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Le Mali n’est pas une affaire américaine

La doctrine Obama doit prévaloir –et les Américains faire profil bas.

Des véhicules de l'armée française, en route vers Segou, le 16 janvier 2013. REUTERS/Francois Rihouay
Des véhicules de l'armée française, en route vers Segou, le 16 janvier 2013. REUTERS/Francois Rihouay

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Des insurgés affiliés à al-Qaida ont attaqué le sud du Mali. Les Français ont envoyé des soldats et lancé des frappes aériennes pour parer à l’attaque. Des militants islamistes se sont emparés d’un gisement de gaz appartenant à des étrangers en Algérie (dont le gouvernement avait autorisé les avions français à utiliser son espace aérien) et pris de nombreux Occidentaux en otages, dont des Américains.

Ben Laden est mort, nous sommes en train de nous retirer d’Afghanistan, nous aimerions bien en finir avec les guerres d’insurrection en général –mais il semble que les guerres d’insurrection, elles, n’en ont pas fini avec nous.

Alors que faut-il faire? Et qui doit agir?

Tout d’abord, il ne faut pas exagérer l’ampleur de cette confrontation, aussi éprouvante soit-elle. La filiale djihadiste liée aux insurgés du Mali, al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), est loin d’avoir la force ou la portée mondiale du navire amiral de Ben Laden à l’époque de son âge d’or. Ces insurgés ne sont pas non plus tous des djihadistes; beaucoup sont de simples criminels, des trafiquants de drogue ou des seigneurs de guerre communautaristes qui ont rejoint les combats par pur opportunisme –et qui peuvent tout aussi bien être éliminés du conflit.

Ensuite, les événements n’ont rien de très nouveau. Les milices islamistes sont présentes au Mali depuis longtemps sous une forme ou une autre; elles ont pris le contrôle du nord du pays il y a six mois. Ce qui n’a pas dérangé grand-monde.

Pourquoi la France y est allée

Enfin, l’attaque du gisement de gaz en Algérie a peut-être un rapport avec les frappes françaises, ou avec al-Qaida, mais on ne peut en être certain. Les rançons versées pour libérer les otages occidentaux constituent depuis longtemps une importante source de revenus pour tous ces épouvantables groupes, comme le sait pertinemment tout pays ou entreprise occidentale qui a des intérêts dans la région.

Pourtant, les incidents de ces derniers jours –la tentative des islamistes de prendre le contrôle du sud du pays en avançant vers la capitale, Bamako, suivie de la prise d’otages en Algérie et de la menace «d'ouvrir les portes de l'enfer» (selon les termes de l’un des porte-parole des rebelles) à la France et à tout autre pays qui se mettrait sur leur chemin –sont pour le moins préoccupants.

Ce qui explique l’envoi rapide de troupes et d’avions de guerre par le président français François Hollande pour arrêter l’attaque. Et si les sentiments des Maliens envers les Français, leurs anciens colonisateurs, sont au mieux mitigés, ils ont accueilli cette intervention avec gratitude; car sans elle ils auraient certainement été dépassés et à la merci des terroristes.

C’est à partir de maintenant que les choses sont moins claires. Les Français voient leur intervention comme une opération de secours à court terme –un moyen d’enrayer le mouvement en attendant qu’une alliance de pays voisins (membres de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest, Cédéao) se constitue et déploie environ 3.000 soldats. On ne peut pas être sûr du temps que cela prendra, ni de leur capacité à combattre une fois qu’ils seront sur le terrain.

La «doctrine Obama»

C’est pour cette raison que la France a demandé de l’aide aux Etats-Unis. Devons-nous obtempérer? Si oui, comment?

Il existe un genre de «doctrine Obama» pour ce genre de conflits. D’un côté, elle reconnaît l’existence d’une guerre contre le terrorisme, la nécessité de tuer ou de capturer certains sales types, l’importance de démanteler des groupes comme al-Qaida et de contenir leur expansion –surtout quand des alliés nous demandent notre aide et sont aussi engagés dans le combat.

D’un autre côté, elle déclare très clairement: «Plus d’Irak ni d’Afghanistan» –ou, comme l’a dit Obama il y a un an pendant une conférence de presse au Pentagone lors de l’annonce des conclusions d’une grande analyse stratégique:

«La fin de la participation sur le long terme à l’édification des nations à l’aide d’une lourde présence militaire.»

A la place, comme le précise le document officiel qu’il a signé avec le secrétaire à la défense Leon Panetta, les Etats-Unis «vont développer des approches innovantes, à bas coût, nécessitant une présence légère, afin d’atteindre nos objectifs de sécurité».

Il y a donc eu de nombreux points chauds du monde où l’administration Obama (et parfois le président Obama lui-même) a ordonné des raids de commandos ou des frappes de drones sur des «cibles de haute importance

Les Etats-Unis n'ont pas le droit d'envoyer des troupes

Dans le cas de la Libye, elle s’est jointe à une campagne militaire de l’Otan (sollicitée par la Ligue arabe et autorisée par le Conseil de sécurité de l’ONU) mais ne l’a pas dirigée. Les Etats-Unis se sont plutôt consacrés à fournir au front leurs «compétences uniques» –principalement des drones (à la fois pour la surveillance et pour lancer des bombes intelligentes), des approvisionnements par voie aérienne longue-distance, et certains atouts sur le terrain dans le domaine des renseignements. C’est ce que certains ont peu charitablement appelé «diriger depuis l’arrière», et cela a fait ses preuves.

C’est sans doute le genre de démarches que nous entreprendrons au Mali –et ce qu’il nous faudra faire si la rapide contre-attaque de la France n’enraye pas la menace. Ce qui n’est d’ailleurs pas aussi facile que cela en a l’air: les bases aériennes sont très, très loin; les opérateurs de drones ont besoin d’avoir du personnel sur place pour leur dire où orienter leurs caméras et quelles sont les cibles à observer. Il faut créer des réseaux entiers de logistique et de renseignements.

Même si Obama était tenté d’en faire plus, d’envoyer des troupes par exemple (ce qui n’est presque certainement pas le cas) il ne le pourrait pas, à cause d’une loi interdisant aux soldats américains de venir en aide à un gouvernement étranger arrivé au pouvoir par un coup d’Etat. Et il vaut la peine de noter au passage que l’officier qui a renversé le gouvernement malien démocratiquement élu l’année dernière, le capitaine Amadou Sanogo, avait été, peu de temps auparavant, un étudiant prometteur d'un programme de formation de l'armée américaine.

Voilà qui devrait faire réfléchir ceux qui prônent une action d’envergure de notre part. Le territoire nous est étranger, nous ne connaissons pas les acteurs, nous ne savons pas qui il vaut la peine de soutenir et qui ne le mérite pas. D’autres le savent en revanche, et il se trouve que leurs enjeux dans le conflit sont plus conséquents que les nôtres.

Une des leçons à tirer de la dernière décennie écoulée (et d’une bonne partie du demi-siècle qui l’a précédée), c’est que dans ce genre de cas, quand on est à ce point dans le flou il convient de garder profil bas, voire de ne pas y mettre le nez du tout.

Fred Kaplan

Traduit par Bérengère Viennot

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