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Hadopi: quand la France s'inspire de la Chine et de la Turquie

Pour RSF, les attaques du gouvernement contre le Net menacent la liberté d'expression

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Retoquée, au nom de la liberté d'expression. Les promoteurs de la loi instituant la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) ne s'attendaient sans doute pas à ce qu'elle soit partiellement censurée, au nom de ce principe, par le Conseil constitutionnel, le 10 juin. Adopté un mois plus tôt par l'Assemblée nationale, le projet de loi prévoyait de confier le soin à une autorité administrative de priver de connexion un internaute suspecté de «piraterie informatique», au mépris du droit de ce dernier à plaider sa cause. Devant un juge, donc. Sans attendre le camouflet de la rue Montpensier, au pays dit des droits de l'homme, le pouvoir politique aurait dû regarder ailleurs. Du côté de ces pays répressifs où les autorités administratives taillées sur mesure et les parquets aux ordres jouent aux pères-fouettards contre les internautes, voire contre la Toile.

Phare international des partages de vidéos en ligne, YouTube vient justement d'écoper, au début du mois de mai, d'une sanction administrative d'un tribunal d'Ankara. Depuis ce jour, le site est inaccessible sans motif précis. Car n'importe où, en Turquie, un tribunal peut décider de suspendre un site, à titre préventif, sur la seule base d'accusations d'«insultes», d'«atteintes aux droits d'auteur», etc. La juridiction n'a même pas besoin d'en référer à un expert, encore moins d'entendre les responsables du site incriminé. Les démarches des cerveaux de YouTube n'ont d'ailleurs jamais eu de suite. Le site de partage de vidéos reste au piquet.

En France, en vertu de la décision n° 2009-580 DC du Conseil constitutionnel, «la liberté de communication et d'expression, énoncée à l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, [...] implique aujourd'hui, eu égard au développement généralisé d'Internet et à son importance pour la participation à la vie démocratique et à l'expression des idées et des opinions, la liberté d'accéder à ces services de communication au public en ligne. Or les articles 5 et 11 de la loi déférée confiaient à la commission de protection des droits de la HADOPI des pouvoirs de sanction l'habilitant à restreindre ou à empêcher l'accès à Internet à des titulaires d'abonnement. [...] Ces pouvoirs ne peuvent incomber qu'au juge.»

Saisi d'une loi destinée à limiter, sinon à empêcher, le téléchargement illégal sur Internet, le Conseil constitutionnel a fait d'Hadopi un outil de protection de cet espace à l'appui d'un principe républicain fondamental: «La libre communication des pensées et des opinions» (article 11 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789).

Ce petit rappel d'un grand principe constitutionnel et démocratique donnera sans doute du câble à retordre aux cybercenseurs, nombreux et pas seulement dans les dictatures. En Australie, se discute actuellement la possibilité de filtrer les connexions Internet des utilisateurs de la Toile directement par leurs fournisseurs d'accès. La manœuvre permettrait, là encore de décourager le téléchargement illégal et de contrer la pornographie en ligne.

Retour en France. Ici, les personnalités publiques n'hésitent plus à poursuivre en justice des blogueurs pour «diffamation» ou «injure», sans prendre la peine de demander aux plateformes d'hébergement le simple retrait d'un commentaire peu amène. La secrétaire d'Etat chargée de la famille, Nadine Morano, a ainsi porté plainte contre X pour «injures publiques envers un membre du ministère», en réplique à des commentaires d'internautes, postés sur l'autre grand site de partages de vidéos, Dailymotion. La police a dès lors exigé que le site lui transmette les adresses IP des auteurs de commentaires visant la ministre. Le dossier est toujours aux mains du parquet.

La Toile est un risque. Elle ne peut être totalement domptée. Et c'est ce qui inquiète ses ennemis. Ceux-là mêmes qui, faute de pouvoir contrôler l'espace Internet, trouvent le moyen d'avoir prise sur ses acteurs. La liberté d'information est en jeu. Les cyberdissidents chinois, emprisonnés ou surveillés, sont là pour rappeler que les menaces virtuelles peuvent rapidement devenir réalité.

Clothilde Le Coz

Bureau Internet et Libertés, Reporters sans frontières

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