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Désarmer la NRA, c'est possible?

Il faudrait que les électeurs américains soient prêts à monter au créneau contre un lobby des armes qui n’a pratiquement jamais été défié.

Un homme teste un pistolet de la marque autrichienne Glock dans un magasin de Phoenix dans l'Arizona, le 20 décembre 2012. REUTERS/Ralph D. Freso
Un homme teste un pistolet de la marque autrichienne Glock dans un magasin de Phoenix dans l'Arizona, le 20 décembre 2012. REUTERS/Ralph D. Freso

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Dans un discours sobre et empreint de tristesse prononcé à Newtown, le président américain Barack Obama a promis de s’attaquer aux violences liées aux armes à feu de façon plutôt convaincante. «Nous n’avons pas d’autre choix», a-t-il dit. «Nous ne pouvons pas invoquer la routine face à ce genre d’événement. Devant un tel carnage, allons-nous avouer notre impuissance? Que les obstacles politiques sont insurmontables?»

Pourtant, jusqu’ici, c’est exactement ce que le président des Etats-Unis, à l’instar de bien d’autres hommes politiques, semblait avoir accepté. Un calcul parfaitement rationnel, si l’on prend en compte les sondages qui montrent un déclin du soutien au durcissement du contrôle des armes. Où l’influence politique et les dépenses électorales de la National Rifle Association (NRA).

L’actualité fournit régulièrement à ceux qui militent pour le contrôle des armes ce que cherche tout groupe de pression: un événement frappant qui prouve l’urgence de la cause qu'ils défendent, à savoir le meurtre de plusieurs innocents au moyen d’une arme à feu. Pourtant, contrairement aux groupes qui luttent pour réduire les droits des criminels sexuels, élargir les domaines d’application de la peine de mort ou réprimer encore plus fermement les pédophiles, la dernière fois où les défenseurs du contrôle des armes ont réussi à faire évoluer la loi suite à une vague d’émotion remonte à 20 ans. Ce n’est pas de leur faute. Il n’existe pas de bloc électoral uni autour de la question du contrôle des armes face à la NRA qui «depuis 1970 excelle dans la mobilisation des électeurs», comme l’écrit Jill Lepore dans le New Yorker.

Le défi du jour, bien entendu, est de faire changer les choses dorénavant. Dans son discours, on peut considérer que le Président Obama a engagé sa responsabilité —sur ce point, la balle est dans le camp des pro-contrôle. Il semblerait que l’opinion soit en train de changer. Rupert Murdoch semble indiquer qu’il est prêt, et qu’il veut voir le président américain «affirmer son leadership par des décisions fortes». Contrairement à tous les sénateurs pro-armes à feu qui ont disparu des écrans et de la NRA qu’on n’entend plus, le sénateur de Virginie Occidentale Joe Manchin déclarait lundi dans Morning Joe qu’il avait également amendé sa position.

OK, alors par quoi commencer? J’aime bien la façon dont Manchin pose le problème:

«Comme beaucoup d’Américains je suis un chasseur et un amateur de plein air fier de l’être, j’aime le tir, mais là, on nage dans l’absurde : Je n’ai jamais vu qui que ce soit dans le monde du sport ou de la chasse sortir avec un fusil d’assaut. Je n’ai jamais vu qui que ce soit avoir besoin d’un chargeur de trente cartouches pour chasser.»

Sans être expert en la matière, il me semble qu’une interdiction des munitions pour tir rapide s’impose. On pourrait également envisager de renouveler l’interdiction portant sur les armes d’assaut, qui a expiré en 2004, bien que ce ne soit qu’une solution très imparfaite, comme l’explique Patrick Radden Keefe.

La grande question, c’est de savoir comment traiter les fusils et les armes de poing semi-automatiques, comme celles dont s’est servi Adam Lanza à Newtown. Ces armes ont la particularité d’être à la fois populaires et le point commun de plusieurs tueries récentes. James Holmes, tireur du cinéma d’Aurora était armé d’un fusil semi-automatique AR-15. Jared Loughner, qui a tué six personnes et blessé la représentante Gabbie Giffords à Tuscon, Arizona, a utilisé un Glock 19, un pistolet 9mm semi-automatique. Le même modèle que Seung-Hui Cho, le tireur de Virginia Tech en 2007, qui a tué 32 personnes.

Le sacrifice des uns pour le bien de tous

Je peux comprendre la colère des nombreux propriétaires d’armes, qui se sentent injustement stigmatisés pour les péchés de quelques transgresseurs mentalement dérangés. J’ai bien compris que la quasi-totalité de ceux qui possèdent une arme semi-automatique l’utilise de façon raisonnable et légale. Et j’ai également compris, comme le dit mon ami James Forman Jr, professeur de droit à Yale, que les armes constitutent le seul problème social qui en sont également la solution. On ne combat pas la cocaïne et l’héroïne avec plus de cocaïne et d’héroïne. On combat pourtant la violence liée aux armes à feu avec plus d’armes pour se défendre.

Mais cette réponse n’apporte rien en termes de sécurité publique. On ferait peut-être bien d’arrêter de se battre pour des droits et d’en appeler au bien commun. Si vous êtes le propriétaire respectueux des lois d’une arme semi-automatique, vous n’êtes pas responsable de l’acte horrible commis par Adam Lanza, et votre désir de vous protéger ainsi que votre famille est sans doute sincère. Mais en acceptant de renoncer collectivement à votre arme de prédilection, vous pourrez contribuer à rendre un peu plus difficile le passage à l’acte du prochain jeune homme en pleine décompensation psychotique.

De fait, on voit mal comment résoudre le problème sans votre sacrifice. Lanza a obtenu ses armes par sa mère, qui en possédait cinq et emmenait ses enfants au stand de tir. Ils vivaient dans une ville où la culture des armes à feu est solidement enracinée — suffisamment pour torpiller un effort récent des forces de l’ordre en vue de réduire l’usage des armes d’assaut dans des stands de tirs pirates.

Dans le New York Times, Michael Moss et Ray Rivera évoquent deux rassemblements bourrés de monde l’été dernier au cours desquels un représentant de la National Shooting Sports Foundation, une association professionnelle du secteur des armes est monté au créneau pour s’opposer à toute régulation. «Il ne faut pas qu’une autre génération se voie encore privée de ses droits», a-t-il déclaré.

Il n’y a pas de lien direct entre la tuerie de l’école élémentaire de Sandy Hook et ce point de vue, ou cette décision de la ville de rejeter une ordonnance destinée à lutter contre les stands de tirs pirates illégaux. Je pense néanmoins que nous devons nous éloigner de l’acceptation culturelle des armes et munitions du type dont parle le sénateur Manchin. D’autre part, le droit de porter des armes stipulé dans le deuxième amendement ne devrait pas pouvoir être invoqué pour entraver ces réformes.

C’est vrai, les tribunaux ont annulé les interdictions totales de posséder des armes de poing ou le port d’armes dissimulées. Peut-être est-ce là un signe de détente politique — d’accord, on peut avoir une arme chez soi ou dans la rue, mais pas une arme qui peut tirer balle sur balle très rapidement.

Il existe un autre chemin, parallèle, qui permettrait d’adresser le problème des tueries de masse: limiter l’accès aux armes aux personnes souffrant de troubles mentaux. «Pour réduire le risque de violences avec victimes multiples, on serait bien avisé de se concentrer sur la détection et le traitement avancé de la maladie mentale», déclarait Robert Levy, le directeur du Cato Institute [institut libertarien pro-armes], au Times. «Un système de prévention pourrait de fait constituer la base d’un dispositif de restriction de l’accès aux armes que même la NRA soutiendrait.»

Examen psychologique

Apparemment, le Département de la Justice a aussi quelques idées sur la question. Ce qui aiderait aussi, ce serait un contrôle des antécédents lors des ventes entre particuliers ou sur les foires aux armes. Il convient toutefois de rappeler que le problème n’est pas que ceux qui souffrent de troubles mentaux soient plus violents. Le problème, c’est le lien entre troubles mentaux non traités et violence. Par définition, c’est un genre de maladie qui échappe souvent à toute vérification. Pour les détecter, ne faudrait-il pas mener un examen psychologique approfondi de tout acheteur d’armes, comme on le fait en Israël?

Il y a ici matière à réflexion. Le principal, néanmoins, est d’approfondir, et de confier à Obama et au reste du personnel politique la responsabilité de transcrire les meilleures idées dans la législation, pour la première fois depuis des décennies. C’est possible. Par le passé, nous, les Américains, avons su résoudre des problèmes apparemment tout aussi insolubles, des lynchages à la conduite en état d’ivresse. Tout ce qu’il faut, c’est tenir bon, aussi longtemps que nécessaire.

Emily Bazelon

Traduit par David Korn

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