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Si Dexter se fait attraper, a-t-il une chance d'être disculpé?

Les neurosciences pourraient-elles réussir à disculper le tueur en série de Showtime?

Dexter
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C'est le moment que redoute tout fan de Dexter: après une journée harassante passée au labo de morpho-analyse des traces de sang, notre antihéros aux yeux verts rentre chez lui. Cette nuit, il ira traquer sa nouvelle victime – un psychopathe qui file toujours entre les pattes de ses copains, les agents du Miami Metro Homicide –, mais en attendant, il prend le temps de s'occuper de son fils, Harrison.

Sauf que, tout à coup, son appartement s'éclaire des lueurs des gyrophares et résonne du hurlement des sirènes. Une équipe du SWAT défonce la porte et plaque Dexter au sol. «Dexter Morgan», beugle le lieutenant (s'il vous plaît, faites que ce ne soit pas Deb), «Vous êtes en état d'arrestation pour 120 cas d'homicide volontaire avec préméditation».

Cette scène a beau être imaginaire, je sens déjà ma gorge se serrer rien qu'à l'écrire.

Mais partons du principe (horrible, inconcevable) que les forces de l'ordre réussissent un jour à mettre la main sur Dexter, après sept saisons de crimes absolument terrifiants, mais aussi justes, à leur manière et...aaaah ces pommettes, regardez ces pommettes, non mais vous les avez vraiment vues? Que pourrait-il se passer?

Une enfance... difficile

Commençons par examiner le profil de l'accusé. Dexter Morgan est un tueur en série qui ressent un  besoin urgent de massacrer des gens. Ces pulsions, elles lui proviennent de son enfance et d'un effroyable traumatisme: après le meurtre de sa mère, il reste à patauger dans son sang pendant des jours.

Dépêché sur la scène de crime, l'agent de police Harry Morgan découvre le jeune Dexter et l'adopte, mais, comprenant que l'enfant portera à jamais de lourdes et sinistres séquelles, il conçoit alors un code pour réguler ses bouffées criminelles. A la base, le «Code de Harry» stipule que, si tu dois absolument tuer quelqu'un, alors tu dois tuer un autre meurtrier. Le code comporte aussi des instructions pour vérifier la culpabilité de sa cible et échapper aux enquêteurs. Au final, grâce cette éducation éminemment non-conventionnelle, Dexter et son inconscient sanguinaire deviennent l'ange exterminateur de Miami.

Plaider l'aliénation

Par contre, si le système judiciaire arrive à mettre le grappin sur Dexter, il aura vraiment du souci à se faire. Sa meilleure option, selon Richard L. Jacobson, avocat au sein du cabinet Arnold & Porter, sera de plaider l’aliénation mentale. Dans la plupart des juridictions «éclairées» (New York, le Massachusetts, la Californie, etc), un trouble mental qui vous pousse à enfreindre la loi relève de la folie. Si les avocats de Dexter arrivent à démontrer qu'il ne peut absolument pas contrôler ses pulsions, ils pourraient l'envoyer finir sa vie dans la cellule capitonnée d'un asile, plutôt que dans le couloir de la mort.

Bien sûr, tous les districts ne sont pas aussi magnanimes – la signification juridique de l'aliénation mentale évolue dès que vous changez d’État. La Floride, par exemple, où Dexter serait probablement jugé, prévoit certaines remises de peine pour les «cognitivement fous», pas pour les «volitivement fous».

En d'autres termes, si vous êtes trop dérangé pour comprendre ce que vous faites ou les conséquences de vos actions, ou encore que vos agissements sont répréhensibles, alors vous pouvez plaider la folie. Mais si, à l'instar de Dexter, vous savez faire la différence entre le bien et le mal et que vous commettez un crime en toute connaissance de cause, pas de pot. Vous serez coupable, que vous puissiez ou non résister à vos pulsions pathologiques.

La règle M’Naghten et les pulsions

A une époque, les tribunaux américains se fondaient sur une règle jurisprudentielle, la règle de M’Naghten, pour définir l'aliénation criminelle. Cette règle portait le nom de Daniel M’Naghten, un Anglais qui, en 1843, avait abattu lors d'un épisode psychotique le secrétaire du premier ministre. (Il visait en réalité le premier ministre, persuadé qu'il voulait sa mort). Selon cette règle, plaider l'aliénation mentale n'était possible que pour les individus intellectuellement incapables de différencier le bien du mal.

En 1929, les États-Unis ajoutèrent la notion de «pulsion irrésistible» à la règle de M’Naghten, ce qui permit aux tribunaux d'acquitter des accusés qui, au moment de leur crime, était visiblement sous l'emprise d'une telle démence qu'ils avaient été incapables de contrôler leurs gestes.

En 1954 le Juge David Bazelon, de la cour d'appel fédérale de Washington,  D.C., desserra encore un peu plus les mailles de ce filet juridique. Sa sentence historique, dans l'affaire Durham v. United States, énonce simplement qu'«un accusé n'est pas criminellement responsable si l'acte illégal commis était le fruit d'une maladie mentale».

Etre jugé dans le bon Etat

Mais selon certains juges, la règle de Durham était bien trop permissive. En plus d'absoudre les psychotiques ou les hallucinés, elle permettait facilement aux alcooliques, aux drogués ou aux joueurs pathologiques de se dérober à la justice. En 1972, avec le verdict de l'affaire Brawner v. United States, la définition de l'aliénation mentale redevint un chouïa plus souple que celle de la règle de M’Naghten.

Aujourd'hui, chaque État évalue la folie selon sa jurisprudence propre. Dexter aura de la chance s'il tombe sur un tribunal où son «passager noir» sera vu comme un trouble obscurcissant son jugement, et pas comme le mal absolu.

Et donc, si l'argument de la folie peine à convaincre – comme on peut le prévoir – que se passera-t-il? Ne nous leurrons pas: Dexter a réellement commis beaucoup d'homicides. Si les preuves collectées par le ministère public sont suffisantes, il sera reconnu coupable. Ses avocats tenteront alors d'atténuer sa peine autant que faire se peut. Et ils auront du pain sur la planche: si le procès se passe en Floride, au Texas, dans le Mississippi ou l'Alabama, il y a fort à parier que c'est la peine de mort qui sera requise par l'accusation.

Homicide ou service public?

Le fait que Dexter n'assassine que des assassins fera-t-il la moindre différence? «Si je devais défendre Dexter», déclare Jacobson, «j'essayerais de recueillir des faits prouvant que ses victimes méritaient la mort. Et je ferais tout mon possible pour que le jury considère les agissements de Dexter comme relevant d'un service public». Mais, ajoute-t-il, il y a de grandes chances que le ministère public récuse de telles preuves, et ce pour des questions de pertinence:

«Pour le jury, il serait inconvenant de justifier un verdict en disant que ces types auraient été reconnus coupables, s'ils avaient été convenablement jugés. Notre système juridique repose sur l'idée que vous êtes innocent tant que vous n'avez pas été déclaré coupable par un jury de pairs».

Et dans tous les cas, Dexter tue souvent des gros méchants qui, pour une raison ou pour une autre, demeurent inatteignables par la justice américaine. Au terme d'un éventuel procès, nombreux sont ceux qui auraient été reconnus non-coupables, ce qui n'arrange rien pour Dexter.

A ce stade, imaginer l'idole de mes dimanches soirs à la merci la justice me donne envie de me rouler en boule et de m'arracher les cheveux.

Mais d'ici quelques temps, les progrès des neurosciences pourraient – je dis bien pourraient – faire du système judiciaire un lieu bien plus avenant pour mon petit Dex. Les tribunaux commencent à examiner des relevés d'IRM fonctionnelle qui remettent en question la notion de libre-arbitre. Des cours se demandent si des anomalies cérébrales spécifiques ne pousseraient pas certaines personnes à s'engager sur les sombres chemins du crime, s'il n'existerait pas des «criminels-nés», si «c'est la faute aux neurosciences» ne pourrait pas, un jour, relever d'une ligne de défense acceptable.

S'il faudra certainement attendre longtemps avant de voir le système judiciaire subir des changements aussi substantiels, Dexter pourrait continuer à jouer au chat et à la souris jusqu'à ce qu'on en sache davantage sur le fonctionnement cérébral des gens comme lui. A ce moment-là, grâce à son adorable regard de chien battu et, hum, en mettant en avant une profusion de facteurs biologiques précoces, il pourrait sans doute réussir à attendrir le plus stoïque des jurés.

Ou, autre possibilité, la prochaine fois qu'il aura à tuer quelqu'un, il redoublera de précaution pour ne laisser aucune trace derrière lui.

Katy Waldman

Traduit par Peggy Sastre

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