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Nominations à la chinoise

Le renouvellement du Comité permanent qui va entrer en fonction dès la fin du XVIIIe Congrès, les véritables patrons du pays, sont affaire d'équilibres, de continuité et de coups fourrés. Dans une absence totale de transparence.

Place Tiananmen, le 24 octobre 2012. REUTERS/Jason Lee
Place Tiananmen, le 24 octobre 2012. REUTERS/Jason Lee

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C'est avec une transparence à la mode communiste chinoise que la date du XVIIIe Congrès a été annoncée. Dans un premier temps, le pouvoir n’a rien répondu à la question qui se répandait dans l’opinion: pourquoi cette importante réunion au sommet tarde-t-elle à être fixée? Normalement, elle se tient tous les cinq ans en octobre.

Et soudain, le 28 septembre, deux communiqués du Parti communiste publiés conjointement font savoir l’un, que Bo Xilai est exclu du Parti et l’autre, que le Congrès aura lieu le 8 novembre.

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Chacun comprend alors que les deux événements sont liés: s’il y a retard dans la tenue du Congrès, c’est que les dirigeants ont du se mettre d’accord –et cela n’a certainement pas été facile– sur le sort de l’ancien numéro 1 du PC à Chongqing.

Gu Kailai, l’épouse de Bo Xilai, a été condamnée à mort avec sursis pour avoir empoisonné un citoyen britannique. Wang Lijun, le policier qui fut le bras droit de Bo Xilai, va purger quinze ans de prison pour «défection et abus de pouvoir» : il était allé au consulat américain de Chengdu raconter ce qui se passait à Chongqing.

Il est probable que plusieurs dirigeants chinois classés parmi les «conservateurs» estimaient que ces peines une fois prononcées, la sanction réservée à Bo Xilai lui-même pourrait être atténuée. Son cas pouvait être jugé par la commission de discipline interne au Parti. Mieux valait ne pas en rajouter dans les révélations sur les «erreurs» commises à Chongqing.

Mais une majorité parmi les neuf du Comité permanent a considéré que l’ex-étoile montante de la politique chinoise devait être exclue du Parti et donc passer devant un tribunal ordinaire. Peut importe si cette exclusion laisse entrevoir d’intenses luttes à l’intérieur du parti communiste chinois.

A Pékin, dans les instances du pouvoir, les adversaires les plus résolus de Bo Xilai sont les «réformateurs» modérés. A commencer par le Secrétaire Général Hu Jintao ou le Premier ministre Wen Jiabao qui ne lui pardonnent pas d’avoir voulu accéder au Comité permanent en s’imposant par des recettes maoïstes de mobilisation populiste.

Les accusations prononcées contre Bo Xilai sont particulièrement lourdes: «graves violations de la discipline du Parti, abus de pouvoir, relations sexuelles inappropriées, corruption». Il est accusé d’avoir «gravement endommagé la réputation du Parti» qui cherche avant tout à se démarquer de lui.

Bo Xilai n’a pas été protégé par son statut de «fils de prince» (son père, Bo Yibo, était un des fondateurs de la République populaire). L’arrêt brutal de sa carrière a été une incontestable démonstration de force de l’équipe sortante autour de Hu Jintao. Est-ce suffisant pour que celui-ci maintienne son autorité sur le parti dans les années à venir?  Une partie de la réponse se trouvera dans les équilibres politiques du nouveau Comité permanent qui va entrer en fonction dès la fin du XVIIIe Congrès.

Quelle que soit la liste exacte des nouveaux membres, ils ont en commun d’avoir vécu dans leur jeunesse dans les désordres de la Révolution culturelle (1966-1976). Avec une nuance selon leur âge: s’ils sont nés dans les années 40, ils ont pu finir leurs études et commencer à travailler avant d’être envoyés de force à la campagne «auprès des paysans pauvres». Ils ont pu ensuite reprendre le cours interrompu de leur carrière professionnelle et dans le Parti.

Ceux qui sont nés dans les années 1950 en revanche n’ont pas eu le temps d’aller à l’Université. Ils se sont retrouvés à travailler la terre et, au mieux, ils ont réussi à prendre des fonctions d’encadrement. Quand ils sont revenus en ville, ils ont fait quelques études sommaires mais c’est au Parti communiste qu’ils doivent leur promotion dans la société. Certains d’entre eux ont repris plus tard des études.

Ces similitudes de parcours créent des solidarités non négligeables parmi ceux qui vont se retrouver au plus haut du pouvoir chinois.

Mais  la sélection entre les candidats au Comité permanent a certainement été sévère. Comme toujours, les talents politiques des uns et des autres doivent équilibrer les soutiens dont ils disposent. L’exercice aura été particulièrement difficile s’il se confirme que le Comité permanent comportera désormais 7 membres et non plus 9.

Un élément perturbateur est survenu deux semaines avant l’ouverture du Congrès: le 16 octobre, le New York times publie un long article sur l’immense fortune de la famille de Wen Jiabao. L’enquête menée par les équipes du journal a duré près d’un an. Les journalistes se sont adressés à des avocats chinois pour connaitre en toute légalité les placements effectués par les proches du Premier ministre.

Ils n’ont pas été empêchés de  mener leurs méticuleuses recherches. Il y a donc dans l’administration chinoise des fonctionnaires qui se sont sentis autorisés –peut-être même encouragés— à ne pas cacher les transactions financières discrètes dont la famille Wen aurait profité pour un total de 2,7 milliards de dollars. Qui a pu favoriser ces révélations en faveur d’un journal américain? Peut être des partisans de Bo Xilai cherchant à le venger? Ou bien des conservateurs agacés par le poids politique des réformateurs dont Wen Jiabao est l’un des principaux leaders? Il y a en tout cas avec cet article de quoi secouer les équilibres internes du parti communiste chinois jusque dans la dernière ligne droite avant le XVIIIe Congrès.

Richard Arzt

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