Life

Véronique Courjault entre les pleurs et les mots

Les enfants ont respiré avant d'être tués par leur mère.

Temps de lecture: 3 minutes

C'est quoi un grand moment de cour d'assises? Peut-être un mercredi 10 juin quand il a plu toute la journée et que, vers l'Angélus, un soleil satanique éclaire la cage de verre où une femme commence à pleurer. Une femme qui ne peut plus se tenir debout. On lui concède un siège et la justice lui offre un microphone. Nous savons que allons devoir vivre un drame entrer sur les terres de l'anormal à coup sûr, de la folie peut-être.

Véronique Courjault a depuis longtemps reconnu les faits. Les enquêteurs sont venus dire ce matin que leur travail n'avait pas été très compliqué, sinon sur le «plan humain». Trois «infanticides» donc; un terme que la justice française a, depuis 1994, rayé de ses tablettes pour le fondre dans le grand et vaste corps général des «homicides». Et les années, sinon les jours, sont connues: 1999, en France. 2002 et 2003 à Séoul.

Au premier jour de son procès, Véronique avait laissé perler quelques larmes. Au deuxième, elle pleure d'abondance. Elle pleure et renifle; pleure et bredouille, pleure et devient silencieuse durant de longues minutes. Quand elle parle, c'est avec une voix de petite fille. Et quand elle parle, c'est pour dire qu'elle ne peut rien nous dire. Ou pire dans une enceinte de justice: que ce qu'elle nous dit n'est, peut-être, pas la vérité. Ce qu'elle a dit aux enquêteurs durant l'instruction concernant son mode opératoire n'était peut-être que ce que les enquêteurs voulaient entendre. Elle dit que tout est bien compliqué, pour elle, dans la vie; à commencer par mettre des mots sur ses actes.

Et tous les acteurs respectent tout cela. Son mari, «Jean-Louis», est là, à la fois partie civile et soutien aimant. Il ne cesse de la regarder quand elle ne cesse de regarder ailleurs. Il y a aussi ceux qu'elle désigne toujours comme «papa» et «maman». Et les deux enfants vivants du couple, absents de la salle d'audience, sont omniprésents dans les débats. C'est pour nous tous un moment lourd, pénible, à l'extrême limite du supportable.

Depuis le début du procès de cette cour d'assises d'Indre-et-Loire, le président Domergue a lui aussi des problèmes avec les mots. Faut-il parler de «bébés», de «nouveaux-nés», de «nourrissons», d'«enfants»? En 1999, le premier a été brûlé en hiver dans l'insert de la cheminée d'une maison charentaise. Quid des cendres? Dans le jardin, avec les autres cendres de l'insert? Dans une poubelle? On ne le saura jamais. Puis 2002. Puis 2003. La relative solitude dans la capitale de la Corée du sud, l'appartement résidentiel, son congélateur, les deux sacs macabres.

C'est quoi un grand moment de cour d'assises? C'est peut-être quand le Pr Dominique Lecomte, 63 ans, directrice de l'Institut médico-légal de Paris, vient dire la vérité anatomopathologique sur les deux petits cadavres qui furent congelés puis décongelés puis recongelés à Séoul avant de prendre l'avion pour être réexaminés sur les rives de la Seine à Paris. Dossiers «461» et «462».

Véronique avait avoué les avoir «étranglés de la main droite». «Pourquoi de la main droite?», demandera le président Domergue. «Sans doute parce ce que je suis droitière», répondra-t-elle. Mais le Pr Lecomte balaie tout cela. Aucun des deux nouveaux-nés «de sexe masculin» n'a été étranglé. La science est là qui nous dit le vrai: ils ont été privés d'air au moyen de l'application d'un tissu souple sur le massif facial. Et pour l'un des deux, la pression a été telle que le Pr Lecomte et son assistant on retrouvé de nombreuses fractures au niveau des sinus notamment, ce que les légistes coréens n'avaient pas vu. Mais d'étranglement aucune trace. Ces nouveau-nés ont été privés d'air, certes, mais ils avaient auparavant respiré puisque des fragments de leurs poumons pouvaient «flotter». Le premier enfant pesait 2,8 kg, le deuxième 3,2 kg.

C'est quoi un grand moment de cour d'assises? C'est peut-être quand l'avocat général demande à la directrice de l'Institut médico-légal de Paris de bien vouloir nous donner sa définition de la vie. Ou plus précisément de nous dire ce qui la caractérise. Le Pr Lecomte ne s'intéressera pas précisément à la dimension philosophique de la question. Mais cette spécialiste réputée pour rechercher les causes de la mort dira que la vie peut ne plus être après des asphyxies de type mécanique causées, par exemple, par étouffement, strangulation, pendaison ou autres compressions.

Pour ce qui est de son début, la vie humaine commence donc par un cri, symptôme de l'arrivée de cette «oxygénation forcée» qui définit toute forme de vie. Alors, y a-t-il eu des cris? En 1999 dans la baignoire de la maison campagnarde et mitoyenne de Villeneuve-la-Comtesse? En 2002 et 2003 dans la baignoire de l'appartement résidentiel de Séoul? Véronique Courjault pense que oui, sans doute; ou que non. Elle ne sait plus, ne veut plus savoir. Ne veut surtout plus savoir si, comme lui demande le président Domergue, elle a regardé les yeux de ses enfants avant de leur ôter la vie.

C'est alors qu'avec une infinie douceur Me Henri Leclerc posera, dès ce deuxième jour d'audience, la seule question qui nous réunit en ce Palais de Justice: «Mais pourquoi avez-vous fait cela?». Véronique Courjault, larmes, reniflements, borborygmes, voix de petite fille: «Je n'ai pas de réponse qui... pourrait suffisamment... éclairer ces actes si... graves. Chaque fois, j'essaie..... Mais c'est pas possible... la gravité». Véronique Courjault suit une psychothérapie à la prison d'Orléans. On lui a proposé d'y être bibliothécaire. Elle dira bientôt que si elle avait, un jour pu mettre des mots sur ses trois dernières grossesses, nous n'en serions peut-être pas là.

Jean-Yves Nau

Photo: La balance de la justice devant l'Assemblée Nationale à Paris Reuters

Lire du même auteur: Le terrible récit de Jean-Louis Courjault; Qui est Véronique Courjault?; Le procès des «bébés congelés» sera public; Enceinte, moi? Jamais, de la vie!

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