France

Le Marco-Polo, plus grand porte-conteneurs du monde et français

Construit par le sud-coréen Daewoo pour l’armateur français CMA-CGM, il est opéré par des officiers croates et des marins philippins. Ce symbole de la mondialisation effectue son premier voyage Asie-Europe-Asie. Visite guidée à l’occasion de son escale inaugurale au Havre, seul port français du voyage et premier port français de conteneurs.

Le Marco Polo, en décembre 2012 / Claire Garnier
Le Marco Polo, en décembre 2012 / Claire Garnier

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Cocorico! Le plus grand porte-conteneurs du monde est français. Le Marco-Polo de la compagnie française CMA-CGM est un monstre de 396 mètres de longueur et 54 mètres de large. Soit l’équivalent de trois ou quatre terrains de football.

Affecté à la route maritime «French Asia Line» qui relie l’Asie et le nord de l’Europe, il est parti de Ningbo en Chine le 7 novembre 2012, a été baptisé à Zeebrugge (Belgique) le 18 décembre par Naila Saadé, épouse de Jacques Saadé, PDG de CMA-CGM, a fait son escale inaugurale au Havre le 19 décembre. Il sera de retour en Chine le 23 janvier.

Dans cette rotation, le mastodonte aura livré 165.000 tonnes de marchandises conteneurisées (un tonnage record, selon CMA-CGM): machines outils, d’équipements industriels, de produits agro-alimentaires en tous genres, d’eaux minérales et de vin. Il repartira de Chine fin janvier chargé de tous les produits finis de grande consommation qui atterrissent sur les linéaires de la grande distribution: jouets, vêtements, vélos, téléviseurs, etc.

Cette escale au Havre, premier port français pour le trafic conteneurisé, était l’occasion pour quelques journalistes de visiter cette «usine» flottante propulsée par un moteur diesel de 108.000 CV et équipée de quatre groupes électrogènes pour la production d’électricité (13 MW).

Le Marco-Polo disposant de 5 cabines pour «passagers», CMA-CGM propose le voyage aux «touristes» qui seraient tentés par un séjour en cargo. «Le navire n’est pas équipé de stabilisateurs, mais le risque de mal de mer est faible du fait de la masse du navire», explique à Slate Ludovic Gerard, directeur central et architecte naval de CMA-CGM.

Armateur français, officiers croates, marins philippins

S’il appartient à une compagnie française, le Marco-Polo bat pavillon anglais. Son commandant Igor Sikic est croate et son équipage –25 personnes– est constitué d’officiers croates et de marins philippins. Comme tous les armateurs du monde, le troisième armateur mondial dans le transport de conteneurs puise dans cet énorme vivier de marins réputés, bien formés et parlant anglais.

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Cette affaire de pavillon est vieille comme le monde. Depuis les Phéniciens, tout Etat a un «pavillon» pour l’enregistrement de ses navires, auquel correspond un corpus de règles pour l’immatriculation des navires: formalités à accomplir, taxes, régime fiscal pour les salaires, part de navigants nationaux et communautaires dans le cas de pavillons d’Etats européens.

Les armateurs étant libres de faire leur marché parmi ces «pavillons», ils ne choisissent pas nécessairement le pavillon national. On parle alors de « dépavillonnement ». Ce phénomène préoccupe les pouvoirs publics français qui estiment indispensable –ne serait-ce que pour des impératifs stratégiques et de sécurité maritime– de préserver une filière de l’emploi maritime ainsi qu’un vivier d’officiers et de maîtres.

L’enjeu du point de vue de l’armateur est économique et porte en grande partie sur le coût des équipages. L’équation est délicate car l’armateur recherche en même temps de vrais professionnels (et non des professionnels qui ont acheté leurs brevets, comme cela existe dans le tiers monde) et des professionnels qui auront la capacité à travailler ensemble –indispensable pour la sécurité– donc à se comprendre. Cela passe notamment par la maîtrise de l’anglais.

Aux syndicats qui militent pour une marine de commerce sous pavillon français, les armateurs français font souvent cette réponse: vaut-il mieux un armateur français choisissant un pavillon «tiers» mais employant du monde à terre et contrôlant des navires, ou bien... plus d’armateurs français du tout?

La réalité sur les pavillons est un peu plus nuancée qu’on ne la présente parfois. Tous les pavillons «exotiques» (Bahamas, Liberia, Saint-Vincent, etc.) ne se valent pas. Certains sont «complaisants» et d’autres plus exigeants. Quant aux faits, ils sont terribles: seuls les navires de guerre et les car-ferries français sont opérés par des équipages 100% français.

Ningbo-Hambourg-Ningbo en 77 jours à un train de sénateur

Bien loin de ces préoccupations, le Marco-Polo et son équipage croato-philippin a mis le cap pour Malte après avoir quitté les terminaux du Havre dans l’estuaire de la Seine. Ensuite, il a descendu le Canal de Suez –en convoi, comme c’est la règle– avant de fêter le Nouvel an en mer et de faire escale à Khor Al Fakkan aux Emirats arabes unis. Puis direction la Malaisie, le Détroit de Malacca –haut lieu de la piraterie mondiale– et les ports chinois. La rotation Ningbo-Hambourg-Ningbo s’effectue en 77 jours... à un train de sénateur. Pour faire des économies de fuel, la vitesse moyenne a été ramenée à environ 16-18 nœuds, ce qui a pour effet d’augmenter le nombre de jours de mer.

Certaines escales sont délicates. Le vent peut rendre la manœuvre risquée avec un bâtiment qui offre un tirant d’air de 60 mètres. Il y aussi les configurations portuaires difficiles. C’est le cas de Hambourg, port d’estuaire sur l’Elbe, situé à 130 kilomètres de la mer du Nord. La difficulté tient au tirant d’eau insuffisant dans le chenal pour les géants des mers.

Bien sûr, la remontée de l’Elbe –9 heures pour le Marco-Polo cette fois-ci– s’effectue avec un pilote local comme dans tous les ports du monde –mais la crainte de l’envasement du navire dans le chenal est permanente pour le commandant et le pilote. Et cela ne devrait pas s’arranger. Saisie en référé par des groupes écologistes, la justice administrative allemande vient en effet d’ordonner un «gel» des travaux de creusement de l’Elbe en attendant un jugement sur le fond du dossier.

C’est un cataclysme pour le port de Hambourg qui connaît un développement fulgurant depuis quelques années, et une mauvaise nouvelle aussi pour CMA-CGM qui mise beaucoup, commercialement parlant, sur cette escale allemande.  On peut supposer que Bremerhaven ainsi que tout le tout nouveau port en eau profonde de Wilhelmshaven sur la mer du Nord –18 mètres de tirant d’eau– profiteront des ennuis de Hambourg.

50.000 dollars de «running cost» par jour

On l’aura compris, un navire comme le Marco-Polo ne peut «escaler» partout du fait de son encombrement sous l’eau. A pleine charge, comme le 19 décembre au Havre, il lui faut 16 mètres de tirant d’eau. Nicolas Sartini, directeur central exécutif des lignes Asie-Europe de CMA-CGM et Ludovic Gérard, directeur central et architecte naval, ont d’ailleurs chaleureusement remercié le port du Havre pour la qualité de ses accès nautiques.

S’il ne s’arrête pas partout, le Marco-Polo croise une multitude d’autres routes. Derrière la «colonne vertébrale» qu’est la «French Asia Line» se trouve un écheveau de lignes «secondaires» qui doivent s’engrener au mieux. Certaines escales sont de véritables plaques tournantes. L’escale de Tanger (Maroc) est ainsi à la fois le «hub» de l’ouest de la Méditerranée et de l’Afrique de l’Ouest.

A chaque fois, des conteneurs seront chargés et déchargés en fonction des commandes des clients. Le chargement s’effectue de la façon la plus rationnelle possible en fonction du planning de chargement/déchargement des escales suivantes.

Perchés à 40 mètres dans une cabine qui se déplace sur un rail, les portiqueurs vont «chercher» les conteneurs sur le navire en fonction du plan de charge fourni par l’armateur. La synchronisation doit être maximum avec les dockers qui verrouillent ou déverrouillent les conteneurs dans la cale, assurent leur évacuation et suivent les opérations de manutention sur des écrans d’ordinateurs.

Le mot clé pour l’armateur est le «transit-time». En faisant visiter le Marco-Polo au Havre le 19 décembre, Nicolas Sartini ne s’est pas privé de rappeler la ponctualité de la compagnie.

«Nous vous avions fixé ce rendez-vous il y a plus de deux semaines et nous sommes entrés au Havre à six heures ce matin comme prévu sur le planning initial. Pas mal, non?»

Car le temps est l’ennemi de l’armateur toujours prompt à pester contre les heures d’attente en rade de Rotterdam. Le premier port européen –4 fois le port du Havre en nombre de conteneurs manutentionnés– est en effet perpétuellement embouteillé. A terre, l’armateur met la pression sur les manutentionnaires et peste contre les productivités qu’il juge insuffisantes sur certains terminaux de manutention.

Pour comprendre cette course contre le temps, il faut avoir en tête le coût du navire immobilisé: près de 50.000 dollars de «running cost» (les coûts d'exploitation) par jour pour un porte-conteneurs comme le Marco-Polo. Cela comprend l’équipage, la maintenance et les coûts financiers. Ensuite viennent les dépenses liées aux services portuaires (manutention, remorquage, pilotage...), les dépenses de carburant («soutes»), le péage au Canal de Suez et les frais de port à régler dans chaque port. Côté recettes, c’est simple à comprendre: l’armateur facture à son client X dollars par conteneur transporté.

900 PC portables ou 14.000 bouteilles de vin dans un conteneur «vingt pieds»

Cela fait cinquante ans que les Américains ont commencé à mettre des marchandises dans des boîtes standard (de 20 pieds de long, six mètres) pour les faire voyager. C’est l’Américain Mac Lean qui a créé la première compagnie maritime de conteneurs en 1960, Sealand Corporation.

Depuis, on a fait des conteneurs doubles, des conteneurs «frigo» pour le transport de marchandises périssables et l’on s’est mis à scanner l’intérieur des conteneurs afin de déceler drogues et armes. Mais au bout du compte, c’est toujours le même principe de la boîte standard qui peut voyager sur la route, le fer et la mer. Sacrée invention!

Le Marco-Polo peut en transporter un maximum de 16.000. Au Havre, le 19 décembre, ce sont 1.100 «boîtes» qui ont été chargées et déchargées par les dockers du manutentionnaire GMP (Générale de Manutention portuaire). Mais au fait, quelle quantité de marchandises peut-on loger dans 16.000 conteneurs? Réponse de CMA-CGM: sachant que l’on peut mettre 900 PC portables dans un conteneur, cela en fait 14,4 millions. Le calcul peut aussi être fait avec des vêtements (7.200 jeans par conteneur), des aspirateurs (340 par conteneur) et bien sûr, du vin (14.000 bouteilles dans un conteneur), l’un des points forts de la France à l’export.

Pour comprendre la logique économique du gigantisme dans le transport conteneurisé, il faut avoir en tête que le prix d’un navire n’est pas proportionnel à la capacité de celui-ci. Du coup, chaque fois que l’armateur accroît la capacité d’emport de son navire, il améliore sa rentabilité.

A condition bien sûr d’avoir des marchandises pour remplir ses conteneurs –pas toujours possible en temps de crise– et de pouvoir le faire dans les deux sens. La rentabilité n’est pas écrite à l’avance. S’il y a trop de capacité sur le marché –trop de navires– par rapport aux tonnages à transporter, l’armateur baisse ses tarifs («taux de fret») pour remplir son navire. C’est la loi de l’offre et de la demande.

Le transport mondial de conteneurs dominé par un trio européen

On peut dire que l’ensemble du commerce intercontinental –hors matières premières et agricoles– est désormais conteneurisé. Parallèlement à cette évolution technologique, les grands armements de conteneurs se sont concentrés et se sont associés au sein de méga-alliances ou bien en fusionnant. Simultanément, la taille des plus grands navires s’est accrue elle aussi.

Le danois Maersk, premier armateur mondial de conteneurs (16% du gâteau contre 12% pour la compagnie italo-suisse MSC et 8% pour CMA-CGM), faisait sensation début 2005 en mettant en services des navires d’une capacité de 10.000 conteneurs. On croyait alors avoir atteint l’étape ultime du gigantisme.

Mais début 2011, Maersk passe une commande de 20 navires de... 18.000 conteneurs. Depuis, la branche conteneur du géant danois a annoncé qu’elle allait supprimer 400 emplois; quant à Nils Andersen, le patron d’AP Moller (maison mère de Maersk), il déclarait au Financial Times le 19 novembre que son groupe allait diminuer la part de l’activité conteneurs au sein du groupe, cette branche étant jugée insuffisamment profitable.

Quant à la CMA-CGM, qui a reçu en octobre le soutien du FSI (fonds stratégique d’investissement), elle termine l’année en meilleure position qu’elle ne l’avait commencée. 2012 devrait être un bon cru et lui permettre de négocier le refinancement de sa dette de 5 milliards de dollars. Mais la décision du groupe CMA-CGM de céder la moitié de sa filiale portuaire Terminal Link devrait faire du bruit début 2013. Il se murmure dans les coursives que cette filiale pourrait être cédée à des intérêts chinois.

Claire Garnier

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