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Barefoot: les minimalistes de la course à pied tracent leur route

«Courir naturel», course à pieds nus et course à pied minimaliste, ou comment courir autrement.

A Los Angeles le 9 novembre 2011, REUTERS/Lucy Nicholson
A Los Angeles le 9 novembre 2011, REUTERS/Lucy Nicholson

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Combien auraient-ils été, dimanche 4 novembre, parmi les quelque 47.000 participants, à s’élancer pieds nus à l’attaque du marathon de New York s’il avait eu lieu? Une poignée tout au plus sans espoir de victoire contrairement à l’Ethiopien Abebe Bikila qui avait remporté sans chaussures le marathon des Jeux olympiques de Rome en 1960.

Depuis quelques années, cette infime minorité aurait néanmoins grossi selon les organisateurs du marathon de New York et des autres courses de longue distance. En revanche, ces épreuves ne comptent plus les adeptes de plus en plus nombreux de la course minimaliste se voulant au plus près des sensations vécues par les coureurs «barefoot» (pieds nus) selon l’expression des spécialistes qui se retrouvent, dimanche 11 novembre, au marathon de Malibu, en Californie, haut lieu du minimalisme.

Le minimalisme en course à pied serait tendance, mais de quoi s’agit-il au juste? Le mot s’inspire d’un mouvement récent appelé «courir naturel» et qui englobe la pratique de la course à pieds nus et celle de la course à pied minimaliste, c’est-à-dire lorsque le coureur est équipé de chaussures de course à pied légères et peu structurées dites minimalistes.

Ces chaussures qui peuvent avoir l’apparence de chaussons épousant la forme du pied comme une deuxième peau sont censées procurer au coureur les mêmes sensations que s’il courait pieds nus à l’exception du contact direct entre les récepteurs sensoriels du pied et le sol. Parmi les figures connues du marathon à avoir adopté les usages de la course minimaliste, il y a l’Américain Mebrahtom Keflezighi, vainqueur du marathon de New York en 2009, 4e des récents Jeux de Londres. La mode est devenue un petit phénomène aux Etats-Unis et s’étend ailleurs dans le monde, notamment en France où la bible sur le sujet, Born to run (Né pour courir), vient tout juste de paraître aux éditions Guérin.

Le talon ou le milieu du pied

Ecrit par Christopher McDougall, cet ouvrage, devenu un best-seller outre-Atlantique en 2009, qualifié avec amusement de «fourre tout» par Frédéric Brossard, l’un des pionniers du minimalisme en France, est peuplé de personnages pittoresques comme Caballo Blanco, alias Michael Randall Hickman (décédé en mars dernier). Il s’inspire surtout des études menées par le docteur Daniel Lieberman au sein de son laboratoire de biomécanique à l’Université de Harvard.

Lieberman était arrivé à la conclusion que l’idée reçue selon laquelle il fallait attaquer une foulée par le talon était une idée fausse. Il préconisait donc une foulée attaquée par le milieu du pied, sans amorti de semelle, dans la mesure où il jugeait qu’elle était moins dommageable pour le corps humain.

Comme le rappelle le livre très précis et très technique Barefoot et minimalisme, courir au naturel, écrit sous la plume de Frédéric Brossard et Daniel Dubois et paru aux éditions Amphora:

«La foulée talon se caractérise par la succession de deux pics de force, le premier très rapide (un choc équivalent à trois fois le poids du corps) qui induit un frein important et transitoire du mouvement vers l’avant suivi d’un autre choc. La foulée médio-pied se caractérise par une application progressive de la force sans choc et, ce, sans amorti. Ce constat laisse donc à penser que la foulée médio-pied serait potentiellement moins traumatisante pour le corps que la foulée talon, par le raisonnement simple qui consiste à dire que l’organisme subit moins de chocs.»

Chaussures minimalistes

McDougall, un coureur régulier de marathon, au bord de jeter l’éponge en raison de multiples blessures, est allé vérifier par lui-même les effets bénéfiques de cette théorie en s’immergeant au cœur d’une tribu d’indiens mexicains, les Tarahumaras, capables de courir des heures sans se blesser dans un paysage escarpé de montagnes et munis seulement d’une simple paire de sandales très fines. De cette expérience, il a tiré la conclusion que les chaussures de course qui existaient n’étaient pas bonnes pour l’homme, qu’elles entraînaient des blessures et qu’il valait mieux faire sans elles en courant pieds nus ou presque sans elles en inventant et en adoptant des modèles de chaussures minimalistes. L’un de ces modèles, les Vibram five fingers, ont été depuis un beau succès commercial.

Les chaussures minimalistes n’ont pas encore révolutionné l’économie de la course à pied, mais elles avalent des parts de marché et représentent une activité en croissance à côté des autres chaussures de course dont les ventes stagnent quand elles ne baissent pas. «En France, les chaussures minimalistes commencent à être de plus en plus connues, souligne Frédéric Brossard. Toutes les grandes marques ont fini par s’y mettre, mais nous sommes plutôt sur un micro-marché peu mature que l’on pourrait évaluer à 10% de l’ensemble des ventes

Courir pieds nus ou avec des chaussures minimalistes ne va pas de soi car il s’agit alors pour les coureurs, chaussés jusque-là de chaussures traditionnelles, de repenser entièrement leur façon de courir. Il existe plusieurs sortes de chaussures minimalistes en fonction des besoins et des niveaux. Frédéric Brossard et Daniel Dubois en listent six: les huaraches, les gants de pied, les chaussures barefoot, les minimalistes, les chaussures dites de transition et les courir naturel. Pour vous familiariser avec la foulée minimaliste, ils vous conseillent déjà de vous mettre pieds nus et de courir ainsi sur une piste d’athlétisme ou sur un chemin bitumé.

Puis courez normalement en réduisant simplement l’amplitude habituelle de votre foulée pour constater que vous ne posez pas le talon, mais que vous avancez tout de même. Voilà pour le début d’un apprentissage qui peut s’avérer complexe sur la durée et que des sites comme Courirpiedsnus.com peut vous aider à mieux aborder. «Il faut trois à six mois d’adaptation», évalue Frédéric Brossard.

Toujours pas de preuve tangible

Lui qui court deux marathons par an avec des chaussures minimalistes aux pieds admet avoir souffert, par exemple, d’une fracture de fatigue des métatarsiens au début de son expérimentation. Dans son livre, il évoque aussi les déboires d’Emmanuel Pillet, devenu l’un des bons spécialistes français de la course pieds nus (2h55 au marathon, 34 minutes sur 10km route), qui indique avoir été victime, lui aussi, de deux ou trois fractures de fatigue des métatarsiens, mais qui soutient également «avoir grandement amélioré l’efficacité de (s)a foulée» grâce au fait de courir de cette façon depuis 2005:

«Il me semble que je récupère mieux. Et même s’il m’arrive que des petites coupures m’embêtent quelques jours, je ne souffre plus de ces douleurs musculaires ou tendineuses que de nombreux coureurs doivent supporter des semaines voire des mois

Cependant, aucune étude n’a prouvé qu’il y ait vraiment un avantage à courir de la sorte. Certains podologues approuvent, d’autres déconseillent.

Yannick Cochennec

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