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Autisme, empathie et violence: non le syndrome d'Asperger n'explique pas la tuerie de Newtown

On ne sait pas encore si Adam Lanza était atteint du syndrome d'Asperger. Ce que l'on sait en revanche, c'est que les enfants atteints sont parfaitement capables de ressentir de l'empathie.

Un enfant autiste, en Chine en 2009. REUTERS/Jason Lee
Un enfant autiste, en Chine en 2009. REUTERS/Jason Lee

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Dès le lendemain de la tuerie, certains journalistes ont lié l'autisme à la tragédie du Connecticut, en mentionnant en particulier le syndrome d'Asperger –dit aussi «autisme de haut niveau»– dont l'auteur de la fusillade, Adam Lanza, aurait été porteur.

En parlant d'autisme, nos puits de science ont été nombreux à mettre le facteur «empathie» en avant, et j'aimerais pour ma part mettre certaines choses au clair.

La capacité d'empathie prend deux formes. La première relève de la faculté à reconnaître les émotions que ressent une autre personne sur la base d'indices sociaux: de légères variations dans le timbre de la voix ou d'autres éléments de communication non-verbale.

Les psychopathes, par exemple, semblent parfaitement capables de déchiffrer les émotions d'autrui, de mettre cette empathie cognitive en pratique et même d'en tirer profit. A l'inverse, face aux non-autistes, ce genre de reconnaissance est en général bien plus ardu pour les personnes autistiques. Après tout, les autistes se distinguent principalement par une difficulté à naviguer dans ce type de territoire et à comprendre la signification d'un langage non-verbal qui ne leur est pas familier.

La reconnaissance de l'émotion

Mais il convient aussi de remarquer que les non-autistes ont aussi, souvent, beaucoup de mal à déchiffrer la communication non-verbale des autistes. Ces derniers peuvent aussi avoir des difficultés à se mettre –automatiquement, situationnellement– dans la peau d'une autre personne et d'en inférer ses émotions, mais encore une fois, c'est quelque-chose qui est aussi très difficile pour les non-autistes face à des autistes. Par contre, l'autisme n'empêche pas de comprendre un message émotionnel clair.

L'autre forme d'empathie est liée à la reconnaissance de l'émotion, que le message soit verbal ou non-verbal, intuitif ou non. Dans cette forme d'empathie, vous êtes non seulement capable d'intellectualiser l'émotion de quelqu'un d'autre, mais vous pouvez aussi l’intérioriser et la ressentir –c'est ce qu'on appelle l'empathie émotionnelle. Et c'est ici que les autistes se distinguent des psychopathes: ces derniers sont apparemment incapables d'empathie émotionnelle. Dans le cas des autistes, qu'importent leurs lacunes en termes de reconnaissance et de compréhension abstraites, ils les rattrapent sur le plan des émotions partagées.

Ce que j'ai directement vécu, c'est qu'une fois qu'un autiste comprend l'émotion d'une autre personne, cela se fait sans construction sociale –son ressenti est plein, entier, direct. Et l'expression de cette émotion peut, sans aucun doute, se faire bien plus intensément. Des recherches montrent que si l'empathie cognitive n'est pas très bonne chez les Asperger, leur empathie émotionnelle ne diffère pas des non-Asperger –l'inverse étant vrai des enfants manifestant des troubles des conduites.    

Mon fils de 11 ans a été diagnostiqué Asperger –un trouble qui, grâce aux changements du DSM-V, sera désormais simplement considéré comme de l'«autisme». C'est un géant turbulent de 11 ans, qui adore chahuter avec ses frères, mais son esprit ne pourrait être plus tendre.

Ses yeux pleins de larmes

S'il trouve une araignée dans la maison, il l'enveloppera gentiment dans un mouchoir en papier et ira la mettre dehors, encore vivante. Il ne supporte pas que les gens cassent des fruits à coque, des noix de pécan par exemple, car vu qu'il se sent lui aussi enfermé dans une sorte de coquille, il a mal pour elles. Et il connaît si parfaitement ma communication non-verbale qu'il reconnaîtra la moindre fluctuation de mon humeur et y réagira plus vite que personne d'autre dans la maison, y compris mon mari. 

Il sait ce qui s'est passé le 14 décembre dans le Connecticut. Quand il a appris la nouvelle de la tuerie, sa première réaction a été de tourner sa chaise et de balancer sa tête en arrière. Il est resté dans cette position, calme et silencieux, pendant de longues minutes. Quand il s'est à nouveau retourné, et alors qu'il s'agit d'un enfant qui pleure très, très rarement, ses yeux étaient pleins de larmes.

Puis sa préoccupation la plus urgente a été d'arrêter la leçon que nous étions en train de travailler (nous le scolarisons à la maison) et d'aller chercher son frère à l'école, notre benjamin, actuellement en CP. Il fallait aller le récupérer maintenant... tout de suite. Une fois dans la voiture pour aller retrouver son frère que j'avais terriblement besoin d'entendre et de serrer dans mes bras, il a dit à voix haute ce que j'avais déjà décidé intérieurement:

«Il ne faut pas lui dire ce qui s'est passé. Ce n'est pas quelque-chose qu'il a besoin de savoir, ça va trop l'angoisser et l'effrayer.»

En voici de l'empathie et de la capacité à se mettre dans la peau d'autrui, à appréhender différents points de vue...

La violence sociale, planifiée, n'est pas un trait caractéristique de l'autisme. De fait, les personnes autistiques ont bien plus de risques de s'en prendre à eux-mêmes que de diriger leur violence vers autrui.

Au moment où j'écris ces lignes, personne ne sait ce qui a poussé le tueur du Connecticut à abattre, à bout portant, 20 enfants et 7 adultes, bien que des hypothèses évidentes fassent état de rage, de haine, d'un énorme sentiment de frustration envers l'humanité et d'un quelconque événement déclencheur. Mais s'il s'avère qu'il souffrait d'un trouble du spectre autistique, j'aimerais rappeler à tout le monde que l'autisme n'est pas un facteur explicatif de ses actes. Et que des personnes autistiques, à l'instar de mon fils, sont parfaitement capables de ressentir de l'empathie pour ceux qui sont devenus ses victimes.

Emily Willingham
Biologiste qui écrit sur la science et blogue sur The Biology Files et Double X Science.

Traduit par Peggy Sastre

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