faute de militants locaux et de cadres élus localement pouvant apporter leur expérience.

Netanyahou n'a pas tiré les leçons de l'Histoire

Cette année, le leader du nouveau centre, Yaïr Lapid, a surfé sur la trop grande assurance de Benjamin Netanyahou, qui s’est montré «sûr de lui-même et dominateur» au point de bouder la campagne électorale, tant il était persuadé de son succès et du virage de l’électorat israélien à l’extrême droite.

Il n’a pas tiré les leçons de l’histoire prouvant que les extrêmes n’ont jamais eu les faveurs des scrutins en Israël. C’est ce qui l’a d’ailleurs conduit à fusionner ses listes avec le parti d’Avigdor Lieberman, classé à la droite du Likoud, faisant fuir ainsi de nombreux militants modérés vers un centre qui n’avait pourtant pas le temps de s’installer et de s’affirmer.

Benjamin Netanyahou a aussi mésestimé les exigences politiques de l’électorat israélien, qui a augmenté son taux de participation. Il n’a pas compris que les Israéliens étaient désarçonnés par sa position systématiquement anti-américaine alors que les Etats-Unis ont toujours fait preuve d’une amitié inconditionnelle vis-à-vis d’Israël. Le centre avait matraqué cette anomalie en expliquant qu’Israël ne pouvait pas se lancer seul dans l’aventure iranienne.

L'électorat a été déçu par ailleurs que le sujet du processus de paix avec les Palestiniens n’ait point été abordé dans la campagne électorale, alors qu’il reste un point de fixation dans l’opinion.

Les électeurs ont décidé, mais à présent s’ouvre une période d’incertitude sur la constitution d’une coalition de gouvernement, qui comme la précédente, sera hétéroclite. Soit les centristes s’allient au Likoud et à Tsipi Livni pour constituer un gouvernement modéré, soit Netanyahou choisit de s’allier avec l’extrême droite et les religieux orthodoxes pour mener la même politique que celle de la précédente mandature. Les élections, de ce point de vue, n’ont rien réglé.

Jacques Benillouche

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