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Bonnes résolutions: et si la meilleure était d'en prendre moins?

Les travaux de deux chercheurs en économie comportementale nous enseignent qu'il est plus utile de se fixer pour objectif de faire moins de choses ou de les faire plus efficacement que de se rajouter de nouveaux buts.

<a href="http://www.flickr.com/photos/elwillo/6610940949/">Broken promises Project 365(3) Day 324</a> / Keith Williamson via Flickr CC <a href="http://creativecommons.org/licenses/by/2.0/deed.fr">License by</a>
Broken promises Project 365(3) Day 324 / Keith Williamson via Flickr CC License by

Temps de lecture: 6 minutes

Revoici l’époque de l’année où nous prenons la résolution d’accomplir une liste d’objectifs. Assez fréquemment, ce sont les mêmes que nous nous étions promis d’atteindre l’année précédente.

Si vous demandiez une meilleure stratégie de Nouvel an au psychologue de Princeton Eldar Shafir ou à l’économiste d’Harvard Sendhil Mullainathan, ils vous suggéreraient probablement que la meilleure résolution que vous pouvez prendre est de faire moins de choses en 2013.

Ces chercheurs affirment que, quand des personnes occupées le deviennent encore plus, cela conduit à des dates-butoir ignorées, à un bureau en pagaille et à un cercle vicieux où le retard s’accumule. Dans tout ce désordre, beaucoup de mauvaises décisions sont prises, et le meilleur moyen de s’échapper de ce cercle vicieux pourrait bien être de décréter un moratoire sur de nouvelles obligations.

Shafir et Mullainathan sont à la pointe de la recherche dans le secteur de l’économie comportementale, dont le but est d’appliquer les enseignements de la psychologie à l’étude de la prise de décision économique.

Dans leurs travaux récents, résumés dans un livre à paraître, Scarcity: Why Having Too Little Means So Much, ils utilisent cette discipline pour expliquer pourquoi la situation de pénurie –qu’il s’agisse de temps ou d’argent– mène souvent les gens à prendre de mauvaises décisions.

Comme le rangement d'une valise

Mullainathan et Shafir décrivent les problème de gestion comme celui du rangement d'une valise. Celui qui dispose de beaucoup de temps a une valise quasiment vide: décider, sur un coup de tête, d’aller ou non au cinéma lui demande peu d'attention ou d'effort.

Par contraste, ceux qui ont des emplois du temps surchargés font face à une valise pleine: ajouter un nouvel élément signifie enlever quelque chose qui a déjà été rangé. Décider de réorganiser sa valise métaphorique prend du temps et de l’énergie, ce qui peut conduire à du stress et des insomnies. En effet, le manque de place en lui-même peut être responsable de mauvaises décisions qui, en retour, ne font qu’empirer le problème.

Cela pourrait sembler contraire à votre propre expérience. Certaines personnes ont l’impression d’être au top de leur productivité quand le travail à faire s’est empilé et que les dates-butoir approchent.

Mullainathan et Shafir ne les contrediraient pas, mais avertissent que ces coups de pression créent ce qu’ils appellent un «effet de tunnel»: une attention très vive pour les tâches à accomplir immédiatement, qui résulte souvent dans une absence de prise en compte d'un ensemble plus général. Il est possible que vous vous concentriez sur cette date-butoir aux dépens de votre bonheur à long terme.

Le problème n’est donc pas que les pauvres ne réfléchissent pas assez à l’argent, ou les débordés à leur temps –c’est qu’ils y réfléchissent trop.

Shafir aime citer un sondage que les chercheurs ont fait dans une gare de Boston, en demandant aux voyageurs à l’arrivée quel était le coût minimal d’un taxi dans la ville. Les voyageurs riches prennent davantage le taxi que les pauvres, mais les sondés à faibles revenus étaient beaucoup plus nombreux à connaître le coût d’un taxi, parce que la poignée de dollars de différence entre un taxi et un bus compte vraiment pour eux.

Cette attention leur permet de s’assurer qu’ils auront assez pour aller au bout de leur journée, mais toutes ces choses qui occupent leur attention à court terme –décider ou non de s’acheter un muffin ou un autre petit plaisir; comparer le prix des boîtes de céréales en faisant ses courses; calculer et recalculer les dépenses prévues au regard d’un compte en banque qui fond– menacent de ne pas leur laisser de temps de cerveau disponible pour réfléchir à un problème plus large: comment gérer leurs finances à long terme.

De la même manière, les débordés font de tels effort pour gérer les menus détails du déroulement de leur journée qu’ils négligent de penser à ce qui pourrait rendre leurs vies moins troublées et plus productives dans le futur.

Plus le déficit s'accumule, moins on pense au long terme

Mullainathan, Shafir et d’autres chercheurs ont mené des expériences de laboratoire pour comprendre l’impact de la pression du temps sur la prise de décision. En collaboration avec la psychologue de l’université de Chicago Anuj Shah, ils ont ainsi effectué une expérience basée sur le vieux jeu télévisé Une Famille en or, avec pour sujets des étudiants de Princeton.

Les «participants» se voyaient demander de nommer des objets appartenant à des catégories du genre «Des choses que Barbie pourrait mettre aux enchères si elle avait vite besoin d’argent». Les réponses ressortaient davantage du jugement subjectif que des faits: les «bonnes» réponses étaient celles qui étaient le plus souvent ressorties lors d’un sondage mené avant l’émission sur 100 Américains pris au hasard. Par exemple, la réponse «la voiture de ses rêves» valait 35 points car 35 personnes sur 100 l’avaient formulée.

Les participants se voyaient accorder seulement quelques secondes pour formuler une série de réponses. Mais certains étaient plus gâtés que d’autres: les «riches» avaient à chaque fois plus de temps que les «pauvres».

Ces participants plus pressés ont joué le jeu avec davantage de concentration, formulant davantage de (bonnes) réponses par seconde. Un reflet de l’effet de tunnel provoqué par la rareté.

Mais il est arrivé une chose amusante quand les chercheurs ont introduit la possibilité d’emprunter du temps sur les tours suivants, à un taux usuraire –une seconde gagnée maintenant pour deux secondes perdues plus tard. Les participants les plus pressés, obnubilés qu’ils l’étaient par le tour en cours, étaient beaucoup plus enclins à emprunter. La possibilité qui leur était offerte a résulté dans des scores d’ensemble plus bas pour eux –les secondes qu’ils empruntaient désespérément dans les premiers tours leur manquaient plus tard, pénalisant leur performance globale plutôt que les aider.

Le participant qui pénalise son avenir en échangeant deux secondes dans le futur pour une seconde au présent aide à illustrer l’état d’esprit d’une personne qui prend une décision dans un contexte de pénurie.

Une personne débordée se presse pour être dans les clous à court terme sans prendre le temps de mettre ses affaires en ordre pour le futur, et prend donc de plus en plus de retard. Et plus le déficit de temps ou d’argent s’accumule, plus son esprit s’évade de ce sur quoi elle devrait se concentrer, comme ses finances à long terme ou son calendrier bourré à craquer, pour s’occuper du désordre du présent.

Stress de la rareté

Quand vous songez à la déconcentration, voire parfois à la paralysie, créée ainsi par la pénurie, vous pouvez comprendre comment quelqu’un qui vit d’un chèque de paie à l’autre dans le but de payer son loyer mensuel et ses factures peut finir tellement concentré sur ses buts immédiats qu’il creuse un trou encore plus gros, en prenant des avance sur ses salaires ou des hypothèques sur le futur.

Le stress de la rareté laisse trop peu d’énergie et d’attention disponibles pour prendre des décisions de long terme sensées. En gros, Mullainathan et Shafir affirment que les pauvres ne le sont pas nécessairement parce qu’ils prennent des décisions financières inadaptées, mais peut-être parce que le stress de la pauvreté conduit à ces décisions. Et une nouvelle fois, la même chose vaut pour les gens qui manquent de temps: les débordés prennent de mauvaises décisions concernant leur emploi du temps parce qu’ils en manquent.

C’est pourquoi, comme d’autres travailleurs qui manquent de temps, je ferais mieux de simplement me résoudre à m’astreindre à moins d’obligations cette année, plutôt que promettre d’apprendre le mandarin ou de me mettre à la chasse à l’élan. En ajoutant des choses, je risque surtout de compenser en étant un moins bon parent, chercheur et auteur.

Bien sûr, beaucoup de résolutions de Nouvel an portent davantage sur ce que nous voulons retrancher de nos styles de vie qu’y ajouter –arrêter de fumer, manger moins, etc. Ici aussi, les théories de Mullainathan et Shafir nous fournissent des conseils: rappelez-vous que nous passons la majeure partie de nos vies dans un tunnel, concentrés sur des tâches à accomplir immédiatement –les objectifs de long terme et nos progrès personnels s’offrent rarement à notre regard myope.

Mais des périodes occasionnelles de réflexion sur soi –comme l’heure des comptes que constitue la fin décembre chaque année– nous fournissent l’occasion de songer à ce que nous voulons mettre dans la valise que constitue notre vie. Le conseil que Mullainathan et Shafir offrent à ceux qui prennent des bonnes résolutions n’est pas de s’abstenir de tenter de s’améliorer, mais plutôt de se fixer des engagements de progrès personnel qui ne réclameront pas de vigilance ou d’attention tout au long de l’année.

Maintenant que vous avez cela en tête, allez de l’avant et augmentez le versement automatique sur votre compte épargne en vue de votre retraite; achetez un plus petit réfrigérateur qui contiendra moins de glaces; forcez votre Outlook à se verrouiller tous les vendredis après-midi pour réorganiser votre bureau et le reste de vos affaires; et utilisez à la fois le temps et l’espace mental que des engagements comme ceux-ci vous libéreront pour assumer la charge de travail et la pression qui font déjà partie de votre quotidien.

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