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Continuez de dire à vos enfants que le Père Noël existe

L'existence du Père Noël est un «bon mensonge», et fait travailler l'imagination de nos enfants, ce qui aide à leur développement.

Le professeur de ski Alberto Ronchi effectue un saut dans le nord de l'Italie, le 17 décembre 2012. REUTERS/Stefano Rellandini
Le professeur de ski Alberto Ronchi effectue un saut dans le nord de l'Italie, le 17 décembre 2012. REUTERS/Stefano Rellandini

Temps de lecture: 5 minutes

Cet article a été originellement publié en décembre 2012.

Nous apprenons à nos enfants à ne pas mentir. Nous leur apprenons les lois de la physique. Et puis nous leur racontons que, une nuit par an, neuf rennes volant tirent dans le ciel le traîneau d’un gros monsieur immortel afin que ce dernier puisse livrer des cadeaux à des millions d’enfants à travers le monde.

Avons-nous tort de mentir aux enfants à propos du Père Noël?

Même si le mensonge peut s’avérer horriblement pratique lorsque l’on est parent («Désolée, mon chéri, mais la police va devoir t’arrêter si je te laisse prendre encore un bonbon»), mieux vaut généralement s’en tenir au strict minimum, aussi bien pour montrer l’exemple que pour installer une relation de confiance entre soi et son enfant. Sauf en décembre. Parce que vous savez quoi? Figurez-vous que non seulement le mythe du Père Noël ne fait de mal à personne, mais il pourrait en fait être même plutôt bon pour le développement cognitif des enfants. Les histoires fantastiques suscitent une sorte d’imagination qui développe la créativité, la compréhension sociale et même (aussi étrange que cela puisse paraître) le raisonnement scientifique.

Bons et mauvais mensonges

Tout d’abord, laissez au vestiaire toute culpabilité d’avoir menti à vos enfants. Le Père Noël appartient à la catégorie des «bons» mensonges, parce que les parents l’invoquent pour faire plaisir à leurs enfants (au contraire des mauvais mensonges, utilisés pour éviter un reproche ou échapper à ses responsabilités –Désolée, mon trésor, on ne peut pas aller au parc, c’est fermé. Alors qu’en réalité, vous avez juste la flemme de vous lever du canapé).

Lorsque les enfants apprennent la vérité sur le Père Noël (soit généralement vers l’âge de 8 ans, à en croire Jacqueline Woolley, psychologue à l’Université du Texas, à Austin), ils sont en principe en âge de comprendre la différence entre ces deux types de mensonges, si bien qu’ils n’en veulent pas à leurs parents et ne se mettent pas à penser que tous les mensonges sont autorisés (et, tant que nous y sommes, ils ne se mettent pas non plus à rejeter leur religion, à développer des symptômes de stress post-traumatique ou à devenir drogués, uniquement parce qu’ils ont appris que le Père Noël n’existe pas, comme le prétend un site farouchement anti-Père Noël).

Le gros bonhomme à la barbe blanche fait travailler l’imagination des enfants. Ils se le représentent s’occupant de ses rênes au Pôle Nord, volant à travers le ciel, se glissant dans les cheminées… Parfois, les enfants participent eux-mêmes à ce conte, en adoptant le rôle du rêne au nez rouge ou celui de la Mère Noël. Ces formes de jeu permettent de développer un ensemble d’aptitude connu sous le nom de «théorie de l’esprit», qui permet aux enfants de prévoir et comprendre les comportements des autres (les enfants souffrant de troubles psychologiques tels que l’autisme présentent généralement des troubles de théorie de l’esprit).

L'importance des jeux d'imagination

Par exemple, une étude réalisée en 1997 par Marjorie Taylor, psychologue à l’University of Oregon et auteur de Imaginary Companions and the Children Who Create Them (les amis imaginaires et les enfants qui les créent), a montré que, quelle que soit leur intelligence, les enfants de 4 ans qui jouent souvent à des jeux suscitant l’imagination parviennent mieux que les autres à faire la différence entre les apparences et la réalité (ils savent, par exemple, qu’un lapin rose placé derrière un filtre de couleur est toujours rose) ou à comprendre les attentes des autres (ils comprennent que les gens vont penser qu’une boîte à crayons renferme des crayons même si elle contient en fait un petit jouet).

Ils savent, en outre, que les perceptions dépendent du contexte (ils comprennent, par exemple, que les gens vont identifier différemment les images selon la partie qu’ils en voient). Les derniers travaux de Taylor laissent penser que les jeunes enfants qui ont une vie où l’imagination tient une place importante (par exemple, ceux qui ont des amis imaginaires) comprennent aussi mieux les émotions. (Cela dit, il est impossible de dire à ce point que le jeu améliore la théorie de l’esprit, puisqu’il est aussi possible que les enfants qui font beaucoup appel à leur imagination soient ceux chez qui la théorie de l’esprit est la plus développée).

Les jeux d’imagination forcent aussi les enfants à penser des scénarios hypothétiques ou contraires, qui stimulent leur faculté de raisonnement. Que se passera-t-il si les lutins n’ont pas fini les jouets à temps? A quoi ressemblerait Noël si le Père Noël n’existait pas? Les recherches menées par Alison Gopnik, psychologue de l’Université de Berkeley, en Californie, et auteur de Le bébé philosophe, suggèrent que cette manière de penser aide les enfants à élaborer des modèles de fonctionnement du monde et les force à raisonner de manière causale et rationnelle.

Vertus thérapeutiques

Cette manière de penser peut aussi aider les enfants à trouver des solutions inventives à des problèmes ou à élaborer de nouvelles idées. Après tout, avant de concevoir quelque chose de nouveau, il faut être capable de voir le monde différemment.

Faire semblant et imaginer peut aussi avoir des vertus thérapeutiques pour les enfants qui traversent des périodes difficiles. Lors d’une étude réalisée en 2006, des chercheurs avaient demandé à 35 enfants vivant dans un camp de réfugiés vers la fin de la seconde guerre israélo-libanaise de «s’occuper» d’un animal en peluche durant trois semaines.

Trente-neuf autres enfants du camp ne reçurent pas de peluche. Après la guerre, les chercheurs interrogèrent les parents et découvrirent que les enfants qui avaient «adopté» une peluche –et en particulier ceux qui s’en étaient le mieux occupé– avaient eu, par rapport aux autres enfants, moins de problèmes dus au stress, tels que des cauchemars ou de l’anxiété de séparation.

Le faire semblant dans les jeux d'enfant

Bien entendu, les enfants jouent à faire semblant même lorsqu’ils ne croient pas au Père Noël. Le personnage n’est en rien essentiel au bon développement de l’enfant. En outre, il arrive parfois que les parents utilisent le Père Noël à mauvais escient, comme lorsqu’ils forcent leurs enfants terrorisés à s’asseoir sur ses genoux ou lorsqu’ils s’en servent comme d’une menace disciplinaire («Si tu n’arrêtes pas tout de suite de jeter tes crayons au visage ta sœur, le Père Noël va mettre du charbon à la place de tes cadeaux!»).

Cependant, aucun des experts à qui je me suis adressée n’a exprimé la crainte que ce bon vieux Père Noël, même utilisé à mauvais escient, n’entraîne de graves troubles psychologiques chez les enfants.

Il est même possible de dire la vérité aux enfants de façon positive: il faut juste leur fournir les outils pour qu’ils le devinent eux-mêmes, affirme Jacqueline Woolley. S’ils vous demandent de but en blanc si le Père Noël existe vraiment, répondez avec des questions à vous: Et toi, tu en penses quoi? Tu commences à te dire qu’il n’existe pas? Pourquoi? Vous pouvez alors commencer à dévoiler le mystère (car s’ils se posent la question, c’est qu’ils sont sans doute prêts à apprendre la vérité).

Écrivez une lettre du Père Noël avec votre écriture ou cachez les cadeaux dans un endroit un peu trop évident. Ainsi, la tristesse que pourrait ressentir l’enfant en perdant le Père Noël sera compensée par la fierté d’avoir découvert le pot aux roses. On ne me la fait pas, à moi! Elle vient quand, la petite souris, sinon?

Outre les sources mentionnées dans l’article, nous aimerions remercier Alan Kazdin, de la Yale University, Michael Brody de l’American Academy of Child and Adolescent Psychiatry, Lawrence Balter de la New York University et Robert Feldman de l’University of Massachusetts.

Melinda Wenner Moyer

Traduit par Yann Champion

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