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Jusqu'au 20 janvier, date de l'investiture de Barack Obama pour un second mandat, Slate examine dix idées qu'il pourrait mettre en oeuvre durant les quatre années à venir. Après la fin des mines antipersonnel, le sauvetage de la Grèce et l'arrestation de Kony, place à la rupture avec les alliés encombrants.
Pendant la dernière campagne présidentielle américaine, Mitt Romney a lancé une accusation restée célèbre à son adversaire, le président Obama: ce dernier aurait «laissé tomber» ses alliés, et notamment Israël.
La pique faisait référence à une politique qui vit Obama tenter de limiter l'expansion des colonies. Mais la lecture qu'en a faite Romney est pour le moins curieuse: les mesures en question furent brèves et vite abandonnées. On n'observa aucune véritable tentative pour mettre un terme aux traitements infligés aux Palestiniens de Cisjordanie, séparés mais pas égaux en vertu de principes dignes des lois de ségrégation dans les zones contrôlées par les Israéliens. On observa, en revanche, une claire volonté de s'assurer que les crimes de guerre commis en territoire palestinien ne puissent être traités par la Cour pénale internationale.
Ceci étant dit, nombre de gouvernements méritent, sinon qu'on les «laisse tomber», tout au moins qu'on ne les fasse plus bénéficier du soutien inconditionnel des Etats-Unis.
Les pseudo-réalistes opposeront leurs habituelles justifications à ces recommandations. Or, leur conception de l'intérêt national est obsolète. Les nouvelles méthodes de communication facilitent aujourd'hui la rencontre et la coordination des citoyens mécontents; refuser d'en prendre acte serait périlleux pour les gouvernements concernés. Si le Printemps arabe a prouvé un chose, c'est qu'il est désormais insensé de penser qu'un homme fort peut garantir la stabilité d'un pays.
La lutte pour les droits de l'homme est conforme aux valeurs de l'Amérique; mais dans ce monde nouveau, elle est également conforme à ses intérêts. Elle ne devrait pas être une simple option de facilité, mais bien au cœur de la politique américaine. Si Obama souhaite voir son second mandat rester dans les mémoires, il peut, et il doit, se montrer intransigeant avec quelques-uns des amis et des alliés peu recommandables des Etats-Unis. La liste qui suit constituerait un bon début:
Afghanistan
Le Pentagone est sur le point de se retirer, et il compte sur le président afghan Hamid Karzaï pour mener à bien la transition, qui est prévue pour 2014. Mais l'administration Obama n'a pas usé de ses considérables moyens de pression pour dissuader Karzaï de saper les droits des femmes, de nommer un tortionnaire présumé à la tête de ses services de renseignements, de tolérer l'omniprésence de la corruption et de faire barrage aux efforts visant à traduire en justice ses alliés chefs de guerre.
Ouzbékistan
En 2005, pendant le soulèvement de la ville d'Andijan, le président Islam Karimov a ordonné à l'armée d'encercler les manifestants et d'abattre toute personne à portée de vue. Des centaines de personnes furent alors massacrées.
Son gouvernement torture fréquemment les dissidents, et les enferme pour quinze ou vingt ans. Certains d'entre eux sont même plongés dans l'eau bouillante.
L'administration Obama minimise toutefois sa brutalité et a levé les restrictions empêchant de lui vendre des équipements militaire: c'est que l'Ouzbékistan constitue une alternative au Pakistan pour le ravitaillement des troupes basées en Afghanistan. Ce ne sera bientôt plus le cas; raison de plus pour mettre un terme à ce pacte avec le diable.
Cambodge
En vingt-huit années en tant que premier ministre, Hun Sen a présidé à l'exécution d'un nombre incalculable d'opposants politiques tout en raffermissant son emprise sur l'armée, la police et la justice. Or, l'administration Obama a fait bien peu pour le dissuader de bâtir un pays à parti unique: elle n'a pas fait pression sur Phnom Penh pour que Sam Rainsy, leader de l'opposition en exil, puisse revenir dans son pays sans craindre d'y être arrêté; n'a posé aucune condition à l'intensification de l'aide et de la collaboration militaire américaine.
Obama a décidé de faire «pivoter» la diplomatie américaine vers l'Asie; le Cambodge est l'occasion de prouver qu'il ne s'agit pas là d'une volonté de disputer à la Chine la loyauté des autocrates asiatiques, mais bien d'une volonté de défendre la démocratie sur ce continent.
Rwanda
Mené par le président Paul Kagamé, le gouvernement rwandais a longtemps bénéficié de deux facteurs favorables. D'une, Washington se sent encore coupable quant au génocide (l'administration de Bill Clinton n'a pas bougé le petit doigt pendant le massacre de 1994, qui a fait plus d'un demi-million de victimes); de deux, les progrès accomplis dans la reconstruction du pays suscitent l'admiration.
Mais le Front patriotique rwandais, qui s'est substitué à l'armée nationale, a lui-même assassiné des dizaines de milliers de civils dans les années 1990; le gouvernement a recours à l'emprisonnement et à la violence pour étouffer l'opposition politique; et en dépit des démentis répétés du gouvernement, l'armée a bel et bien soutenu une série de groupes rebelles sur le territoire de la République démocratique du Congo voisine.
Face à l'insistance du Congrès américain, l'administration Obama a finalement suspendu une partie de l'aide militaire au Rwanda, mais elle continue de pratiquer l’ingérence politique au profit du gouvernement et de minimiser la gravité de ses crimes –le soutien militaire qu’il accorde au redoutable groupe rebelle M23 dans l’est du Congo en est le dernier exemple.
Ethiopie
Washington n’a jamais su se montrer objectif face à la répression grandissante orchestrée sous l’ancien Premier ministre Meles Zenawi, décédé en août dernier. En échange des efforts consentis par l’Ethiopie dans la lutte contre le terrorisme et contre les militants d’al-Shabab en Somalie, l’administration Obama n’a jamais haussé le ton pour condamner les crimes de guerre de ses forces de sécurité, les restrictions imposées à la société civile par le gouvernement, la détention de journalistes, la violence contre les manifestants, tout comme la poursuite de politiques de développement pénalisant l’opposition politique.
Arabie saoudite
Certes, ils ont beaucoup de pétrole. Mais les Saoudiens, qui ont besoin d’argent pour financer leur Etat-providence, voudront le vendre quelle que soit la façon dont Obama les traitera.
Pendant ce temps, la monarchie saoudienne détient des milliers de personnes de façon arbitraire, impose des restrictions archaïques aux femmes, étouffe la plupart des paroles dissidentes, maltraite sa minorité chiite et exhorte la monarchie Bahreïni voisine à écraser son mouvement pro-démocratique. Et Obama n’a pas dit un mot.
Bahreïn
Pendant le Printemps arabe, Obama a généralement adopté une posture bienveillante envers les manifestants, mais le voisin de l’Arabie Saoudite est ici l’exception la plus notable. La famille Al Khalifa au pouvoir a recours à la force meurtrière, à la torture et à la détention arbitraire pour écraser les manifestations.
Mais par déférence envers les sensibilités saoudienne et par peur de perdre la base de la 5ème Flotte de l’U.S. Navy, l’administration Obama a laissé son partenariat de sécurité avec le Bahreïn prendre le pas sur l’inquiétude qu’elle nourrit pour les droits des Bahreïnis. En se montrant sélective dans son soutien à la liberté dans les pays arabes, l’administration a sapé l’ensemble de sa démarche.
Mexique
Les cartels mexicains de la drogue ont commis d’horribles crimes, mais c’est également le cas des forces de sécurité dépêchées par l’ex-président Felipe Calderón pour les combattre. Obama a souvent loué le «grand courage» dont a fait montre Calderón dans sa lute contre les cartels –sans dire le moindre mot des violences militaires et policières, extrêmement répandues.
L’administration a déboursé deux milliards de dollars pour soutenir la lutte anti-narcotiques du Mexique, ce en dépit des nombreuses preuves de violations des droits de l’homme et malgré l’état des forces de sécurité; ces dernières sont si corrompues que le gouvernement mexicain fait désormais appel à la marine nationale pour lutter contre les cartels.
Kenneth Roth
Directeur exécutif de Human Rights Watch.
Traduit par Jean-Clément Nau