Culture

Valérie Donzelli: «Avec "Main dans la Main", c'est un cycle qui se clôt»

Auteure de «La Reine des Pommes» puis de «La Guerre est déclarée», Valérie Donzelli sort «Main dans la Main». La réalisatrice –et actrice de la relève du cinéma français– se livre au jeu de notre entretien tablette, où les questions sont remplacées par des vidéos, images, photos, dessins, vidéos.

Valérie Donzelli dans «L'Art de séduire» (Guy Mazarguil, ©Zelig Films Distribution)
Valérie Donzelli dans «L'Art de séduire» (Guy Mazarguil, ©Zelig Films Distribution)

Temps de lecture: 8 minutes

Dès les premiers plans de Main dans la Main, vous savez qu'il s'agit d'un film de Valérie Donzelli. D'abord il y a Jérémie Elkaïm, comme dans tous ses (deux autres) films. Mais aussi, il fait du skate. Et dans cette liberté, cette sorte d'enfantillage, cette fantaisie, il y a tout l'esprit de la réalisatrice qui avait semé la tempête à Cannes avec La Guerre est déclarée.

Main dans la main est davantage dans l'esprit de son premier film, La Reine des Pommes: un conte pour adultes.

Le film raconte l'amour fusionnel à travers trois duos: celui d'un frère (Jérémie Elkaïm) et d'une soeur (Valérie Donzelli) orphelins, adultes et encore collés l'un à l'autre. Celui de deux amies (Valérie Lemercier et Béatrice de Staël) inséparables. Et celui d'une femme et d'un homme (Valérie Lemercier et Jérémie Elkaïm) dont la rencontre bouleverse les équilibres. Ils s'embrassent et soudain ils sont littéralement collés l'un à l'autre. Ne peuvent bouger l'un sans l'autre.

Dans le bureau de son producteur Edouard Weil (Rectangle productions), non loin de l'Opéra Garnier qui sert de décor à son film, Valérie Donzelli répond calmement, l'air plus sérieux que dans ses films, allumant de temps en temps une cigarette. Ainsi commence cet entretien tablette, où les questions sont remplacées par des vidéos et des photos, commentées par l’interviewé.

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Main dans la Main, une histoire de fusion, se place dans la lignée des films explorant les relations ambiguës entre frères et soeurs, avec un sous-texte d'autant plus fort que les spectateurs ont été habitués à voir Donzelli et Elkaïm en couple à l'écran. Cette ambiguïté, en plus obscure, est présente dans Ma Saison préférée, un film d'André Téchiné, dans lequel il explorait une relation en apparence simplement tendre, mais susceptible, peut-être, de tomber dans l'inceste.


Ma Saison préférée, André Téchiné, 1993

«Je n'ai pas vu ce film –il a l'air d'avoir beaucoup vieilli. Ce qui était intéressant pour moi, dans les personnages de Véro et Joachim, c’est qu’ils sont orphelins, ils ont perdu leurs parents et on sent qu’il y a à la fois quelque chose de névrotique sur la dépendance affective, plus de sa part à elle qu’à lui, mais on sent que ce n’est pas un rapport complètement malsain non plus. Il y a une forme de jovialité là-dedans. Quand elle l’embrasse sur la bouche, ce n’est ni pervers ni déviant. J’avais une amie qui embrassait son père sur la bouche quand j'étais plus jeune et je trouvais ça très bizarre mais c’était simplement leur usage. Là c’est fraternel, il n’y a pas de sexualité derrière.

Je ne voulais pas jouer dans le film au départ, je voulais que quelqu’un d’autre joue Véro, la sœur du personnage de Jérémie [Elkaïm], mais je ne trouvais pas. Jérémie m’a dit que ce serait marrant que je le fasse. Ça nous amusait de jouer des frère et sœur parce qu’on a aussi un rapport un peu comme ça, nous, dans la vie: assez fraternel.

Moi j’ai un frère, nous n'avons pas du tout le même rapport fusionnel, mais j’ai un lien particulier avec lui, de par notre fausse gémellité: nous sommes nés le même jour. Pas la même année mais le même jour. On s’appelle tous les ans pour se souhaiter un joyeux anniversaire, c'est rigolo. J’ai toujours pris ça comme quelque chose de plutôt chouette.»

Ce triangle amoureux à plusieurs faces, entre Véro, Joachim, et la nouvelle femme qui entre dans sa vie, ou entre cette nouvelle femme, sa meilleure amie, et Joachim, est truffaldien. Comme chez Truffaut, il y a surtout chez Donzelli des voix narratives qui vous emportent dans leurs contes comme de petits enfants.


Extrait de Jules et Jim de François Truffaut, 1962

«Cette voix narratrice chère à Truffaut, j’en suis très preneuse dans mes films. On m’a souvent demandé pourquoi j’avais besoin de cette voix narratrice et je me suis rendue compte que je ne savais pas écrire sans. 

Je suis obligée de passer par cette phase du narrateur qui d’un coup recentre les choses, présente une forme d’objectivité sur ce qui se passe. Le narrateur, c’est la partie consciente de moi-même, sans lui je crois que mes films partiraient dans tous les sens. Il me permet de jouer sur le temps. C’est difficile de ressentir le temps qui s’écoule dans la vie des films et cette voix m’y aide.

Le narrateur de Main dans la Main, le même que La Reine des Pommes et qui était l’une des voix de La Guerre est déclarée, c’est Philippe Barassa. J’avais écrit la voix narrative de La Reine des Pommes en pensant à lui. C’est un ami, il est aussi réalisateur et j’avais vu l’un de ses courts-métrages, dans lequel il disait avec sa voix «Catherine n’en peut plus, elle est à bout». Ça m’avait donné envie de lui faire dire les voix.

C’est après, en visionnant les rushs que je me suis rendue compte que c’était très truffaldien, mais c’était presque inconscient. J’adore le cinéma de François Truffaut, mais quand je fais des films je ne pense pas du tout au cinéma des autres. Ni à Truffaut ni à Rohmer... Mais pour Main dans la Main j’ai pensé à Woody Allen, sa façon de filmer les villes comme des cartes postales.»

New York a d'ailleurs une place importante chez Donzelli. La Reine des Pommes et Main dans la Main, qui s'achèvent avec optimisme, sur une avancée en avant, un pas de deux vers l'avenir, s'y terminent tous les deux.


Planche de Sempé à New York, chez Denoël, 2009.

«Le point de départ de La Reine des Pommes a été New York. Mon amie Laure Marsac allait vivre là-bas quelques mois. Quand elle m'a proposé de venir la voir, je lui ai dit d’accord, mais alors on fait un film. Je suis partie avec la chef opératrice Céline Bozon et on a commencé à tourner la fin d’un film. En rentrant à Paris, j’ai écrit tout ce qu’il y avait avant, et on a tourné dans la foulée.

Pour Main dans la Main je trouvais cohérent que le personnage de Joachim, à partir du moment où il prend les rênes de sa vie, ait envie de ville. Et New York, c’était logique: immense, moderne, pas si cher pour s’y rendre...

C’est une ville que j’adore, la ville du renouveau. C’est une sorte de plaque tournante.»

Les films de Valérie Donzelli ressemblent un peu à des contes, la voix narratrice est comme un «il était une fois». Dans La Reine des pommes, l'un des personnages citait même Le Chaperon rouge, de Charles Perrault: «... qui ne sait que ces Loups doucereux, De tous les Loups sont les plus dangereux».


«Il était une fois», adaptation de Kenneth Whitley, 1939. CC.

«On ne m’a pas raconté d’histoires quand j’étais petite, et c’est peut-être à cause de ça j’adore qu’on m’en raconte maintenant. Ma mère travaillait de nuit, elle n’était pas là le soir. Ma sœur m’en racontait, parce qu’on dormait dans la même chambre, mais c’était souvent un moment d’angoisse, ce moment du coucher.

Mais j’ai toujours aimé me raconter des histoires dans ma tête, j’adore écouter celles des autres, j’en lis à mes enfants, et j’aime en raconter, moi-même.

Ceci dit, dans La Reine des pommes, c’est un accident si l’un des personnages lit Le Petit Chaperon Rouge. Elle devait lire un extrait des Fragments du Discours amoureux de Roland Barthes et finalement je n’ai pas eu les droits. L’ayant-droit de Barthes refuse tout en bloc. La scène était pourtant déjà tournée, montée, mais j’ai dû trouver autre chose. Et j’ai pensé au Petit Chaperon Rouge, comme ça.»

Main dans la Main se déroule en grande partie à l'Opéra Garnier. Hélène Marchal (Valérie Lemercier), y enseigne la danse. Joachim assiste à ses cours en dilettante. Et un jour, à l'improviste, il reproduit cette chorégraphie de Pina Bausch, sans qu'elle ne s'y attende.


«Nelken», de Pina Bausch, 1982.

«Au début des discussions avec Gilles Marchand, qui a collaboré au scénario, il m’a montré ça et je suis tombée complètement baba de ce truc-là. La danse, c’est le langage du corps et utiliser le langage des mots par le corps, ce qui est le langage des signes pour les sourds et muets, j’ai trouvé ça dément. On est dans la chorégraphie par une autre lecture de ce langage.

Et j’adore le hors-champ sur les personnages. J’aimais l’idée que Jérémie ait choisi d’apprendre ça, seul. Peut-être dans sa chambre, peut-être qu'il n’en a jamais parlé à personne, qu'il n’a jamais pensé qu’il le montrerait un jour. Et c’est un point de rencontre fondamental entre les deux personnages ce moment.

Je savais que Jérémie serait capable de faire cette chorégraphie parce qu’il a une formidable mémoire des gestes, comme les danseurs. C’est très compliqué. Moi j’en suis incapable par exemple. Une fois pour un film, je devais apprendre une petite chorégraphie de country et je n'y arrivais pas. J’avais une cassette vidéo pour apprendre les pas et Jérémie a regardé la chorégraphie et s’en est souvenu tout de suite. Je voulais montrer cette agilité qu’il a avec son corps, je trouvais ça bête de ne pas en profiter. C’est pour ça en partie que le personnage danse, fait du skate, et refait cette chorégraphie de Pina Baush.

Et j'aime l'Opéra Garnier aussi, où se déroule cette scène. C’est un endroit féérique, j’avais envie de le rencontrer de façon plus intime, de pouvoir y pénétrer. J’aime son espèce d’opulence, ses dorures, ses richesses.

Comme je ne suis pas très touriste dans l’âme, la seule manière de rencontrer les choses, c’est de travailler avec, de travailler dedans et puisque je ne suis ni danseuse ni chorégraphe, le seul moyen pour moi c’était d’y faire un film. Et l'Opéra a influencé l’écriture du scénario: la façon dont il donne un peu le vertige parfois a influencé la façon dont tourbillonnent les personnages.»

Donzelli tourne très vite. Elle était en pleine promo de La Guerre est déclarée qu’elle avançait déjà sur Main dans la Main. «Je ne sais travailler que dans l’urgence», assurait-elle en 2011. Mais sur le plateau, au montage, elle prend le temps, elle est dans la douceur de la narration, du récit. La réalisatrice ressemble à l'écrivain tel que décrit par Jean-Philippe Toussaint dans L'Urgence et la patience (Minuit):

«L’urgence, qui appelle l’impulsion, la fougue, la vitesse — et la patience, qui requiert la lenteur, la constance et l’effort. Mais elles sont pourtant indispensables l’une et l’autre à l’écriture d’un livre, dans des proportions variables, à des dosages distincts, chaque écrivain composant sa propre alchimie, un des deux caractères pouvant être dominant et l’autre récessif, comme les allèles qui déterminent la couleur des yeux.»

«C'est beau ce qu'il écrit. Je crois que c'est vrai oui. J’aime travailler dans l’urgence et je suis une impatiente, mais je suis tout de même capable d’une grande patience dans le côté coureur de fond. Je ne suis pas si minutieuse au tournage mais au montage oui.

Ces trois films-là, La Reine des pommes, La Guerre, et Main dans la Main, ont été faits dans un état d’urgence mais je ne sais pas si ce sera pareil pour les prochains. Par exemple, je ne suis pas encore en train d’en écrire un nouveau, il y a un ralentissement. Mais j’ai des idées, je sais que ça reviendra, je ne m'inquiète pas.

Ces trois premiers films sont assez indissociables. Il y a des choses mélangées, des thèmes, les acteurs. C’est peut-être une sorte de triptyque; ils font sens tous les trois ensemble, même s'ils n'étaient pas pensés comme tels au départ. Avec Main dans la Main, c'est peut-être un cycle qui se clôt.»

Propos recueillis par Charlotte Pudlowski

Main dans la Main, de Valérie Donzelli avec Valérie Lemercier, Jérémie Elkaïm, Béatrice de Staël et Valérie Donzelli. Sortie le 19 décembre
La Guerre est déclarée, de Valérie Donzelli avec Jérémie Elkaïm et Valérie Donzelli. Wild Side Video.
La Reine des Pommes, de Valérie Donzelli avec Jérémie Elkaïm, Béatrice de Staël et Valérie Donzelli. MK2.

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