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OGM, le sacrifice des rats

Trois leçons peuvent d’ores et déjà être tirées de cette affaire qui est passée, alternativement, du statut de scoop du siècle à celui de manipulation militante grossière.

REUTERS/Science/AAAS
REUTERS/Science/AAAS

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L’affaire Séralini semble tirer à sa fin. Les expertises françaises de l’étude scientifique publiée le 19 septembre 2012 risquent fort d’arriver après la bataille.

Certains verront de la sagesse dans cette lenteur. D’autres de l’embarras pour ne pas dire plus. Peu importe.

Les avis sont déjà assez nombreux pour qu’une issue se profile. Un organisme allemand (BfR) et un autre européen (EFSA) ont analysé l’étude en termes sévères. Des scientifiques de tout poil, antis et surtout pros OGM, se sont exprimés et Gilles-Eric Séralini accompagné de Corinne Lepage ont largement répondu. L’heure est donc au bilan.

Trois leçons peuvent d’ores et déjà être tirées de cette affaire qui est passée, alternativement, du statut de scoop du siècle à celui de manipulation militante grossière. Au final, comme souvent, l’impact réel de ce coup médiatique échappe à de telles caricatures.

1. L’image des rats boursoufflés de tumeurs

Quoi qu’en disent détracteurs et défenseurs de l’étude, les photos des rats sacrifiés pour réaliser l’expérience de Gilles-Eric Séralini resteront gravées dans l’esprit du grand public. Et elles seront durablement associées aux OGM.

Comment oublier ces corps suppliciés? Les chercheurs ont attendu que les tumeurs atteignent 25% du poids des animaux pour les euthanasier. Pour un homme de 80 kg, cela reviendrait à 20 kg de tumeurs...

Etait-il nécessaire pour l’expérience d’attendre aussi longtemps? Les défenseurs des animaux apprécieront. En tous cas, pour les photos, pas de doute. Des tumeurs de la taille de balle de ping-pong deviennent, en soi, des arguments. Elles ne seraient pas statistiquement significatives, selon les détracteurs de l’étude. La belle affaire. Tout le monde s’en moque.

Seul le choc des photos restent dans la mémoire collective. Les calculs statistiques savants, les débats sans fin sur le nombre de rats par lot ou sur la forte propension au cancer de la race des animaux seront vite oubliés. On pourrait se désoler de cette méthode de communication qui bafoue les règles élémentaires de la prudence et de la probité scientifiques. On aurait sans doute tort.

2. La prise de conscience d’une terrible carence

En effet, l’intérêt majeur du coup médiatique de Gilles-Eric Séralini réside dans la mise au grand jour d’une vérité que les spécialistes connaissent et taisent depuis des années: il n’existe pas d’organisme indépendant pour réaliser les études de toxicité et de cancérogénèse sur les OGM et les pesticides. Cette révélation fait partie de ces scandales qui ne parviennent pas à sortir du bruit de fond médiatique.

Les chercheurs sont au courant depuis longtemps. Les journalistes les dénoncent de temps en temps. Et rien ne change pour autant. Les vagues se brisent sur la digue. Le temps passe et l’on passe à autre chose. Les rats sacrifiés de Gilles-Eric Séralini ont contraint tout le monde à ouvrir les yeux. Soudain, les experts les plus virulents envers cette étude ont lâché le morceau.

Ainsi, Gérard Pascal. Difficile de soupçonner cet expert en sécurité des aliments à l’OMS de sympathie pour les anti-OGM. Dès le 19 septembre, il répond aux questions du magazine Science et Avenir qui, par ailleurs, appartient au groupe de presse Perdriel tout comme le Nouvel Observateur qui titrait, ce même jour: «Oui, les OGM sont des poisons!». Gérard Pascal, par ailleurs directeur scientifique pour la nutrition humaine et la sécurité des aliments de l’INRA de 1997 à 2003, déclare au sujet de l’étude publiée le jour même:

«Nous pensons qu’il faut nommer une commission d’enquête sur le laboratoire dans lequel les expériences ont été faites. Il faut récupérer toutes les données, les cahiers de manip, l’historique des incidents qui ont pu se produire pendant ces deux ans et analyser tout cela en profondeur.» 

On n’est pas loin de la descente de police avec perquisition... Pourtant, cinq jours plus tard, le 24 septembre, le même Gérard Pascal signe une tribune dans... le Nouvel Observateur. Dans ce texte republié le 7 octobre sur le site de l'hebdo, voilà ce qu’il nous dit en parlant de l’étude Séralini:

 «Les structures publiques capables de réaliser de telles études, surtout s’il s’agit d’expérimentation de toxicologie à long terme/cancérogenèse à deux ans, sont des plus rares, voire inexistantes.»

Ah bon! Logiquement, mais bêtement bien sûr, on se demande pourquoi l’INRA ne se charge pas de telles études. Gérard Pascal éclaire notre lanterne:

«En charge à l’INRA de l’organisation de la recherche en nutrition humaine et en sécurité des aliments à la fin de mon activité professionnelle, j’ai toujours refusé d’investir le moindre moyen dans de tels travaux de toxicologie que je qualifie de "réglementaires" en raison de leur absence totale d’intérêt en matière de recherche et de connaissance, considérant qu’il n’était pas de la responsabilité des organismes de recherche ou des universités de les prendre en charge.»

Ah bon! Le toxicologue nous explique ensuite le processus actuel des études menant à l’approbation des produits mis sur le marché. Etant donné qu’aucun laboratoire public n’a les moyens de mener ces travaux, les industriels comme Monsanto les financent eux-mêmes et les réalisent dans leur propre laboratoire ou, si besoin, dans des laboratoires privés qu’ils payent pour ce service.

Il est donc de notoriété publique que les études de toxicologie échappent même à une apparence d’indépendance et ce sont ceux qui le savent pertinemment qui reprochent à Gilles-Eric Séralini ne pas être indépendant. Un peu fort de café, non?

3. Une chance de progrès à saisir

Nous voilà donc informés. La toxicité des OGM n’a jamais été sérieusement évaluée. Les études ayant conduit à leur mise sur le marché sont commanditées par Monsanto et consort.

Elles n’ont pas plus de valeur que celle de Gilles-Eric Séralini financée par le CRIIGEN, comité ouvertement anti-OGM et par Auchan, entreprise au service... de ses propres intérêts.

Dans cette situation, qui oscille entre Ubu et Kafka, que faire? Ecoutons, à nouveau, le professeur Gérard Pascal, qui propose une solution pour la réalisation de ces études:

«Il me semble que les pouvoirs publics pourraient se doter des moyens de les conduire (animaleries, laboratoires, personnels, équipements…), par exemple à l’ANSES qui dispose par ailleurs de laboratoires, ou dans des structures dépendantes des services vétérinaires à la DGAl ou des laboratoires de la DGCCRF.»

Une solution à couper le souffle! L’Etat qui se chargerait de garantir l’indépendance des études! Damned! Personne, sans doute, n’y avait pensé avant. Magnanime, Gérard Pascal va même jusqu’à préciser la procédure. Les industriels voulant mettre des produits sur le marché s’adresseraient à une structure d’Etat et verseraient le montant correspondant au coût de l’étude, ce qu’ils font déjà aujourd’hui mais pour financer leurs propres laboratoires ou des laboratoires privés. Ainsi, il suffirait que l’Etat s’interpose, par le biais d’une structure qui existe déjà et se nomme l’ANSES (oui, celle qui n’a toujours pas donné son avis sur l’étude Séralini…), entre les industriels et les consommateurs.

Tout citoyen à l’esprit simple ne pouvait imaginer qu’il puisse en être autrement, tant cette organisation parait évidente. Il a fallu une étude douteuse, réalisée dans la clandestinité et médiatisée de façon outrancière, pour que l’énormité de cette carence de contrôle sanitaire soit mise sous les projecteurs.

Une fois l’orage passé, lorsque les organes de l’Etat auront enfin remis l’avis que leur a demandé en urgence le Premier ministre, que va-t-il se passer?

Une bataille puérile autour de Gilles-Eric Séralini qui refuse de fournir ses données d’expérience si les industriels ne publient pas les leurs, alors qu’il en dispose déjà? Une expertise politicienne de son étude, mi-figue mi-raisin, qui dira que tout le monde a raison, comme lorsque l’Académie des Sciences a statué sur le climato-scepticisme? Le renvoi à une nouvelle étude avec deux ans d’attente pour avoir les résultats (qui pourrait bien s’en charger d’ailleurs?)?  

Non! Le sacrifice des rats ne doit pas être inutile! En leur mémoire et aussi par respect pour tous ceux qui souffrent aujourd’hui de cancers ou autres maladies neurodégénératives dont les causes restent totalement inconnues, le minimum que l’on puisse exiger de l’Etat c’est qu’il assume cette mission d’expertise en garantissant, coûte que coûte et quoiqu’il en coûte, son indépendance. Sinon...

Pour maîtriser ce que nous mangeons, faute de pouvoir filtrer ce que nous respirons, nous n’aurons d’autre solution que la philosophie qui nous conseille, depuis bien longtemps, de cultiver notre jardin. Sans OGM.

Michel Alberganti

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