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Le sida, mieux vaut (bien) prévenir

Pour mieux communiquer sur le sida, vaut-il mieux faire peur ou faire rire? Effrayer pour avertir ou divertir pour inciter? Quelle communication est la plus efficace?

Le 30 novembre 2012 en Inde. REUTERS
Le 30 novembre 2012 en Inde. REUTERS

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La Journée mondiale contre le sida, qui a eu lieu le 1er décembre, est l'occasion de faire le point annuellement sur l'évolution de la pandémie. C'est aussi l'occasion pour les pouvoirs publics et les associations de lancer de nouveaux messages de prévention, comme l'opération café-capote organisé par la ville de Paris.

En 10 ans, la communication de la ville de Paris a bien évolué, oscillant de la peur à l'humour.

On est ainsi passé d'images froides de cercueils se mêlant aux Parisiens à des affiches aux couleur vives représentant un préservatif tenu en laisse, rebaptisé «le meilleur ami de l'homme»... Les tons changent, mais la maladie reste.

Pour mieux communiquer sur le sida, vaut-il mieux faire peur ou faire rire? Effrayer pour avertir ou divertir pour inciter? Quelle communication est la plus efficace?

La difficulté de communiquer sur le sida 

Parler d’une maladie vénérienne, c’est aborder les sujets tabou du sexe et des comportements sexuels à risque. Parler du sida, c’est traiter d’une MST mortelle et incurable. Ainsi chercher à faire de la prévention, au sujet du VIH est aussi délicat que nécessaire.

Pour David Heard, chef du département des campagnes à l’INPES, l’Institut national de prévention et d’éducation à la santé, «c’est une difficulté propre à la médecine de faire changer les comportements d’une population, ce qui renvoie aussi bien à la prévention des maladies qu’à la sécurité routière. Mais pour ce qui est de la santé, on touche au rapport au corps, à l’intimité, à la manière dont on mange, dont on fait l’amour... C’est plus sensible. Il faut chercher à remporter l’adhésion par des campagnes de communication plus positives en promouvant des gestes simples». Inciter plutôt que choquer.

Fin juillet, lors de la 19e conférence internationale sur le sida à Washington, on avait parlé d'une possible fin de l'épidémie et la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton s’était prise à espérer «une génération sans Sida». Un peu trop idéaliste pour une maladie qui tue des millions de personnes chaque année. On a pu craindre ainsi qu’un trop plein d’optimisme ait des effets pervers en termes de prévention individuelle et donne lieu à un relâchement de la vigilance de chacun.

La «génération sidaction» a beau avoir été bercée par des messages de prévention, la mise en pratique n’est pas toujours si évidente.

Différentes manières de faire de la prévention

Des pouvoirs publics aux vendeurs de préservatifs, en passant par les associations, il existe une multitude d’annonceurs différents sur le thème du VIH. Et la multiplicité des voix explique la diversité des tonalités.

On trouve des campagnes pédagogiques de l’INPES...

... de la communication sur un ton humoristique comme ce clip d’AIDES...


Prévention : zizi graffiti www.aides.org par InspectuerGadget

... mais aussi des campagnes beaucoup plus trash comme celle d’une association allemande qui présentait le virus sous les traits d’Hitler:


Hitler dans un clip choc contre le SIDA par no-fun

Efficace en termes d’impact, cette dernière a créé la polémique et a été accusée de stigmatiser les séropositifs.

Entre campagnes trash ou clips plus LOL, faire de la prévention efficace se révèle un exercice difficile.

«La pub n’est pas une science exacte »

Pour évaluer les campagnes de prévention, des études de réception, des pré-tests et des post-tests sont réalisés [PDF]. Mais il est très difficile de rendre compte de leur influence réelle sur le comportement de la population générale.

Pour David Heard de l’INPES, «la pub n’est pas une science exacte. C’est très difficile de dire ce qui marche et ce qui ne marche pas». Un ton trop positif ou anodin peut ne pas avoir d’impact suffisant. Mais lorsque c’est la peur qui est utilisée, il y existe un risque de rejet. David Heard explique:

«Si l’on va trop loin, le public peut ne pas se sentir pas concerné. Comme une personne qui roulent à 200km/h et pense que les accidents viennent de ceux qui conduisent mal.»

Ainsi une campagne proposée par l’agence de publicité TWA, présentant les séropositifs sous forme de scorpions n’a pas été acceptée par l’association AIDES, car jugée trop stigmatisante pour les séropositifs et contre productive. «Rien ne prouve qu’en faisant peur, on pousse à se protéger, ni qu’en faisant de la communication plus positive, on risque le rebond», justifie Christian Andreo, directeur de la communication au sein de l’association AIDES.

Pour ce dernier, le message positif sur la fin du sida délivré fin juillet à Washington a été utile.

«Cela permet de montrer un but atteignable et de communiquer sur les moyens. Même si cela n’élude pas les difficultés et les morts, on ne peut pas avoir la même communication que dans les années 1980-90.»

A chaque époque sa prévention

En effet, la manière de faire de la prévention change au fil du temps. On peut esquisser trois grandes périodes qui suivent l’évolution de la maladie et les progrès thérapeutiques.

  • Avant 1994: alors qu’il y a une augmentation de la maladie dans toutes les franges de la population, la communication est destinée au grand public, elle vise à faire prendre conscience de l’épidémie et à promouvoir l’usage du préservatif.

  • De 1994 à 2000: c’est le début des traitements et l’apparition des premières trithérapies: le sida, maladie rapidement mortelle jusqu’alors, se transforme en maladie de plus en plus chronique. La communication s’oriente donc vers le dépistage pour permettre une prise en charge plus précoce. Mais pour contrer un rebond de la maladie secondaire aux premiers traitements, des campagnes rappellent l’importance de l’épidémie, comme celle de l’INPES «Le sida, on en meurt encore».

  • A partir des années 2000: à côté de campagnes grand public, apparaissent des campagnes plus ciblées vers les populations spécifiquement à risque pour lutter contre une baisse de l’utilisation du préservatif. Des opérations de communication visent aussi à lutter contre les discriminations envers les séropositifs, pour briser l’isolement, favoriser leur prise en charge au long cours et ainsi éviter de nouvelles éviter les contaminations. Comme dans ce clip de l’INPES où Didier Drogba prend dans ses bras des séropositifs. 

Au fur et à mesure des évolutions, on retrouve les trois niveaux de prévention définis par l’OMS, trois leviers qui permettent des lutter contre l’épidémie.

  • la prévention primaire qui vise à diminuer l’apparition de nouveaux cas (inciter à mettre un préservatif)
  • la prévention secondaire qui a pour but d’enrayer la durée d’évolution de la maladie (inciter au dépistage)
  • la prévention tertiaire qui cherche à limiter les conséquences négatives de la maladie et les récidives (favoriser l’accès aux soins et lutter contre les discriminations).

Un enjeu majeur de la lutte contre le sida

Le ton des campagnes de prévention d’aujourd’hui varient en fonction des publics. Ainsi le directeur de la communication d’AIDES:

«On continue à avoir une communication générale grand public, mais on a aussi des campagnes plus ciblées en fonction de la sexualité, de l’âge, des origines en s’adressant plus spécifiquement par exemple aux homosexuels masculins ou aux migrants subsahariens. Le ton employé change en fonction des sujets: pour les étrangers malades, on n’emploiera pas de campagne fun. Par contre pour la promotion du préservatif notamment chez les jeunes, on s’adaptera à la cible: on utilisera le décalage, l’humour pour dédramatiser le sujet à des fins pédagogiques et des supports modernes comme les vidéos virales.»

Mais pour le directeur de la communication de l’INPES, le ton varie aussi en fonction de l’annonceur:

«Les campagnes chocs sont souvent le fait des associations, le but n’est pas la prévention mais le militantisme avec une collecte de fonds. Les institutions publiques comme l’INPES utilisent moins cette tonalité.»

Variant en fonction des annonceurs, de la population ciblée et des époques, la prévention et la communication autour du sida est d’un maniement délicat, mais restent l’un des enjeux majeurs de la lutte contre l’épidémie.

Clément Guillet

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