Économie

Shoreditch, la Silicon Valley de Londres en plein boom

Géants du Web et start-up s'implantent dans le quartier de l'est de Londres, qui veut devenir une Silicon Valley européenne. Un modèle pour Paris qui commence à peine sa réflexion dans la création d’un tel quartier?

Shoreditch, mars 2012. REUTERS/Andrew Winning
Shoreditch, mars 2012. REUTERS/Andrew Winning

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Un léger parallèle peut-être tracé entre la ruée vers l'or de l'ouest américain du XIXe siècle et le boom actuel de l'est londonien, nouvel eldorado à start-up. Dans les deux cas, tout commence par une erreur de la nature.

En 1848, l'Américain James Wilson Marshall construit une scierie dans la Sierra Nevada et découvre par hasard des pépites de métal précieux dans une rivière. Près de deux siècles plus tard, un affreux rond-point, plaie urbaine du quartier de Shoreditch, lègue son nom à la Silicon Roundabout et devient le point de départ de la Tech city britannique. C'est ici, dans l'East End que les poids lourds de l'e-économie, tels Google, Facebook, Amazon ou Yammer, le réseau social pour entreprises racheté par Microsoft en juillet, ont posé leurs valises ces derniers mois.

Le développement de la Silicon Roundabout est fulgurant. En 2008, seules une quinzaine de start-up étaient installées autour du rond-point d'Old Street, cœur de la Tech city. Parmi ces pionniers, de nombreuses entreprises-web sont alors spécialisées dans l'univers musical. Citons Songkick, Last.fm (racheté 280 millions de dollars par CBS) ou Groupspaces.

«Il y a une forte connexion entre les acteurs des nouvelles technologies et la scène musicale londonienne», note Olivier de Simone, responsable du département musique de Webdoc, une plateforme qui permet de créer des documents interactifs.

Si en 2012 la mélodie n'est plus exactement la même, près d'un quart des entreprises présentes à Shoreditch sont toujours liées à l'industrie cinématographique ou musicale.

Iain Dodsworth, le fondateur de Tweetdeck, la célèbre application de gestion de réseaux sociaux, a également débuté ici. Le rachat de sa start-up par Twitter pour 40 millions de dollars en 2011 (environ 31 millions d'euros) a été le premier vrai coup d'éclat de la Tech city. Une première marche dans la compétition naissante qui l'oppose à la Silicon Valley, dont la ville de Londres s'inspire pour modeler sa «Valley». En septembre 2012, près de 800 entreprises du secteur numérique sont désormais établies à Shoreditch.

Même pour David Rowan, éditeur de l'édition britannique de Wired –un des magazines de référence sur les technologies– «l'énorme et rapide croissance de la Tech city de Londres a été une surprise pour notre équipe, alors que nous traitons du sujet tous les mois».

Mais quelle est la place de Londres à l'échelle mondiale? Selon le classement de référence, quoique encore largement imparfait, de Startup Genome (une entreprise spécialisée dans la collecte et l'analyse des données issues des startup), Londres est par sa taille le troisième hub high-tech du globe. Derrière la Silicon Valley, dont l'«écosystème» est quatre fois et demi supérieur à celui de Londres, et New York City.

Cependant dans le classement général de Genome, réalisé à partir de l'aggrégation de sept indicateurs tels que la durée de vie des start-up, ou le montant des levées de fonds opérés en 2011, la capitale du Royaume-Uni n'est que septième. Derrière cinq villes américaines et Tel-Aviv. Mais devant tous ses concurrents européens dont Paris (11e) –qui vient de lancer sa pré-phase de réflexion pour le développement d’un tel quartier– et Berlin (15e). A titre de comparaison, Londres compte environ 2.200 startup contre 1.200 pour Paris.

La politique volontariste du gouvernement

Lors de son élection en 2010 à la tête du gouvernement britannique, David Cameron a érigé en priorité le développement de la Tech city, «seul secteur industriel d'avenir en Grande-Bretagne». Plusieurs lois ont été votées pour attirer les cracks du numérique. Concernant le volet financier, les start-up qui s'installent dans l'est de Londres sont depuis 2010 exemptées de 5.000 livres (environ 6.100 euros) de charges sociales pour chacun de leurs dix premiers employés. Autre avantage fiscal, les start-up qui investissent plus de 100.000 livres à Shoreditch bénéficient également d'une réduction de 50% de leurs impôts.

Les conditions d'obtention de visas et de permis de travail ont été grandement facilitées pour encourager les étrangers à venir travailler dans la Silicon Roundabout. «Aujourd'hui, tu peux recruter des gars à San Francisco, en quelques jours ils seront en règle pour venir travailler ici», indique Stephen O'Reilly, directeur des ventes internationales de Mobile Roadie, une start-up spécialisée dans la création d'applications pour smartphones sur demande.

La loi sur la propriété intellectuelle a également été réformée par David Cameron sur le modèle américain, qui offre plus de libertés, pour attirer notamment Google.

La puissance financière

Mais sans d'autres points forts, Londres ne se démarquerait pas de Dublin, paradis fiscal pour start-up, et de Berlin ou Paris. «L'un des atouts de la Silicon Roundabout est la proximité de la City, première place financière européenne», explique Georg Ell, manager général du bureau de Yammer à Londres.

«Les start-up comme la nôtre peuvent bénéficier d'un fort soutien financier pour leurs investissements.»

Le succès de Yammer symbolise cette connexion. Il y a quatre ans, lors de son implantation sur les bords de la Tamise, l'entreprise californienne comptait trois employés qui partageaient un open space avec plusieurs autres start-up. Ils sont aujourd'hui 85 installés dans un luxueux immeuble à trois étages sur Great Eastern Road, à deux pas d'Old Street.

En 2011, la capitale britannique a été la ville européenne où les ventures capital américains ont le plus investi, selon la Tech city investment organisation (TCIO). L'arrivée de la Silicon Valley Bank (SVB), établissement financier américain spécialisé dans le secteur high-tech, en juin 2012, est également un tournant. «Nous avons déjà prêté des millions aux start-up du Royaume-Uni mais nous cherchons à transformer cela en milliards très rapidement», avait déclaré Phil Cox directeur de la SVB à Londres au micro de la BBC en juin dernier. «C'est très important qu'une institution comme la SVB –le pouls de la Valley– viennent ici pour financer les investisseurs», ajoute Julie Meyer, manager de ACE Fund, un venture capital britannique.

Un partenariat entre la banque Barclays et le Central working de la Tech city –un immense espace de travail pour start-up–  a également été signé en juin pour une durée de cinq ans. Ce juteux contrat qui vise à soutenir le digital business devrait «potentiellement générer 350 millions de livres de chiffre d'affaires», selon la TCIO.

Un effet post-JO?

Le parc olympique, point névralgique des JO 2012, est à un jet de pierre de la Silicon Roundabout. Les retombées promises par le gouvernement à la Tech city sont cependant difficiles à quantifier. «Pour le moment peu d'entreprises veulent s'installer près du parc olympique, l'énergie créatrice de l'industrie high-tech est ici à Shoreditch», affirme Georg Ell. Mais pour le maire Boris Johnson, «la mise en lumière du savoir-faire organisationnel de notre cité va encourager les entreprises à venir s'installer dans l'est londonien».

En attendant, la Silicon Roundabout a organisé ses propres olympiades cet été –les Start-up games. Une entreprise britannique spécialisée dans le développement de matériaux de haute technologie, Versarien, a remporté la compétition. Comme un symbole de l'ambition grandissante de Shoreditch qui veut à moyen terme s'imposer comme la deuxième place high-tech mondiale, derrière la Silicon Valley. Et transformer l'affreux rond-point de Old Street en or.

Camille Belsoeur

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