Politique / Économie

Nationaliser Florange? Pourquoi même la droite approuve

Des leaders de l’opposition soutiennent de façon inattendue la position d’Arnaud Montebourg face à Mittal. Il s’agit de reconstruire une industrie, et la sidérurgie prend dans ce contexte une dimension stratégique.

Sur le site de Florange, le 1er octobre 2012. REUTERS/Vincent Kessler
Sur le site de Florange, le 1er octobre 2012. REUTERS/Vincent Kessler

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«Un pays comme la France a des raisons de vouloir préserver sa base industrielle et, s’il le fait, par des interventions publiques. Je regrette que, par le passé, cela n’ait pas été le cas pour Pechiney.»

Qui s’exprime ainsi, cautionnant le scénario de nationalisation temporaire avancé par Arnaud Montebourg pour le sauvetage de Florange? Michel Barnier, homme politique de droite qui fut ministre dans les gouvernements Balladur, Juppé, Raffarin et Fillon.

Ce libéral converti à une certaine régulation est aujourd’hui commissaire européen au Marché intérieur dans une Commission qui n’a jamais mis en œuvre aucune politique industrielle pour l’Europe. Mais le 27 novembre, face à l’Association des journalistes économiques et financiers (Ajef), il a pris la défense du ministre du Redressement productif, parce qu’il ne faut pas que l’Europe «devienne dépendante des technologies américaines et chinoises».

Dans le même temps, Jean-Louis Borloo, fondateur du parti de centre droit UDI, a surpris son monde en affirmant qu’il soutiendrait l’action de son adversaire Montebourg s’il devait mettre en pratique cette nationalisation provisoire pour sauver le site de Florange.

Sarkozy aussi, en son temps

Depuis qu’Arnaud Montebourg a émis l’hypothèse de cette nationalisation provisoire, les commentaires battent en brèche la solution avancée : elle serait d’un autre temps. Mais l’analyse est un peu courte. Par exemple, il y a eu le sauvetage d’Alstom en 2004 à l’initiative de Nicolas Sarkozy alors ministre de l’Economie, puis l’intervention de l’Etat au capital des Chantiers de l’Atlantique en 2008 avec le feu vert du même Sarkozy devenu président de la République. Ce n’est pas si vieux.

Certes, les contextes sont différents… mais pas tant que cela s’agissant des Chantiers de Saint Nazaire, eux-aussi dans un secteur en surcapacités chroniques et confrontés à une évolution en dents de scie de leur portefeuille de commandes. Et même en 2009, Nicolas Sarkozy se serait posé la question d’une intervention de l’Etat pour soutenir la sidérurgie si le groupe Mittal, qui reprit Arcelor en 2006, n’avait alors assuré qu’il voulait faire vivre la sidérurgie, révèle Henri Guaino, ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy.

Dans un autre registre, on oublie que le groupe français Sanofi Aventis, sixième pharmacien mondial, n’existerait pas si Rhône-Poulenc n’avait été provisoirement nationalisé. En l’occurrence, à l’époque, les actionnaires ont eu tout à gagner de l’ingérence de l’Etat dans les affaires du groupe. On répliquera que, depuis les années 80, les marchés ne fonctionnent plus de la même façon. Mais justement, il s’agit de dépasser la logique de marché.

Comme les Etats-Unis et la Grande-Bretagne

Lorsque Barack Obama aux Etats-Unis organisa le sauvetage de General Motors en 2008 et que, la même année, Gordon Brown en Grande Bretagne plaça la banque Northern Rock dans le giron de l’Etat pour lui éviter la faillite, il n’était pas question de marché non plus. Il existe d’autres constructeurs automobiles en Amérique, et d’autres banques outre-Manche. Et dans des pays aux économies aussi libérales que les Etats-Unis et la Grande Bretagne, la logique aurait voulu que les perdants disparaissent.

Mais il s’agissait aussi de protéger les salariés de l’un, les épargnants de l’autre, et à réintroduire un peu de stabilité dans des pans entiers de l’économie quitte à tordre de cou à certains dogmes. Moderne ou pas, la nationalisation provisoire fut la solution.

Le dossier de la sidérurgie française, et notamment du site de Florange, est comparable sur le volet de l’emploi et du maintien de l’activité dans des bassins industriels déjà laminés. Mais surtout, alors que la France paie aujourd’hui les conséquences de trente années de priorité donnée aux services sous prétexte de modernité, une volonté politique doit marquer la fin de cette dérive. Et le début d’une réhabilitation de l’industrie compte tenu de sa dimension stratégique pour l’économie nationale.

La sidérurgie, un axe stratégique

Les exemples ne manquent pas qui montrent que les pays les mieux armés pour sortir de la crise sont ceux qui peuvent s’appuyer sur une activité industrielle. La sidérurgie est un élément de cette dimension stratégique, comme l’automobile pour les Etats-Unis ou la banque pour la Grande Bretagne. Mais pas dans les mêmes conditions de production et de travail qu’au siècle dernier.

Le groupe Mittal s’était d’ailleurs engagé à investir pour moderniser l’outil et le projeter dans le XXIe siècle. En réalité, il se contenta d’investir dans la maintenance, estimant que les conditions de marché ne justifiaient plus de développer le site. Ne pas moderniser Florange, c’était condamner le site.

On répliquera que des surcapacités existent en Europe dans la production d’acier. Mais l’Europe importe également de l’acier. Et dans un contexte de guerre économique, elle pourrait aussi s’attacher à maintenir ses capacités de production plutôt que de se tourner vers les importations. «Nous ne pouvons fonder l’avenir seulement sur une Europe des services», estime Michel Barnier, quitte à «bousculer les règles de la concurrence».  Totalement inédit, de la part d’un commissaire européen.

L’Etat face aux marchés

Le politique doit assumer son rôle face aux marchés et à leur vision de court terme qui ne peut assurer la stabilité économique. A la fin des années 90, ils avaient abusé toute la classe politique et nombre d’économistes en laissant penser que l’économie numérique pouvait s’affranchir de règles de saine gestion. Résultat: une bulle se créa… et explosa comme toute bulle, laissant en 2000 de nombreuses victimes sur le carreau.

Il ne fallut que sept années pour qu’une autre bulle éclate avec les «subprimes» et déclenche une crise bancaire qui dégénéra en crise économique. Là encore, personne ne vit rien venir, ni les économistes, ni les agences de notation, ni les gouvernants qui furent sanctionné par les électeurs.

Le groupe Mittal raisonne en termes de marché. Le gouvernement français lui répond politique et stratégie industrielle. C’est son rôle. D’ailleurs, dans le même esprit, des groupes de travail et institutions de l’Union parlent de plus en plus des moyens dont doit se doter l’Europe pour tenir ses positions dans une guerre économique dont elle a souvent sous-estimé la violence.

Les investisseurs  en seront-ils effrayés? Pas ceux qui réclament des visions et des politiques de long terme pour construire des stratégies d’investissement en connaissance de cause. Et qui ont besoin d’être convaincus de la pérennité de leurs placements – ce qui n’est pas le cas lorsque le contexte se délite.

Ne pas recréer les forges d’antan

En revanche, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault courrait à l’échec s’il cherchait aujourd’hui à recréer l’industrie d’hier. Dans la sidérurgie plus particulièrement, pour ne pas s’embourber dans une nationalisation provisoire dont il ne pourrait plus sortir, il doit mettre en place les conditions d’un renouveau en matière de conditions d’exploitation, d’investissements et d’innovation.

C’est ce que fit en son temps Usinor, l’ancêtre d’Arcelor, nationalisée en 1981 pour – déjà - éviter un naufrage, puis réorganisée et finalement privatisée en 1995 avant de devenir un des leaders mondiaux de l’acier mondial, notamment dans les aciers spéciaux. Ce n’est finalement pas si ancien.

Gilles Bridier

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