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«Mes ovocytes, quand je les veux!»: ce sera bientôt possible en France

Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français a tranché: il donne son feu vert à «l’autoconservation sociétale des ovocytes» et dénonce le «chantage» que l’on impose ici aux femmes. Il ne reste plus qu’à changer la loi. Mais qui, en 2012, oserait raisonnablement s’élever contre cette nouvelle forme de maîtrise de la procréation?

Une femme enceinte, à Buenos Aires. REUTERS
Une femme enceinte, à Buenos Aires. REUTERS

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Les possibilités techniques dépassent presque toujours les interdits éthiques. Une nouvelle démonstration en est apportée dans le domaine de la maîtrise de la reproduction humaine avec la prise de position du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) en faveur de l’autoconservation par les femmes, pour des raisons de convenances personnelles, des ovocytes présents dans leurs ovaires.

Depuis peu présidé par le Pr Bernard Hedon (CHU de Montpellier) le conseil d’administration du CNGOF a donc finalement tranché. Il a choisi de faire connaître sa décision le 12 décembre 2012 et elle est sans ambiguïté.

Non seulement ces spécialistes sont favorables à ce que les femmes puissent, comme les hommes, avoir accès à la libre conservation de leurs cellules sexuelles, mais ils dénoncent la pratique officiellement en vigueur en France: les seules femmes qui peuvent avoir cette liberté sont celles qui acceptent, en contrepartie, de donner à d’autres femmes une partie de leurs ovocytes. Il s’agit là pour eux d’un chantage devenu inacceptable.

Le progrès de la vitrification

A la différence notable des spermatozoïdes, la question des modalités de conservation des ovocytes par congélation ne s’est posée que très récemment. C’est, tout simplement, que les biologistes de la reproduction ne maîtrisaient pas la technique: les caractéristiques très spéciales de la cellule sexuelle féminine faisaient qu’elle ne résistait pas aux stress imposés par les techniques de congélation-décongélation.

Or les principaux obstacles ont été franchis avec succès ces dernières années avec le procédé dit de «vitrification». Les espoirs et les problèmes avaient commencé à apparaître au début de 2011. Nous arrivons aujourd’hui à une nouvelle étape dont le gouvernement ne pourra pas, à très court terme, faire l’économie avant que le législateur se prononce.

Pour l’heure, la loi de bioéthique de juillet 2011 dispose que cette technique ne peut être mise en œuvre que pour des raisons médicales. Sa pratique est ainsi devenue courante lorsque la fertilité de la femme est menacée par un futur traitement stérilisant (dans le cas de certains cancers notamment).

Mais elle est interdite en France dès lors qu’il s’agit d’une demande de convenance. Et cette interdiction vaut également dans le cas où la femme accepterait de payer les opérations de prélèvement et de conservation. Prévenir avec succès la marchandisation du corps humain a son corollaire: le citoyen ne peut pas disposer comme il l’entend des éléments qui composent le sien.     

Une solution aux grossesses tardives

Quels sont les arguments en faveur de la conservation par les femmes de leurs ovocytes? Le CNGOF rappelle que cette autoconservation constitue un progrès médical: elle est, avec le don de ces mêmes cellules sexuelles, la seule méthode de traitement de l’infertilité réellement efficace à 40 ans et plus. Elle permet aux couples de concevoir des enfants dotés d’un capital génétique qui leur est propre.

Les gynécologues-obstétriciens français observent que l’âge moyen de la maternité ne cesse de reculer et que les femmes qui consultent pour infertilité sont, elles aussi, de plus en plus âgées. Le nombre de cas nécessitant le recours à un don de gamètes sexuelles féminines augmente et ce alors qu’il n’existe pas d’ovocytes disponibles.

«Il ne serait pas admissible, comme la loi le prévoit pourtant, de limiter la possibilité d'autoconservation aux seules femmes qui accepteraient de donner une partie de leurs ovocytes, dénonce pour la première fois le CNGOF. Un tel chantage nous paraît éthiquement inacceptable.»

Ces spécialistes ajoutent que l’autoconservation de convenance de spermatozoïdes est possible pour les hommes et qu’il n’y a donc «pas de raison particulière pour que le parallèle ne soit pas autorisé aux femmes». Ils précisent que de nombreux pays acceptent la conservation d’ovocytes pour convenance. La société européenne de reproduction humaine et d’embryologie (ESHRE) vient d’ailleurs de rendre un avis favorable à cette pratique.  

Commes les spermatozoïdes

Présentés comme de bon sens, ces arguments doivent toutefois être mis en perspective. Ouvrir une telle possibilité viendrait immanquablement bousculer l’équilibre bioéthique qui prévaut actuellement en France.

Cet équilibre est fondé sur le strict usage thérapeutique des techniques de procréation médicalement assistée; et ce au bénéfice de couples «composés d’un homme et d’une femme en âge de procréer». Permettre l’autoconservation des ovocytes ouvre une brèche dans cette logique. Il risque notamment  d’encourager les grossesses tardives avec les conséquences médicales négatives connues pour les mères et les enfants après 40 et plus encore 45 ans. Le CNGOF ajoute:

«Il faut aussi compter avec le risque de donner de faux espoirs aux femmes. Le déclin du taux de succès de l’AMP s’amorce dès 35 ans et s’accentue à partir de 37 ans. Il faudrait donc réaliser la conservation des ovocytes avant 35 ans pour un maximum d’efficacité.»  

Qu’en sera-t-il de la fixation d’un âge limite jusqu'auquel il serait acceptable qu'une grossesse puisse être induite par ce procédé? «Il ne serait pas raisonnable de ne pas fixer de limite en raison de l'augmentation importante des risques obstétricaux liés à l'augmentation de l'âge maternel», observent ces spécialistes.

Qu’en sera-t-il, enfin, du financement? L’obtention de ces grossesses décalées dans le temps pour des raisons de convenances personnelles seront-elles prises en charge en totalité par la collectivité comme celles obtenues après constatation de la stérilité du couple?

Au total, c’est bien la «convenance personnelle» qui apparaît comme la question nouvelle et centrale. On peut voir dans cette possibilité née des avancées techniques la suite logique de la maîtrise de la fonction de reproduction féminine amorcée il y a plus d’un demi-siècle avec la contraception hormonale. Sera-t-elle également, en France, une première étape irréversible dans l’usage non médical de techniques jusqu’ici destinées à traiter des stérilités? De ce point de vue, cette question soulève les mêmes problèmes éthiques fondamentaux que les projets gouvernementaux actuels de procréation médicalement assistée qui pourrait être autorisée aux futurs couples homosexuels mariés.     

Jean-Yves Nau

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