France

Dassault, EADS... La guéguerre des drones français

Longtemps, l'armée française a choisi de ne pas avoir de drones de combat. Aujourd'hui, elle aimerait bien mais le gouvernement tergiverse.

Drone allemand sur la base afghane de Mazar-e-Sharif, en décembre 2012.  REUTERS/Fabrizio Bensch
Drone allemand sur la base afghane de Mazar-e-Sharif, en décembre 2012. REUTERS/Fabrizio Bensch

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La France ne «dronera» pas le Mali. Droner, pour détruire un objectif en utilisant un engin volant piloté à distance. La pratique s'est tant répandue qu'elle est devenue un verbe. L'administration Obama en a fait la clef de voûte de sa «guerre contre le terrorisme» dans les zones tribales pakistanaises, au Yémen et jusqu'en Somalie. Une stratégie qu'Obama compte poursuivre lors de son second mandat. Depuis le début de l'année 2013, les frappes de drone se sont multipliées et l'un des artisans du programme, son conseiller au contre-terrorisme John Brennan, a même hérité du poste de directeur de la CIA.

La France ne s'est pas engagée sur cette voie au Mali, où son armée intervient au sol et dans les airs depuis le 11 janvier. Mais de drones de combat, point: pour la simple et bonne raison que la France n'en possède pas.

L'armée de l'air compte bien quatre drones Harfang, mais ils sont non-armés. «Trois et demi», corrige le général à la retraite Michel Asencio, chercheur à la fondation pour la recherche stratégique: «L'un d'eux a été endommagé en Afghanistan.» Plus de la moitié de la flotte française de drones, deux appareils donc, observeront le nord du Mali à partir de Niamey au Niger, où ils prennent leur quartier. Un déplacement initialement prévu pour soutenir une initiative militaire des pays de la région.

Le ministère de la Défense ne confirme ni n'infirme leur positionnement, expliquant «ne pas communiquer sur les moyens d'ISR» (Intelligence, Surveillance, Reconnaissance). Les drones Harfang seront utilisés pour capturer des images du sol à plus de 5.000 mètres d'altitude.

Si ces appareils ne sont pas armés, c’est parce que «l'armement des drones a longtemps été sujet à caution», estime le général Asencio. Certains craignaient que le drone se substitue au pilote. Ce verrou a sauté: «Les drones armés ne sont plus rejetés.»

Les démonstrations américaine et même britannique en Afghanistan ont joué un rôle de déclencheur, confirmées lors de la guerre en Libye. Le chef d'état-major des armées, l'amiral Guillaud, l'a expliqué aux sénateurs:

«Je dois reconnaître qu'au départ j'étais contre les drones armés, pour des raisons morales. J'ai été convaincu par l'utilisation de ces drones lors des offensives de Benghazi et de Misrata. J'ai changé d'avis.»

Les craintes liées entre autres à «l'éloignement émotionnel entre le tireur et la cible», évoqué dans une note par Michel Asencio, n'ont pas résisté à la pratique.

Reste que l'acquisition de drones de combat est un projet à long, voire très long terme. Déjà, le renouvellement de la flotte actuelle, non-armée donc, malgré une impatience grandissante dans les rangs de l'armée, va prendre du temps. Qui sera le successeur de l'actuel Harfang, un drone de type Male (Moyenne altitude longue endurance)?

Cet été, le chef d'état-major de l'armée de l'air, le général Paloméros (remplacé depuis) s'était plaint devant les députés que «le “feuilleton” des drones n'[ait] que trop duré». La décision est donc urgente, enjoignait-il. Elle sera repoussée depuis plusieurs mois.

Peu après son entrée en fonction, le ministre de la Défense socialiste, Jean-Yves Le Drian, a décidé de revoir la copie laissée par l'ancien gouvernement. L'offre de l'avionneur Dassault avec l'israélien IAI avait alors été retenue. Trop précipité, trop cher aussi, a dit le nouveau ministre, s'alignant sur la position des sénateurs qui, en novembre 2011, avaient estimé que la facture pourrait être diminuée de 109 millions en choisissant l'offre d'un autre constructeur. La question industrielle, loin d'être un détail, devient plus qu'épineuse. 

Aujourd'hui, une offre américaine est en effet revenue sur le haut de la pile. La France pourrait acheter des drones Reaper, utilisés notamment par l'US Army en Afghanistan. Construits par General Atomics, ils seraient «francisés» par EADS. Promise pour le 14 juillet dernier, puis avant la fin de l'année 2012, la décision du ministre est désormais attendue pour le premier semestre 2013. Il l’a confirmé à demi-mots sur France 5.

Avec les tergiversations, les risques augmentent que se déroule «le scénario catastrophe», commente le général Asencio:

«Le pire serait que chaque industriel développe son drone, le marché européen n'est pas assez grand ! Il y a eu un avion de chasse de trop, il faut éviter qu'il y ait un Male de trop.»

Allusion au Rafale qui n’a toujours pas trouvé acquéreur à l’étranger —l'Inde pourrait devenir le premier acheteur de l'avion de combat —malgré son emploi lors de l'engagement en Libye.

Dassault s'est également positionné sur un autre projet, à plus long terme. Le Neuron pourrait voir le jour en 2025, au plus tôt. Ce drone de combat, un «Unmanned combat air vehicule» (Ucav), furtif, beaucoup plus rapide, est encore en phase de test, précise le général Asencio. Il n'est pour l'heure qu'à l'état de prototype, après une première démonstration en vol d'un appareil le 1er décembre 2012. Les industriels sont aussi en compétition sur des projets plus lointains. EADS et Dassault réfléchissent à un futur drone Male (pas un drone de combat comme le Neuron) pour remplacer le «drone de transition» choisi ces jours-ci. Dassault développe le Télémos avec BAE System, dans le cadre d'accords avec la Grande-Bretagne. EADS avait un projet, le Talarion, finalement abandonné faute d'acquéreur. Mais il pourrait revenir dans la partie dans le cadre d'un partenariat franco-allemand.

A défaut d'arbitrage rapide sur l'ensemble de ces dossiers, la possibilité que chacun développe ce fameux Male «de trop» évoqué par Asencio se rapproche.

Pierre Alonso

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