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Comment Netanyahou se prépare à frapper l'Iran

Pour mettre fin à une menace jugée existentielle, Benjamin Netanyahou cherche depuis des mois à convaincre les politiques, les militaires et l'opinion publique israélienne.

Benjamin Netanyahou Ronen Zvulun / Reuters
Benjamin Netanyahou Ronen Zvulun / Reuters

Temps de lecture: 7 minutes

L'utilisation, par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, à l'ONU, du schéma d’une bombe reprenant les codes des dessins animés afin d’illustrer le programme nucléaire iranien et la volonté d’Israël de le stopper, a provoqué des moqueries de tous les commentateurs des questions internationales.

Mais le sujet ne prête pas vraiment à rire. Toutes les institutions de défense de l'Etat d’Israël travaillent depuis longtemps pour faire une estimation la plus précise possible des effets éventuels d’une des décisions les plus ardues jamais prises par le pays –et peut-être la plus difficile depuis que David Ben-Gourion a déclaré son indépendance.

Les Israéliens restent divisés

Les Israéliens demeurent divisés quant à l’attitude à adopter à l’égard du programme nucléaire militaire iranien. Une partie pense qu’un Iran détenteur de l’arme nucléaire constituerait une menace existentielle, au sens strict du terme et qu’Israël doit donc faire tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher que cela ne se produise.

D’autres pensent que si la menace est sérieuse, elle n’est pas véritablement existentielle et qu’Israël devrait faire tout ce qui est raisonnable de faire en un pareil cas –mais pas nécessairement tout ce qui est possible– et qu’Israël pourrait bien, après tout, s’accommoder de l’existence d’un Iran détenteur de l’arme nucléaire.

Au cours de l’année qui vient de s’écouler, ces divergences sont devenues publiques. D’anciens responsables politiques ont accusé Netanyahou et son ministre de la Défense, Ehud Barak, de comportement irresponsable; plusieurs ministres et hauts responsables de la Défense s’opposent à toute action militaire.

A l’inverse, Netanyahou et Barak ont prononcé plusieurs discours au mois d’août afin de préparer l’opinion israélienne à un conflit avec l’Iran. Et avec son discours aux Nations unies, Netanyahou a également préparé la communauté internationale.

Le Premier ministre a un pouvoir limité et doit convaincre

Mais la manière dont ce débat va trouver son issue dépend essentiellement du système politique unique d’Israël. La décision de frapper l’Iran ne relève pas exclusivement de Netanyahou: en Israël, comme dans bon nombre de démocratie, le Premier ministre n’est que le «premier parmi les égaux» –pas le chef de l’exécutif et encore moins celui des armées. 

A l’exception de certaines circonstances bien définies, comme pour répliquer à des attaques imminentes, le Premier ministre israélien doit obtenir l’approbation de son cabinet pour toutes les décisions touchant à la sécurité nationale. A dire vrai, si on les compare à d’autres démocraties parlementaires, les prérogatives du Premier ministre israélien sont très limitées.

Les décisions touchant à la sécurité nationale sont prises, en Israël, au sein de quatre cercles de consultation distincts. Le premier n’est autre que le Conseil des ministres en réunion plénière (avec la présence de tous les ministres du gouvernement) où les grands axes de la politique sont définis. Ce cercle s’est à ce point élargi et est devenu si politique et si prompt aux fuites qu’il constitue rarement le centre névralgique des prises de décision.

Le deuxième organisme est le Conseil ministériel de la Défense, organe conçu pour les prises de décisions rapides et discrètes –mais qui souffre des mêmes pathologies que la réunion plénière et qui est donc rarement le cadre des prises de décision.

Le troisième cercle est celui des comités interministériels informels, comme l’actuel «Forum des Neuf», un corps ministériel réuni par Netanyahou pour traiter des questions de haute sécurité, mais qui manque de l’autorité légale pour prendre des décisions formelles tout en demeurant le lieu où l’essentiel des débats de politique se déroule.

Pour finir, le quatrième cercle est composé des consultations informelles initiées par le Premier ministre, avec le ministre de la Défense et une poignée de ministres proches et de dignitaires du ministère de la Défense et qui joue un rôle non négligeable dans le processus de décision politique.

Le Forum des Neuf

Les positions adoptées par le Forum des Neuf et lors des consultations du Premier ministre n’ont aucun fondement légal –le cabinet et le Conseil ministériel de la défense peuvent adopter les décisions qui leur plaisent.

Mais ces positions ont malgré tout un poids qui peut s’avérer crucial. Parmi le Forum des Neuf, on compte en effet des ministres de premier plan et des hommes issus de toutes les sensibilités de la majorité de Netanyahou. Les discussions qui se déroulent au sein du Forum des Neuf ou des consultations du Premier ministre sont en fait plus susceptibles d’aboutir à une prise de décision franche que celles qui se déroulent au sein du conseil des ministres ou même du Conseil de la défense.

Aujourd’hui, presque toutes les décisions concernant le programme nucléaire iranien sont prises au sein du Forum des neuf et lors des consultations informelles initiées par le Premier ministre. Au vu du caractère sensible de cette question, il est plus que probable que la décision finale sera validée par le Conseil de défense et pas par le cabinet réuni en séance plénière, quand bien même le premier ne s’est guère prononcé sur cette question jusqu’à présent.

Devant obtenir l’assentiment légal de son cabinet ou du Conseil de défense pour entreprendre une action militaire, comme dans le cas d’une attaque contre l’Iran, Netanyahou doit se forger une majorité en faveur d’une telle action.

Si un soutien unanime n’est pas obligatoire, il est clair que Netanyahou hésitera à se lancer dans une entreprise si potentiellement lourde de conséquences s’il ne peut s’appuyer sur un consensus très élargi.

Voilà précisément ce à quoi il travaille et de nombreux analystes israéliens considèrent sa récente décision de transformer l’ancien «Octuor» en Forum des Neuf, en y faisant entrer Avi Dichter, ministre de la Sécurité intérieure (et connu pour ses positions très radicales sur le plan politique) comme une manière de faire pencher la balance en faveur d’une attaque.

Un débat le plus éloigné possible des querelles partisanes

Face au danger existentiel posé par la menace nucléaire iranienne, la plupart des politiciens israéliens et des anciens dirigeants du pays ont délibérément choisi –contrairement aux pratiques courantes en Israël autour des questions de sécurité nationale– de faire du débat autour du programme nucléaire iranien un débat le plus éloigné possible des querelles partisanes. 

Même les politiques ayant fait part de leur plus vive opposition à des frappes, comme l’ancien chef du Mossad, Meir Dagan, l’ancien chef du Shin Beth, Yval Diskin, le président Shimon Peres et, de manière moins explicite, l’ancien chef d’état-major de Tsahal, Gabi Ashkenazi, ont concentré leurs critiques sur les bénéfices éventuels d’une telle action et, à de rares exceptions, se sont retenus de toute polémique politicienne.

Une des exceptions les plus marquantes, en la matière, a été le chef du parti Kadima, Shaul Mofaz, ancien ministre de la Défense et chef d’état-major, qui a affirmé que les conséquences d’une telle frappe pourraient être «catastrophiques» pour Israël.

Malgré cela, l’absence de querelle politicienne renforce très certainement la position du Premier ministre et celle du ministre de la Défense, leur permettant de pouvoir obtenir plus facilement l’assentiment du cabinet.

Une opinion réticente

L’opinion publique israélienne a clairement des réticences à l’égard d’une possible frappe. Elle n’ignore rien des risques d’une action militaire, préfèrerait, à une écrasante majorité, une solution diplomatique si elle était possible et attache une grande importance au soutien des Etats-Unis dans cette affaire, quelle que soit la décision qu’Israël prendra au final.

En même temps, les Israéliens s’inquiètent de plus en plus de la menace posée par l’Iran et le soutien envers des frappes, bien que limité, commence à grandir. Au mois d’août, 32% des Israéliens étaient favorables à une attaque, contre 23% en mars, tandis que le pourcentage de personnes opposées à ces frappes est, dans le même temps, passé de 56% à 46%. Etonnamment, un peu plus de la moitié des Israéliens pensait, au mois de septembre, qu’Israël risquait fort d’être détruit en cas de conflit avec l’Iran.

Si tout ceci est loin de représenter un soutien inconditionnel en faveur d’une action militaire, il ne fait guère de doute que Netanyahou et Barak vont finir par disposer du soutien tant populaire que politique nécessaire à une attaque contre l’Iran.

Au sein du pays existe un large consensus autour de la menace que fait peser l’Iran et sur la nécessité d’y mettre un terme d’une manière ou d’une autre. Au cours de ses nombreux discours, Netanyahou a insisté sur l’échec de la politique de sanctions internationales pour contraindre l’Iran à renoncer à l'arme nucléaire et a, à plusieurs reprises, comparé la situation actuelle à celle de l’Holocauste –avec l’idée que les tyrans doivent être arrêtés avant qu’il ne soit trop tard et qu’Israël ne peut au final compter que sur lui-même.

Barak s’est quant à lui montré plus circonspect et ses prises de position publiques ont changé, mais il semble pourtant un fervent partisan de la solution militaire, quand le temps sera venu.

Netanyahou dispose sans doute déjà d’une majorité en faveur d’une attaque au sein du Forum des Neuf et tout semble indiquer qu’il remportera haut la main les prochaines échéances électorales –qui devraient se tenir au printemps prochain, mais qui pourraient légalement se dérouler, au plus tard, en novembre 2013 [1]– ce qui renforcera encore sa position.

Netanyahou voit la naissance d’un Iran nucléaire par le prisme de l’Holocauste et considère que sa prévention est le principal défi à relever pour le l’Etat israélien et consacre donc toute son énergie à cette affaire.

Des enjeux énormes, une planification méticuleuse et une décision pas prise à la légère

Au niveau technique, le service de renseignement de l’armée et le Mossad, les services secrets israéliens, sont les principales sources d’informations du gouvernement sur le programme nucléaire iranien et jouent certainement un rôle de soutien dans la planification stratégique.

Le Mossad a été désigné comme organisme de coordination de tous les efforts de prévention, tandis que les Forces aériennes israéliennes et les branches de planification opérationnelle de Tsahal vont jouer un rôle crucial pour montrer au cabinet quels pourraient êtres les conséquences d’une attaque contre l’Iran. Le ministère des Affaires étrangères, qui ne joue souvent qu’un rôle mineur en terme de planification de la politique israélienne, ne semble guère exercer d’influence à ce stade.

Au cours de son histoire, Israël a enregistré, en termes de sécurité intérieure, des réussites retentissantes et des échecs cuisants. Les défauts de son processus de prise de décisions liées à la sécurité nationale sont aussi significatifs que récurrents.

Il n’en demeure pas moins qu’il n’y a sans doute pas eu, durant les dernières décennies, de question sur laquelle Israël ait aussi longuement et minutieusement réfléchi –considérant avec précision les ramifications et conséquences de chaque scénario et option politique. Même les voix de l’opposition, qui émanent pour certaines de l’administration de la Défense, reflètent la profondeur et le sérieux de ce processus de planification. Les enjeux sont si énormes pour Israël que toute autre manière de procéder serait inacceptable.

Netanyahou et Barak seront montrés du doigt quelle que soit leur décision finale –pour n’être pas parvenus à empêcher l’émergence d’une menace existentielle pour Israël ou pour avoir lancé le pays dans une campagne bien trop aventureuse. Mais une chose demeure claire: personne en Israël ne prend cette question à la légère et personne n’a envie d’en découdre à tout prix.

La décision de frapper, si elle est prise, ne le sera que si Israël considère que l’heure n’est plus aux tergiversations et que toutes les autres possibilités ont été épuisées. Une frappe sera nécessairement critiquée et de nombreuses personnes risquent de protester, vigoureusement, contre une telle action. La bombe de dessin-animé que Netanyahou a brandie devant les Nations unies était peut-être un coup de communication, mais le processus décisionnel israélien ne saurait, quant à lui, être aussi facilement caricaturé et caricatural.

Chuck Freilich

Traduit par Antoine Bourguilleau

[1] Depuis la rédaction de cet article, Benjamin Netanyahou a annoncé la tenue d'élections anticipées, «le plus tôt possible». Retourner à l'article

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